Ces petits rien…

Les calepins

Par | Penseur libre |
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Les chutes du Niagara gelées, ici en février 2011. © Powertripberkeley.com / RonniePed

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Mardi 26 décembre

 On n’a pas oublié la manière avec laquelle Alberto Fujimori gouverna le Pérou pendant 10 ans. Corruption et torture étaient pratiques courantes. Il fut condamné pour ses actes odieux à 25 ans de prison. Il est aujourd’hui, à 79 ans et en mauvaise santé, gracié par le président au pouvoir, ce qui ne manque pas de créer des troubles dans la population. De son lit d’hôpital, Fujimori présente ses excuses au peuple péruvien et réclame son pardon. Maintenant que les fêtes de Noël sont passées, la question peut être posée sans intuition malveillante : que vaut ce pardon ? On aimerait connaître l’avis de Mario Vargas Llosa qui fut son compétiteur malheureux. Déjà, au printemps dernier, son livre Cinco Esquinas racontait les années de son pays sous l’autocrate surnommé à l’époque « Le Chinois »

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 Une réflexion en découvrant les traditionnelles rétrospectives des actualités au cours de l’année qui s’achève : « Ne cherchez pas le pouvoir aux Tuileries, lançait Balzac, il s’est transporté chez les journalistes. » Comment adapterions-nous ce constat aujourd’hui ? Ne cherchez pas… Ni au Palais-Bourbon, ni même à l’Élysée, encore moins à l’ONU… Il s’est transporté plutôt chez Bill Gates, Wikipedia, Facebook…

Mercredi 27 décembre

 Un programme de deux jours avait été prévu pour la visite de Recep Erdogan en Tunisie. Il n’y resta qu’une demi-journée. Pourquoi ? On devrait le savoir bientôt. Le président turc a quand même pris le temps de participer à une conférence de presse au cours de laquelle il a notamment déclaré qu’il n’y avait pas de solution possible en Syrie sans le retrait de Bachar al-Assad. On serait étonné qu’il prononçât pareille sentence privé de l’aval de Poutine.

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 Dans les pages politiques, l’on apprend que Macron prépare un durcissement du contrôle des chômeurs. Dans les pages économiques et financières, l’on démontre qu’en cette année qui s’achève, les 500 plus grandes fortunes ont vu leur capital augmenter de 23 %. L’hôpital ne se moque plus de la charité, il la méprise.

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 L’Échange des princesses est un roman historique de Chantal Thomas (éd. du Seuil, 2013) qui narre un épisode peu connu du règne naissant de Louis XV (1721 – 1725) où, dans un souci de paix avec l’Espagne, des mariages sont envisagés qui se traduiront par des fiascos, indépendamment des épouses dont l’assentiment n’intervenait guère dans le dessein diplomatique. Marc Dugain en a tiré un long métrage avec une distribution élégante : Olivier Gourmet, qui tourne beaucoup, péremptoire en Philippe d’Orléans ; Laurent Wilson parfait même si un peu trop théâtral en Philippe V ; Catherine Mouchet très bonne en Madame de Ventadour ; et la chère Andréa Ferréol inoubliable dans La Grande bouffe, qui interprète ici la princesse Palatine. Chez les jeunes, il faudra suivre Igor Van Dessel, excellent dans le rôle de Louis XV a 13 ans, et plus encore Juliane Lepoureau, 9 ans et déjà du métier, qui possède une petite filmographie à son actif, et qui est, ici, étincelante en Marie-Victoire promise au roi de France. Un très bon divertissement illustré par des costumes et des décors magnifiques.

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 Gérard Depardieu (69 ans aujourd’hui) est né le même jour que Marlène Dietrich mais 47 ans plus tard. La presse pipeule veut y déceler une filiation. En ce cas, elle ferait bien de considérer aussi Michel Piccoli, 92 bougies à souffler ce soir.

Jeudi 28 décembre

 Les supporteurs du Paris Saint-Germain sont heureux : leur ancienne vedette, George Weah, 51 ans, est brillamment élu président du Liberia. Ils ont raison : un président africain qui, accède à la charge suprême de son pays par la voie démocratique après avoir brillé au Parc des Princes, c’est mieux que de confier ce Parc à d’autres princes gorgés de pétrodollars qui méprisent le système démocratique.

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 Titre du Point dans son édition numérique du soir : Croissance : la France doit-elle dire merci à Hollande ou à Macron ? Et en chapeau à l’article : Depuis l’arrivée du nouveau président à l’Élysée, tous les signaux économiques sont au vert. Mais doit-il pour autant récolter les lauriers de cette dynamique ? Poser la question, c’est y répondre. Du reste, Macron en personne le reconnaît dans un entretien paru hier dans El Mundo et parle d’ « effets tardifs des efforts de ces dernières années »…

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 Souffler le chaud et le froid… Ça fait froid dans le dos… Peu me chaut… Raymond Devos n’avait pas construit de sketch sur ces formules. Aujourd’hui, Le Figaro l’aurait inspiré en titrant : « Les vagues de froid polaire sont bien liées au réchauffement de la planète ».

Vendredi 29 décembre

 Raymond Devos est mort sans jongler sur le chaud et le froid. Trump, lui, ne s’en prive pas. Mais comme il ne fait pas le même métier, il ne fait pas rire. Profitant de la vague de froid polaire qui sévit dans le Nord des Etats-Unis, il ricane une nouvelle fois sur le phénomène de réchauffement climatique, entraînant à coup sûr de nombreux citoyens au nom du bon sens. Devos, expert en nuances sémantiques, aurait volontairement amalgamé les notions de climat et de météo pour bâtir ses monologues déroutants. Trump ne fait pas de différence entre le climat et la météo. Pire : il les confond. Si c’est par bêtise, c’est déplorable et condamnable. Si c’est par tactique, c’est détestable et encore plus condamnable.

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 Le mot le plus révélateur de l’année qui s’achève est incontestablement la notion de fausses informations (fake news, l’anglicisme a de nouveau triomphé), une donnée qui bousculera les comportements d’une manière encore inimaginable. Une autre expression capte aussi le goût du jour : l’obsolescence programmée, qui décrit la façon, pour un fabricant d’objets (ceux de la communication représentent les cas les plus courants) de les programmer afin qu’à court terme, ils apparaissent obsolètes par rapport à leur nouveau modèle lancé sur le marché. Ainsi le capitalisme renouvelle ses profits plus rapidement, sans non plus se demander comment la planète pourra digérer ses nouveaux déchets qui arrivent en masse plus vite qu’ils ne le devraient. Dans la décennie septante, après les deux chocs pétroliers, Michel Rocard donnait partout des conférences dans le but (et l’espoir) de motiver une citoyenneté responsable capable de déboucher sur une autre forme de société. Au cours de ses exposés, il dégageait un long moment afin de démontrer combien il était possible de « faire durer les objets », cette façon d’agir entraînant une petite révolution du quotidien. On est, aujourd’hui, très exactement à l’opposé de cette pratique.

Samedi 30 décembre

 « Loger tous les sans-abri d’ici à la fin de l’année » fut l’engagement le moins crédible dans la campagne d’Emmanuel Macron, au printemps dernier. Comme il fallait s’y attendre, le président n’y est point parvenu. Malgré des efforts louables et des résultats certains, il ne parviendra pas davantage l’an prochain. Car ce n’est pas un homme qui peut éradiquer la misère, c’est un système économique, et Macron n’est pas prêt à remettre en question celui qui fonctionne actuellement. D’ailleurs, il s’en sert. Au temps de la prospérité, même si les sixties n’étaient pas golden pour tout le monde, les sdf s’appelaient clochards ; ils illustraient la poésie des bords de Seine parisiens et Maurice Chevalier les avait célébrés grâce à sa chanson Ma Pomme. Á l’heure du déjeuner, l’émission radiophonique Sur le banc inspirée du film éponyme (Robert Vernay, 1954) mettait en saynètes Jeanne Sourza et Raymond Souplex dans la conversation populaire du casse-croûte. Des cartes postales représentant des clodos réjouissaient les touristes et leurs lointains destinataires. La désespérance était joyeuse. Jusqu’à présent, l’hiver n’est pas rude et les sans-abri que Macron n’a pas relogés peuvent encore survivre dans les rues. Ils ont pour la plupart perdu leur identité. Ils ne possèdent donc pas non plus une carte d’électeur. Mais ils savent la différence entre une promesse et un engagement.

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 Si Karin Viard n’avait pas été disponible pour assumer le rôle principal de leur film, on se demande si David et Stéphane Foenkinos auraient pu réaliser Jalouse. Cette histoire de femmes semble en effet tout à fait bâtie pour mettre en évidence ses talents vigoureux, chatoyants et bigarrés. Car l’exercice est moins simple qu’il n’y paraît. Être tantôt insupportable mais désirable et tantôt amoureuse ; être tantôt mère emmerdeuse et tantôt mère affective ; être tantôt amie protectrice et tantôt amie exaspérante ; sourire ici et râler là… Ce n’est pas donné à n’importe quelle comédienne, surtout si ces multiples personnages en un seul constituent le pivot – et le seul aussi – de la narration. Avec son interprétation dans Jalouse, Karin Viard prouve – à qui l’ignorait encore – qu’elle est une grande comédienne. Elle a au moins vingt-cinq ans devant elle pour fortifier sa carrière. Puissent les scénaristes et autres metteurs en scène lui donner des rôles où elle se réalisera, où elle éclatera.

Dimanche 31 décembre

 Joseph Kabila aurait dû accomplir aujourd’hui son dernier jour à la tête du Congo. Des manifestations le lui rappellent à Kinshasa. S’attendre à des violences est devenu banal. Enregistrer une nouvelle date pour l’élection présidentielle – en l’occurrence le 23 décembre 2018 – est devenu loufoque. Des vœux pour le Congo ? Un casse-tête.

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 Le cinéma français avait perdu sa centenaire célèbre, Danielle Darrieux, le 17 octobre. Il en retrouve une aujourd’hui en la personne de Suzy Delair. Celle-ci est à la vulgarité ce que l’autre était à l’élégance. Jouvet la trouvait arriviste. Peut-être faisait-il allusion à ses années de collaboration où elle vantait les mérites de Joseph Goebbels qui soutenait son mari de l’époque, Henri-Georges Clouzot. Depuis Les aventures de Rabbi Jacob (Oury, 1973), Delair était un peu sortie des écrans. Delair n’effacera pas Darrieux des mémoires. En termes de record de longévité, qu’elle ne fasse cependant pas oublier non plus les 106 ans de Renée Simonot, la mère de Catherine Deneuve, actrice moins connue mais très bonne comédienne.

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  Une photo pour le passage à l’an neuf : celle des chutes du Niagara transformées en glaces. On pense à un tableau de Caspar Friedrich. On pense aussi à la chanson hardie de Julien Cherc (Niagara, Clerc – Roda Gil, 1971).

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« Tu vas faire monter la Seine … Ne va pas faire une baignoire d’un petit rien »

Soyons certains qu’en 2018, il y aura encore des petits riens qui causeront de grands tout.

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