Yola, mettre en scène notre culture picturale.

Street/Art

Par | Penseur libre |
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Fresque de Yola, quai de la Loire, Festiwall, Paris, juin 2018.

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Lecture 7 min.

Pour la troisième année, la galerie The Wall 51, l’association DAM et la mairie du 19ème arrondissement de Paris ont organisé, en juin, le Festiwall. Le « line-in » était impressionnant, qu’on en juge ! Basto, Crey 132, Daco, JBC, Jérôme Mesnager, Jo Di Bona, Joachim Romain, Justin Person, Kashink, Madame Moustache, Philippe Hérard, Stew, Tea, Ymas.

Heureux coup du sort, j’habite depuis plus de 45 ans sur les bords du canal de l’Ourcq, dans un quartier qui en deux décennies est devenu un spot de street art. Deux festivals y sont organisés en juin tous les ans : le plus ancien est Ourcq Living Colors et le petit nouveau, Festiwall. Ainsi, en juin, ce sont plus de 35 artistes qui interviennent et proposent le plus souvent des œuvres de qualité et d’intéressantes collaborations. Le cru 2018 de Festiwall a apporté des confirmations (Kashink, JBC, J.Romain, P. Hérard, Jo Di Bona) et une surprise Yola.

L’œuvre de Yola est, en effet, surprenante. C’est un collage de photographies représentant un groupe de personnes manifestant une grande frayeur. Au centre de la composition, une femme au pull rouge, semble crier en voyant ce que nous ne voyons pas. En effet, les regards de nombreux personnages convergent vers un point situé en dehors de la scène. De part et d’autre de la femme au pull rouge, des hommes, des femmes, des jeunes, des Anciens traduisent par leurs postures et les traits de leur visage une peur violente. Les manifestations d’effroi prennent des formes différentes mais tous les personnages fuient un danger qui les terrifie. Une scène de terreur en somme.

Tout dans les personnages attestent leur modernité : leur vêtement, leur coiffure etc. Résumons-nous le collage de Yola représente un groupe important d’hommes et de femmes qui, saisis de panique, cherchent le salut dans la fuite. Si les collages sont des œuvres assez courantes dans la production actuelle, la représentation de scènes composées de photographies est, à ma connaissance, originale. De plus, la technique utilisée par l’artiste est innovante : des photocopieuses spéciales impriment les photographies sur des lais qui se collent comme du papier peint. Cette technique offre au collage de nouvelles possibilités : rien (ou pas grand-chose) ne peut limiter la surface des fresques.

Mon entretien avec Yole a été l’occasion d’établir le lien entre cette œuvre et celle, immense, qu’elle a réalisée sur la façade d’un immeuble en déshérence donnant sur le boulevard de Rochechouard. Du métro aérien, j’ai entraperçu l’œuvre de Yole sans savoir que c’était un collage.

Confusément, ces scènes titillaient mes cellules grises encore en activité et, contre toute apparence, elles me rappelaient quelque chose. Intrigué, je pris contact avec Yole et suivis les liens qu’elle m’avait envoyés. Je regardai toutes ses œuvres et lu ses interviews. Dans une entrevue, Yole donne des clés pour comprendre non seulement ses images mais sa démarche. « C’est la Renaissance qui a déclenché ma réflexion sur la peinture et je ne crois pas que c’était un accident. Je pense que beaucoup de jeunes artistes sont tombés amoureux de la Renaissance. C’est là qu’ils ont découvert la perspective, appris la composition. La seconde période qui a été pour moi la plus importante est l’Art Nouveau, Schiele, et la peinture au tournant du 21ème siècle. En peinture, peindre des icônes et des symboles dans un contexte contemporain n’est pas une chose nouvelle. » « J’ai choisi de peindre des œuvres de telle manière que les personnes qui ont une connaissance moyenne de l’histoire de l’art puissent identifier l’original et comprendre le dialogue entre mon travail et l’original. »

Bon sang, mais c’est bien sûr ! Dans ma bibliothèque d’images, coincées entre quelques axones moribonds et des cellules gliales pas fraîches, des images de tableaux de la Renaissance étaient restées stockées dans un petit coin de ma mémoire à long terme. Les images de Yole ont activé mes vieux neurones qui, tout en se sentant en terrain connu, sont toujours incapables de dire quels sont précisément les œuvres originales dont les collages de Yola sont l’écho contemporain. Mes connaissances en histoire de l’art s’avèrent insuffisantes pour identifier l’oeuvre-source. Bien sûr, je pense aux scènes de guerre d’un Rubens mais ma préférence va aux tableaux du Tintoret représentant des foules effrayées par une lumière émanant des cieux ; une figure classique de la divinité. Classique également l’idée que la vue de Dieu provoque la terreur ; elle marque la différence de nature entre la divinité et sa création.

Restent de ma recherche des questions sans réponses. Yola a t-elle voulu illustrer la modernité des regards que les peintres de la Renaissance ont porté sur les relations entre l’Homme et son Dieu ? Au contraire de ma première impression, la « foule » fuit-elle ou se dirige-t-elle vers le point, non de fuite, mais vers l’appel d’un mystère qui effraie et attire en même temps ? Yola, jeune artiste polonaise, aurait-elle le culot de donner à voir une scène religieuse, dans la rue, dans le cadre d’un festival de street art ?

Lors de notre conversation, Yola n’a pas répondu à ma question sur la signification de son œuvre. Elle m’a dit que c’était à chacun d’en fabriquer une. Elle a sans doute raison. Elle aurait pu titrer son collage et, de cette manière, semer de petits cailloux blancs dans notre construction du sens. Pourquoi le ferait-elle ? Pour nous imposer sa « vision » des choses, ses idées, voire sa foi.

J’aime les œuvres qui ne mâchent pas le travail de « celui qui voit », qui laissent ouvertes les interprétations, qui nous prennent pour des Grands capables grâce à leur culture de fabriquer du sens.

Yola explore les images avec intelligence et talent. Les images qui sont dans nos têtes et celles que nous voyons. Les images du passé et celles du présent qui se raboutent et/se télescopent. Les images que nous avons créés et celles créées par les autres. Son travail sur l’image séduit par sa profondeur et son audace.

Jola Kudela aka Yola grâce à des mises en scène interrogent les grands mythes fondateurs de notre culture. Dans ce va-et-vient entre présent et passé, elle questionne en tant que plasticienne la permanence et les ruptures.

 

 

 

La femme au pull rouge, une figure de la terreur.

Une scène dynamique.

Des expressions différentes de l'horreur.

Une figure du chaos.

Mur de La Chapelle

Détail du mur de La Chapelle

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Les références religieuses sont, ici, évidentes.

Une grande scène à la Michel-Ange.

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