A qui appartient Bruxelles ?

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Une politique sociale cohérente commence par loger les sans-abris et puis les réinsérer dans la société. Photo © Jean-Frédéric Hanssens

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Bonne question ! Une ville appartient-elle à ses habitants ? Aux pouvoirs politiques ? Aux propriétaires immobiliers ? Aux groupes immobiliers ? La réponse est le reflet d’une réalité complexe, le résultat d’une longue histoire de vie urbaine : la ville appartient à tous ceux qui en ont les moyens ! Et c’est bien là le problème : les populations les plus défavorisées sont exclues de la propriété du logement et sont soumises aux lois de l’offre et de la demande en matière locative. Donc, elles paient trop cher la possibilité de se loger à un coût décent dans le privé et plus de 40.000 ménages sont en attente de logement social.

Quelles alternatives possibles ? En tracer les contours était le sujet d’un colloque « A qui appartient Bruxelles ? Pour des politiques de logement anti-spéculatives », organisé par le Rassemblement bruxellois pour le droit à l’habitat, Brussels Academy, Cosmopolis, IRIB et l’Université Saint-Louis.

Lutter contre la spéculation immobilière

La sacro-sainte propriété privée n’est pas si intangible que cela, constate d’emblée le professeur Nicolas Bernard auteur d’une étude juridico-philosophique sur « la propriété et ses limites » et il y a divers moyens à mettre en œuvre pour lutter contre la spéculation. Il cite par exemple les bénéfices en cas de revente et en cas de location. On pourrait reculer la date de revente d’un bien à 5 ans pour bénéficier des ristournes sur les droits d‘enregistrement, mettre le bien à disposition d’une politique sociale de logement et bénéficier d’un taux de TVA de 12% si un acteur social s’occupe de la location, augmenter le taux d’imposition sur la plus-value, taxer les loyers réels, contrer les subdivisions illégales d’unifamiliales, aider les bailleurs à bénéficier de primes à la rénovation s’ils appliquent la grille indicative des loyers (https://loyers.brussels/ ), mettre une partie du bien en location même s’il s’agit d’une résidence principale, ristourner à l’Etat une partie de l’aide publique, etc.

De beaux débats en perspective avec les propriétaires. Des milliers de logements pourraient être accessibles à ceux qui en ont besoin si l’on pratiquait une politique plus volontariste d’encadrement de loyers, de pénalisation des marchands de sommeil et autres propriétaires indignes dont beaucoup tirent de grands bénéfices de l’exploitation des plus démunis. Les exemples de multipropriétaires bruxellois qui émargent de l’aide sociale alors qu’ils entassent de plantureux revenus sont malheureusement nombreux et les pouvoirs publics trop faibles pour enquêter et réprimer ces dérives. La lutte contre les logements vides, très nombreux eux-aussi, est longue et difficile malgré l’existence d’une ordonnance permettant aux pouvoirs publics une sévérité accrue envers des propriétaires défaillants.

Ces pistes sont d‘autant plus intéressantes qu’elles permettent de multiplier des possibilités de logements à prix sociaux sans attendre la construction de logements sociaux, qui nécessite des procédures longues et qui rencontre trop souvent l’opposition d’habitants de quartiers plus riches de Bruxelles. La peur du pauvre et surtout de l’étranger bloque nombre de politiques sociales malheureusement. Créer des logements à prix sociaux un peu partout dans la ville permet d’éviter des ghettos de logements sociaux mal vus par les voisins et par les locataires eux-mêmes qui craignent la stigmatisation.

Disjoindre le foncier du bâti

Une piste très prometteuse est le « community land trust » ou la possibilité de disjoindre le prix du foncier de celui du bâti, le foncier restant propriété commune par le biais d’associations travaillant avec les pouvoirs publics. Le bâti coûtant ainsi moins cher est plus accessible à la propriété par des personnes en situation plus précaire. Des groupes d’habitants peuvent ainsi édifier une vie collective tout en étant propriétaires privés participant à une gestion en commun de logements. Ce phénomène pourrait être intensifié par des politiques plus volontaristes, notamment en incitant les pouvoirs publics à rester propriétaire de leur foncier, ou encore, en rendant l’achat de terrains moins avantageux fiscalement pour des privés.  Lors de ce colloque, un exemple très intéressant a été expliqué par des Londoniens membres de StART (St Ann’s Redevelopment Trust), un community land trust qui utilise les loyers des terrains d’un ancien hôpital pour le bien commun, à savoir la promotion de la santé, du bien-être et la création d’un environnement vert. (facebook.com/StARTHaringey)

Il y a de l’avenir dans ces formes de gestion collective du foncier et de l’immobilier. On constate de nombreuses initiatives de types coopératives, de solidarité intelligente, d’innovation sociale et durable qui fleurissent un peu partout dans les villes. A nos gestionnaires de les encourager. Ils en ont les moyens : ceux des logements sociaux qu’on n’arrive pas à construire.

L’appel des municipalistes

A une échelle plus vaste, celle de la mondialisation capitaliste, un des conférenciers a développé, chiffres à l’appui, l’action dévastatrice des grands acteurs financiers qui, en recherche de placements sûrs, se précipitent sur l’immobilier et particulièrement le logement. Là aussi, les pouvoirs publics sont dépassés. Or, leur rôle serait de réguler ce marché et rendre sa mission sociale au logement. De plus, les investissements devraient se faire dans de nouveaux logements et pas dans le stock existant ce qui accroît sans cesse leur prix et les loyers.  

Résultat : plus de gens tombent dans la pauvreté et ne trouvent pas de place dans des logements sociaux gérés par des pouvoirs publics démunis de moyens financiers. La population des sans-abris s’accroît ce qui devient financièrement insupportable pour les collectivités locales. Le phénomène touche toute l’Europe au point que les responsables locaux ont publié en juillet 2018 à New York une « Déclaration municipaliste des gouvernements locaux pour le droit au logement et le droit à la ville » (https://citiesforhousing.org/fr/) résolument anti mondialisation néolibérale !

Bruxelles, ville région et capitale de l’Europe n’a pas encore signé cette déclaration. Et pourtant, sa politique du logement pour tous s’en trouverait confortée.

Conclusion de ce colloque par le Rassemblement bruxellois pour le droit à l’habitat: « la terre est un bien précieux qui doit rester dans les « communs » d’une ville, surtout Bruxelles qui n’est pas extensible, le logement est un droit fondamental et non une marchandise. Bruxelles est à nous, aux Bruxellois ! »

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