Da Cruz, « Quatre oiseaux dans un masque », fresque, quai de la Marne, Paris août 2016.

Street/Art

Par | Penseur libre |
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Le hasard a voulu que Da Cruz naisse et passe la plus grande partie de sa jeunesse et de son adolescence dans mon quartier, un petit quartier du 19ème arrondissement de Paris, délimité par le canal de l’Ourcq, les Buttes-Chaumont et le parc de La Villette. C’est dans ce quartier,  il y a plus d’une quinzaine d’années, qu’il fit ses premières armes dans le street art. Bien qu’habitant dans la proche banlieue aujourd’hui, il conserve avec « son » quartier de forts liens affectifs. Il y organise depuis plusieurs années un événement important, l’ « Ourcq Living Colors », qui,  pendant deux jours à la fin du mois de juin ou début juillet, accueille des amis artistes de Da Cruz, pour « rénover » ou compléter les fresques de la rue Germaine Tailleferre ou de la rue de l’Ourcq

Depuis ses premiers tags, ses premiers graffs, ses premières fresques, j’ai été le témoin des évolutions plastiques de l’adolescent qui tagguait son nom sur les murs à l’artiste reconnu d’aujourd’hui qui concilie les œuvres « dans la rue » et le travail en galerie.

La fresque que je vous présente aujourd’hui a été peinte cet été sur un mur « réservé » à Da Cruz. En fait, ce mur est formé de deux murs perpendiculaires, jouxtant l’ancienne maison de l’éclusier, donnant sur le canal de l’Ourcq. Ce mur a déjà été peint de nombreuses fois par Da Cruz. Son avant-dernière « version » était remarquable. Le mur est à égale distance d’un lieu communautaire juif et d’un ensemble immobilier HLM habité par de nombreuses familles musulmanes. Da Cruz avait utilisé un côté du mur pour représenter son Inca en utilisant essentiellement les couleurs du drapeau d’Israël et le mur perpendiculaire représentait le masque précolombien peint avec majoritairement les couleurs du drapeau palestinien. Il voulait symboliquement montrer que les deux peuples devaient partager la même terre.

La fresque est titrée par Da Cruz : «  Quatre oiseaux dans un masque ». Le titre infère l’interprétation qui est au « degré zéro », comme aurait pu le dire Barthes. Si on regarde les murs de face, on voit un grand masque caractérisé par deux grands yeux (un sur chaque mur), un long nez peint sur l’arête des murs, une bouche composée de deux parties. Pour trouver les oiseaux, il suffit de chercher les becs. Ils ont des becs crochus comme les perroquets. Sur un côté, Da Cruz a peint un seul oiseau. De l’autre, les trois autres sont mêlés au graphisme du masque.

Graphiquement, l’œuvre est complexe. En effet, l’œil du premier oiseau est confondu avec l’œil droit du masque. Tout  comme les yeux des trois oiseaux ; l’œil d’un oiseau est confondu avec l’œil gauche du masque. Le jeu visuel est intéressant : on ne peut pas saisir du même coup d’œil, le masque et les quatre oiseaux. Si on veut voir le masque, on ne voit plus les yeux des oiseaux. Et réciproquement.

Il est vrai que les dimensions des deux murs, la belle utilisation des murs se coupant à angle droit, permettent au graphisme de Da Cruz d’oser l’intrication des lignes et des formes. Cette recherche de l’artiste est ancienne mais, dans le cas présent, je la trouve particulièrement réussie. Très réussie également la palette des couleurs. Elles sont, ici, très vives et les surfaces qui auraient dû être peintes en aplat sont comme d’ordinaire chez cet artiste, fractionnées et hachurées. Les guillochages opposent des couleurs relativement proches alors que de forts contrastes sont systématiquement recherchés. Les surfaces sont cernées d’un trait noir. Les surfaces en contact ont des couleurs très tranchées (bleu/jaune, bleu/carmin etc.). Sans s’imposer une symétrie par rapport au nez du masque, Da Cruz assure des continuités chromatiques entre les deux faces de la fresque. Un bel équilibre entre respect des contraintes et liberté.

 

Si la première fresque de Da Cruz avait une portée politique, la seconde est un exercice réussi de dessin et de peinture. L’artiste s’est fixé un objectif, mettre de la couleur dans les rues de Paris. Cette œuvre de la maturité artistique est une brillante illustration de son talent.

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