L'histoire et son unique leçon

Poing de vue

Par | Journaliste |
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Déclaration d'amour dans l'Huma dimanche (capture d'écran)

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Il y a tout juste 70 ans, Staline, le petit père des peuples, mourait dans la désolation générale. L’événement apparut tellement considérable que Moscou cacha pendant six jours la mort simultanée (encore que n’ayant rien à voir) de Serge Prokofiev, dont la réputation dans ce qu’on appelait le monde libre était telle qu’elle aurait pu lui faire un tout petit peu d’ombre. Il n’est pas intéressant, aujourd’hui, de se pencher sur Joseph Staline, qui connaît un retour en grâce inattendu dans la Russie poutinienne, notamment en rapport avec la guerre en Ukraine. Le vocabulaire des deux maîtres du Kremlin, à quelques décennies de distance, semble pratiquement identique, ainsi que la volonté de se créer des marches occidentales, serait-ce au prix du sang, et une manière de réécrire l’histoire en sa faveur qui a de quoi inquiéter.

Notons tout d’abord que l’analyse (certes rapide) de quelques archives de presse de l’époque a de quoi réjouir l’historien et faire rougir le journaliste. On dit souvent que le journaliste est l’historien de l’instant; admettons. Admettons (ou espérons) encore que sa culture historique soit suffisante mais constatons qu’une fois encore, l’avenir prédit ne se passe pas du tout comme attendu. Les experts en tout genre ne font pas mieux, notons-le aussi. Les pronostics pour la succession furent déjoués en quelques mois par Nikita Khrouchtchev et les sombres ou amusantes prédictions, démenties dans les faits.

Quelques exemples?

L’AFP nous communique que l’amiral Stanley, ancien ambassadeur américain en URSS, pense que la mort de Staline va engendrer une révolution. L’agence nous apprend également qu’un autre ancien ambassadeur, Averell Harriman, qui passe pour l’Américain ayant le mieux connu Staline, parle d’une chance inespérée dissimulant un danger sérieux car la fin de Staline va ouvrir une période d’extrême tension à travers toute la Russie et même dans les pays satellites. Le pittoresque général Van Fleet, celui qui voulait gagner la guerre de Corée façon Hiroshima, nous affirme Reuter, paraphrase un slogan bien connu outre Atlantique en déclarant que le seul bon communiste est le communiste mort. Jacques Duclos, qui plus tard recueillit 22% des suffrages à l’élection présidentielle française, au nom du PCF, y va d’un prophétique souhait de guérison à propos du guide génial des travailleurs du monde, l'architecte du communisme, le défenseur le plus sûr de la paix et de l'homme. La CGT rappelle ce qu’elle doit, enfin, la classe ouvrière de France, à Staline, le plus fidèle défenseur de la paix dans le monde et l'ami le plus sûr des prolétaires du monde.

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Qu’on se rassure: le pouvoir en place en France, plutôt très éloigné du communisme en 1953, y va aussi fort. Le Monde cite le président Vincent Auriol, qui a fait prendre des nouvelles du maréchal à l'ambassade de l'URSS et exprimé les vœux les plus sincères pour l'amélioration de sa santé. Le secrétaire général du ministre des affaires étrangères, lui, a fait parvenir l'expression de sa sympathie pour l'état de santé du généralissime Staline et demandé qu'on veuille bien le tenir au courant de l'évolution de la maladie, exprimant l'espoir qu'une guérison prochaine mette fin aux inquiétudes actuelles.

Ces souhaits n’ont pas empêché le petit père des peuples de faire comme tout le monde, mourir, et ces prédictions n’ont jamais affirmé qu’il y aurait si vite une (incomplète) déstalinisation qui cesserait d’occulter les horreurs commises. Mais ne croyez pas qu’il suffise d’avoir rétabli une vérité, ou plutôt une exactitude, pour qu’elle soit permanente: aujourd’hui, Staline est considéré par une grande partie de la population russe comme un grand homme. Une nostalgie se créée, Vladimir Poutine en profite. Adolf Hitler a un bel avenir devant lui. Si l’histoire a une seule leçon claire, c’est que les leçons de l’histoire ne résistent pas à l’usure du temps et à la folie des hommes.

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