11/11/1918 : arrêt de la grande boucherie

Les calepins

Par | Penseur libre |
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Jeudi 1er novembre

 Tandis qu’à la rentrée scolaire de septembre, deux illuminés avaient proposé de supprimer la règle du participe passé en le plaçant systématiquement au masculin (ce qui, à l’époque de # Me too, était déjà une faute stratégique), certaines féministes militent pour l’écriture inclusive. Terminer les substantifs par un point et une voyelle est vraiment stupide (les ami.es et mes ennemi.es… ) Bernard Cerquiglini, éminent linguiste, approuvé par sa collègue Marie Treps, rappelait récemment que l’identification résidait dans l’article et non pas dans le mot. Il est donc plus convenable, d’après lui, d’écrire une professeur si, contrairement à éducateur, l’usage n’a pas prévu de féminin. C’est assez logique. Ainsi, cela éviterait des sottises comme le féminin de cafetier devenant cafetière ou des complications comme avec médecin ; une femme médecin se disant une médecin et non pas une médecine… On ne peut en effet que souhaiter l’arrêt des élucubrations les plus tordues au nom d’une revendication sociétale que la langue serait censée encourager. Le seul combat -  vital celui-là, et non pas destructeur – en faveur de la langue française est la lutte contre les anglicismes. Si le langage informatique a amplifié considérablement l’invasion, rajouter d’autres appropriations n’est vraiment pas nécessaire, surtout quand le mot existe et qu’il a toute sa place. Pourquoi parler de coach alors que l’on s’exprimait très bien autrefois avec « entraineur » ? Pourquoi dire challenge plutôt que « défi », life plutôt que « vie » ? D’autant que parfois, l’emploi du terme de l’autre modifie le sens : « supporter » signifie « assumer une charge » ou « subir quelque chose » ou « résister à l’effet de quelque chose » et non pas « soutenir un compétiteur »…Évidemment, quand Christine Lagarde s’exprimait en anglais avec ses collaborateurs à Bercy, quand Emmanuel Macron s’adresse aux étudiants berlinois en anglais, cela n’arrange pas les affaires de la langue française, si belle, si précise… Lorsque le Brexit aura été accompli, ce sujet de discussion deviendra effectif. Mais en ce moment-là, en principe,  l’avenir de l’Europe sera en débat dans la campagne pour le renouvellement du Parlement et d’autres domaines, plus graves, écloront. Mais que celles et ceux qui débattront aient conscience du rôle politique de la langue, de ce qu’elle symbolise et des rapports de force qu’elle sous-tend. Comme le savaient de Gaulle et Mitterrand. Et que chacun médite cette célèbre phrase d’Albert Camus : « J’ai une patrie : la langue française. »

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 Non. J’irai cracher sur vos tombes, roman que Boris Vian publia en 1946 sous le pseudonyme de Vernon Sullivan, n’est pas un titre à évoquer en ce jour de Toussaint. Ce que l’on sait moins, c’est que l’année suivante, il publia un autre roman, toujours sous le même pseudonyme, intitulé Les morts ont tous la même peau, une autre histoire d’hommes blancs et de femmes noires, à moins que ce ne soit le contraire… On ne s’intéresse plus beaucoup à Boris Vian. C’est dommage. Ainsi, personne n’a encore souligné que Macron lui ressemblait comme deux gouttes d’eau… Le visage bien sûr, pas l’esprit.

Vendredi 2 novembre

 Trump à la chaîne ABC : « J’essaye vraiment toujours de dire la vérité ». Une camisole, un bâillon ou un psy ?

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 Sur sa lancée d’Ida, Pawel Pawlikowski a voulu réaliser un film triste. Avec Cold war, c’est réussi. Le format carré concentre les scènes sans largesse de décor et le noir et blanc accentue le climat narratif, d’autant que la majeure partie du film se déroule le soir ou par temps gris. Le soleil n’existe pas dans ces images-là, même quand l’histoire se passe à Paris. La Ville lumière est aussi sombre et lugubre que Berlin en zone soviétique, que la banlieue de Varsovie ou que la gare de Zagreb. Contrairement à Hemingway, le cinéaste ne considère pas que Paris soit une fête. C’est le seul véritable reproche que l’on peut lui adresser : l’atmosphère des amoureux est plate, horizontale, pareille en tous lieux. On penserait qu’ils vivent un amour impossible. Ce serait plutôt un amour compliqué, un amour contrarié par le joug stalinien, impitoyable, par l’exil forcé comme par l’exil consenti, par le mal du pays comme par l’enfer du mal-être. C’est glauque et pessimiste, mais l’amour triomphe, un triomphe tragique mais un triomphe quand même. Donc un grand film, que les romantiques auraient adoré.

Samedi 3 novembre

  Le référendum qui se déroulera demain en Nouvelle-Calédonie devrait confirmer la volonté de la population à demeurer attachée à la France. Mais hormis la participation au scrutin – un chiffre toujours intéressant permettant de mesurer l’intérêt du citoyen à la chose publique – on sera aussi attentif à un phénomène que l’Occident connaît de manière assez percevable : une différence de choix entre les électeurs des villes et les électeurs ruraux. Si la nuance est devenue différence, c’est qu’elle se vérifie aussi bien en Turquie qu’aux Etats-Unis, sans omettre les pays de l’Union européenne, bien entendu. La tendance s’affirmerait aussi dans l’hémisphère sud que l’on pourrait considérer cette césure, abcès démocratique à travers un suffrage universel bancal, étendue de manière planétaire.

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 Adeline Dieudonné s’est déjà fait remarquer par la critique littéraire grâce à ses nouvelles. Son premier roman, La Vraie vie  (éd. L’Iconoclaste) est salué à un point tel qu’il est désormais périlleux de participer à un dîner en avouant ne pas l’avoir lu. L’écriture est en effet très originale et annonce peut-être un nouveau « petit monstre », comme Mauriac le disait de Sagan. La première qualité d’un grand romancier est d’utiliser un langage compréhensible par tout un chacun. Chez Dieudonné, l’éparpillement de termes scientifiques ou de mots rares déforce un peu le style bien personnel. La recherche d’un vocabulaire qui oblige le recours au dictionnaire ne révèle pas un talent. En revanche, le jeu des métaphores, l’originalité des comparaisons, elles aussi très fréquentes, rehaussent l’intérêt de la lecture. Quant à l’histoire, très cruelle, si elle ne séduisait pas un cinéaste ou un metteur en scène, ce serait à désespérer. Il y a plus d’un demi-siècle que Claire Etcherelli a reçu le prix Femina pour Élise ou la vraie vie (éd. Denoël). Voici une autre vie très différente mais aussi vraie qui pourrait s’inscrire au palmarès.

Dimanche 4 novembre

 75 % de participation, 57 % de « non à l’indépendance » de la Nouvelle-Calédonie, de bons résultats pour requinquer un peu Macron avant qu’il ne se lance dans un tour de France des commémorations du centième anniversaire de l’Armistice. Comme on pouvait le supposer, le « oui » est plus marqué dans les campagnes tandis que le « non » triomphe à Nouméa et dans les villes. Il est vrai que la communauté kanake, depuis longtemps indépendantiste, appartient surtout à la terre.

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 Le film libanais Capharnaüm, de Nadine Labaki, avait reçu trois prix à Cannes : celui du Jury, celui du Jury œcuménique, et celui de la Citoyenneté. C’est une œuvre époustouflante, tournée dans des lieux réels, avec des acteurs amateurs dont la plupart sont des réfugiés et des sans-papiers. Depuis Les Misérables de Victor Hugo, on n’avait plus été mis en présence d’une description aussi poignante de la misère, de ses effets permanents et de ses conséquences, d’autant que les héros principaux de cette terrifiante fiction voisinant avec le documentaire sont des enfants. Il sera difficile de montrer l’extrême pauvreté de manière plus saillante.

Lundi 5 novembre

 Une semaine pour honorer la fin de la Grande Guerre. Retenir que le 11 novembre 1918, on ne fêta pas la victoire, on chanta l’arrêt de la boucherie en évoquant la mort des copains, des amis, des membres de la famille ; en s’occupant des invalides, des cassés, des troués ; Ceux de ’14 comme les célébrait Maurice Genevoix (possible pivot d’une panthéonisation à laquelle réfléchit Macron paraît-il…) En mêlant le plus-jamais-ça au tout-ça-pour-ça… . Que toutes celles et tous ceux qui prononceront des discours, depuis le maire jusqu’au président de la République, se souviennent de cette précision de l’historien britannique et fondateur du droit anglais F.W. Maitland : « Nous devrions toujours garder à l’esprit que ce qui appartient aujourd’hui au passé faisait autrefois partie de l’avenir. »

Mardi 6 novembre

 L’économie américaine ne s’est plus portée aussi bien depuis de nombreuses années. Il faut remonter au siècle passé pour connaître un aussi haut taux de croissance et un aussi bas chiffre de chômage. Á l’instar de certains financiers italiens (mais aussi des ouvriers…) qui, encore aujourd’hui, soulignent que « Benito Mussolini n’était pas si mauvais que ça… », il importe de considérer que malgré ses turpitudes, Trump pourrait passer le cap des Midterms allègrement. Les témoignages en provenance des Etats-Unis ne donnent pas au téléspectateur européen une image objective du corps électoral. Ce fut le cas il y a deux ans avec l’élection présidentielle, ce l’est encore probablement ces jours-ci. Si les ours ne sont pas une espèce en voie de disparition, c’est grâce à tous ceux dont on vendit la peau avant de les tuer.

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 Philippe Lançon, miraculé plus que rescapé de la tuerie du 7 janvier 2015 à Charlie Hebdo, écrivit un témoignage poignant (Le Lambeau, éd. Gallimard). Dès la parution des premières critiques, on comprit qu’il faudrait compter avec ce livre lorsque viendrait la saison des prix littéraires. C’est le jury du Femina qui le couronna. Tout est bien.

Mercredi 7 novembre

 Lors des soirées électorales, chaque compétiteur s’efforce de mettre l’accent sur les aspects positifs de ses résultats, ce qui est bien naturel mais qui provoque parfois l’ironie du téléspectateur. « Ils ont tous gagné ! » entend-on dans les chaumières. L’impression peut verser dans ce constat. Après tout, il appartient au citoyen d’évaluer lui-même les chiffres et d’en tirer les conclusions plutôt que de gober les interprétations forcément subjectives des protagonistes. Ainsi, quand Donald Trump perd sa majorité à la Chambre et qu’il revendique en s’exclamant « un immense succès », il ne met pas en évidence une face du scrutin qui lui serait favorable, il se fout de la gueule des Étatsuniens. Cela dit, la vague démocrate est loin d’être un raz-de-marée. Elle se traduit même par un reflux au Sénat. Il faudra donc que le Parti démocrate soit uni, et bien uni dans une cohérence positive s’il veut peser  sur la deuxième partie du mandat présidentiel au point de la contrarier ou de la déjouer. Quant au Parti républicain, il s’est tout simplement trumpisé, ce qui pourrait atténuer la compétition en son sein pour la candidature de 2020. Attention cependant : un fou peut être dangereux ; s’il devient trop sûr de lui, il peut devenir très dangereux.

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 Était-ce bien nécessaire, dans son parcours de commémorations ’14-’18, que Macron rende hommage au Maréchal Pétain en soulignant le fait qu’il fut « un grand soldat » ? Le vainqueur de Verdun a vécu trop vieux. Il fut frappé d’indignité nationale après avoir aboli la République, nourri la collaboration, élaboré un statut pour les juifs, réprimé les résistants, favorisé la déportation, encouragé les rafles, couvert les crimes de la milice. Le citer parmi les héros de la Grande Guerre, c’est respecter l’Histoire. Le célébrer, c’est commettre une erreur inutile. Il y a des moments où, quand on gouverne, il est bon de laisser dormir le remords.

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 Les moins de cinquante ans n’ont pas eu l’occasion de vivre la parution de Tombeau pour cinq cent mille soldats de Pierre Guyotat, mais ceux qui ont eu vingt ans en 1968 s’en souviennent comme ils retiennent aussi dans leurs bagages de lecteur Eden, Eden, Eden qui n’échappa point à la censure du triste Raymond Marcellin, ministre de l’Intérieur gaulliste, maire de Vannes, un nom qui convenait bien à sa personnalité. Auteur maudit, constamment décrié, souvent censuré, rejeté par certaines maisons d’éditions qui s’inquiétaient de procès à couvrir à cause des liens entre sexe et violence alors qu’elles publiaient Sade, Pierre Guyotat est un des plus importants écrivains du XXe siècle. Grâce au prix Médicis qu’il vient d’obtenir pour son livre Idiotie (éd. Grasset), il marquera aussi le XXIe. Avec Eden, Eden, Eden, il manqua le prix Médicis à une voix près en 1970. 48 ans plus tard, le voici au palmarès. Enfin! Fondé en 1958, le prix Médicis couronne un roman, un récit ou un recueil de nouvelles dont l’auteur débute ou n’a pas encore une notoriété correspondant à son talent. En 1970, Pierre Guyotat avait 30 ans. Il répondait donc à la première condition d’octroi. Désormais, il répond à la seconde.

 

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