A la Maison du Livre de Saint-Gilles, le roman de José-André Lacour

Chemins de traverse

Par | Journaliste |
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Né à Gilly en 1919 et mort à Paris en 2005, José-André Lacour fut un grand écrivain. La Maison du Livre de Saint-Gilles lui rend hommage grâce à une exposition qui donne à comprendre la trajectoire de l'artiste comme de l'être humain passionné. Photo © Marcel Leroy

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Hasard de la vie. Serait-ce le fait d'avoir appris à lire et à écrire dans la même école que lui, dans le quartier du Sart-Allet, à Gilly, trente ans après son passage, qui me rend si proche du ton de José-André Lacour? Dans le train du soir qui me ramenait de Bruxelles, après avoir écouté parler de son  oeuvre à la Maison du Livre de Saint-Gilles, je pensais à cette phrase qui ponctuait ce qui fut peut-être un de ses derniers textes, vers 2004. Robert Collard, du Cercle d'Histoire de Gilly, avait demandé à l'auteur carolo de Paris un avant-propos pour un document de 400 pages sur les rues de la commune qui s'inscrit dans le territoire de Charleroi. L'homme évoquait ces souvenirs qui vous marquent pour la vie. Un café avec des personnages, l'école et son arbre au milieu de la cour de récré, le tram rempli de silhouettes qui dévale la chaussée. Ses dernières lignes nous confiaient ceci: "C'était hier tout ça, un hier si lointain qu'on dirait parfois l'avoir rêvé. Mais on sait que les rêves c'est, après tout, ce qu'il y a de plus réel dans la vie". Relisant à  voix haute, j'entends l'écrivain dire son métier. Sa longue quête pour parler du monde au départ de personnages qui s'inscrivent dans les décors de leur temps, dans les méandres de leur époque.

José-André Lacour aurait eu 100 ans cet hiver. A la Maison du Livre de Saint-Gilles, des livres, des affiches, des photos, des peintures et autres documents permettent d'entrer dans l'univers d'un nombre impressionnant d'écrits. Des romans policiers signés sous divers pseudonymes - par exemple,  Benoît Becker-, des romans érotiques, des romans "romans", des pièces de théâtre, un film, des articles, des séries de télévision, des lettres. Lacour avait aussi l'art du conteur car il était un observateur passionné par les milieux qu'il découvrait. Quand, au cours d'un repas, il se mettait à raconter une histoire, c'était du grand cinoche, disent les gens qui l'ont connu. Avec des couleurs, des temps forts et des espaces de silence, vite comblés par un rire un peu dingue. Lacour avait le sens de l'humour, c'est sûr!

Danielle et Anne, les filles de José-André Lacour et de Gerty Colin (écrivaine elle aussi, elle joue un rôle essentiel dans l'exposition), avec José-Louis Bocquet, écrivain et petit-fils de Lacour, se sont plongés dans les archives familiales pour révéler l'être. Et l'oeuvre que Jacques De Decker, Secrétaire perpétuel de l'Académie Royale de langue et de littérature française de Belgique, défend à l'entame du beau livret qui complète la visite. Titre: "José-André Lacour, le retour". Texte:"Toutes les littératures dignes de ce nom ont leurs revenants. Dans les lettres belges, José-André Lacour est taillé pour le rôle. Né il y a cent ans, il s'est fait trop discret depuis sa disparition prétendue. La Maison du Livre le remet sur le pavois: celui d'un auteur de légende, qui apparaît dans toute son ampleur. Son ultime roman ressort, une exposition le ressuscite, les pages qui suivent vous mettent sur la piste. A l'aventure".

Deux heures durant, rythmée par les questions du public, la conversation a vagabondé autour de l'écriture, de l'histoire, d'écrivains, de villes, de trajectoires, de rêves et d'illusions perdues, de voyages et des livres qui réunissent les êtres. Rivière, Baronian, Boudart, de Decker, Bocquet, chacun à leur manière, ont emmené les gens sur la piste d'une oeuvre qui ne perd pas son éclat. Qui serait du niveau de celles de Jean Ray et de Simenon. De "Venise en Octobre", publié en 1958, bruisse cette mélodie qui ne pâlit pas. En voici les premières notes..."Ceci est l'histoire de Boby Saxalto, un garçon qui voulait aller à Venise en octobre. Il jouait du saxophone et c'est pourquoi on l'avait surnommé Boby Saxalto, mais ce n'était pas son vrai nom. Il jouait merveilleusement, ses tempes se gonflaient et, de votre mémoire qui l'écoutait naissaient des songes terribles, lorsqu'on entendait jadis le vieux Bix Beiderbecke ou qu'on écoute, de nos jours par une nuit trempée d'étoiles et de regrets, Don Byas. Mais ce n'est pas pour vous que Bobby jouait, c'est pour une fille qui n'était pas encore apparue dans sa vie, mais elle viendrait, elle ne verrait jamais qu'il boitait et avec elle il irait à Venise en octobre. Ceci est l'histoire de Bobby Saxalto, et de cette fille, pour qui il  jouait déjà avant sa venue mais elle ne vint qu'une saison et il ne joua qu'une fois pour elle. Elle s'appelait Eve".    

A la fin de cette rencontre, Joëlle Baumerder, l'animatrice de la Maison du Livre, se leva pour dire que l'on venait de vivre un moment de grâce, et demander quelle pourrait être la suite de ce moment. Il faudrait se retrouver pour évoquer des bouquins et des écrivains, défendre une exposition qui devrait être montée en d'autres lieux. Pourquoi pas à Charleroi, se disait-on, la ville où Lacour revint toujours, sur les traces de sa mémoire. Et c'est à tout cela que, dans le train du soir me ramenant de Bruxelles à Charleroi, je songeais, tout en parcourant le livre qui m'avait été donné par José-Louis Bocquet. Auteur de romans et de scénarios de BD, de romans graphiques, José-Louis, en reportage à Charleroi pour "Le Journal des Lointains", était passé devant les bureaux de Dupuis. Il n'imaginait pas, José-Louis, revenir plus tard dans la ville natale de son grand-père pour diriger une des collections de la maison qui a vu naître Spirou. Hasard de la vie.


- L'exposition "José-André Lacour, le caméléon des lettres belges",  est ouverte jusqu'au 13 décembre, à la Maison du Livre, 28 rue de Rome  1060 Saint-Gilles (Bruxelles)

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- "Le Rire de Caïn", qui date de 1980, est réédité par La Table Ronde. 

De gauche à droite, les protagonistes d'une rencontre autour d'un auteur: François Rivière, Jean-Baptiste Baronian, Laurence Bougard, Jacques De Decker et Marcel Leroy, plaident pour la redécouverte du "Rire de Caïn". De portée universelle, ce roman s'ancre dans l'histoire si complexe de la Belgique. Photo José-Louis Bocquet.

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