Artiste-ouvrier, pochoiriste, grande fresque quai 36, gare du Nord, Paris, 2016.

Street/Art

Par | Penseur libre |
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A l’initiative d’une association, des street artists ont décoré le quai 36 de la gare du Nord à Paris. L’association nommée pour la circonstance « Quai 36 » a invité des artistes intervenant tous dans l’espace urbain mais ayant des styles et des techniques fort divers. Ainsi, cette « exposition » donne une image de ce qu’est aujourd’hui le street art en France.

Parmi les artistes invités, un pochoiriste bien connu de la scène artistique, Artiste-Ouvrier. A cette occasion, il a peint une fresque donnant une idée relativement juste de son talent et de ses thèmes de prédilection.

Le pochoir est remarquable, tout d’abord, par ses dimensions. Il est haut comme le mur du quai, environ 6 mètres, et large de 4 mètres. Dans un précédent post consacré à l’immense pochoir de Jef Aérosol surplombant la fontaine Stravinsky, nous avions vu que l’autoportrait de l’artiste couvrait une surface de plusieurs dizaines de mètres carrés. A vrai dire, techniquement, le pochoir n’est pas limité dans ses dimensions. S’il peut avoir la surface des cartons servant de caches (de A5 à A0 et même plus grands), des artistes ont décomposé leur pochoir en plusieurs pochoirs de plus petites dimensions. Par ailleurs, si le carton est le plus souvent utilisé, d’autres matériaux peuvent le remplacer, changeant radicalement les limites liées à sa dimension. Il suffit d’observer attentivement l’œuvre pour s’apercevoir que des motifs sont répétés mais leurs couleurs sont différentes. L’artiste utilise des « petits pochoirs » et reproduit le motif en fonction de son projet global. J’en donnerai un exemple : les arbres formant trois étages différents de la fresque ont été peints avec les mêmes pochoirs. En fait, l’œuvre est composée de plusieurs dizaines de « petits pochoirs » juxtaposés. Quant à la mise en peinture, elle est particulière et se différencie d’autres pratiques. Il faut ici faire référence à une façon de faire, inventée par Artiste-Ouvrier, développée par d’autres pochoiristes autour d’Artiste-Ouvrier, le WCA (Working Class Artist). Dans une correspondance échangée avec Artiste-Ouvrier, il décrit de manière précise cette technique : « Dans les WCA officiels qui ont appris ma technique et qui l’utilisent pour affirmer leur style personnel,  il y a : JANA et JS, ADEY, OBI HOOD... Du moins pour ceux qui sont toujours actifs. Il existe de nombreux articles qui parlent de la technique WCA qui consiste à utiliser deux pochoirs et jamais plus pour un motif : le pochoir des ombres et le pochoir des lumières. Cela implique une découpe particulière pour interpréter une photo ou un tableau classique en couleurs en deux versions différentes mais bichromes qui, combinées à de la peinture à mains libres dans les fonds, permettent d’assombrir ou d’éclaircir à volonté et donc de revenir sur l’ouvrage autant que l’on veut jusqu’ à obtention d’un résultat satisfaisant - du moins de façon subjective!- Mosko utilisait auparavant plusieurs pochoirs, un par couleur, mais depuis quelque temps il utilise seulement le pochoir des noirs et peint le reste des couleurs à la main et même au pinceau! Ce qui donne un résultat beaucoup plus vivant. »

Si nous comparons les pochoirs de C 215 (cf : les deux posts que j’ai consacrés à cet artiste) et ceux d’Artiste-Ouvrier, le rendu est très différent. Deux « écoles » de pochoiristes français semblent apparaitre ; des artistes comme Jef Aérosol, Guaté Mao qui sont dans la forme proche de C 215,  et les pochoiristes du WCA.

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Il se dégage du pochoir d’Artiste-Ouvrier une sensation d’étrangeté. Ce sentiment est, à mon sens, lié à deux caractères de l’œuvre : la récurrence des motifs intégrant une variation de la mise en couleurs, le mélange de motifs n’ayant pas de traits communs. La reproduction n’est pas une solution de facilité ; elle est constitutive de l’œuvre. La théorie des petits êtres aux oreilles pointues, répétée, interroge le spectateur. Ce sont les mêmes pourtant distingués par leurs couleurs. Les motifs sont des « interprétations » de tableaux, de gravures ou d’illustrations. Ils évoquent des scènes médiévales proches de l’inspiration de Gustave Moreau, des représentations empruntées à la culture de l’Inde etc. Il est vain de chercher un thème fédérateur entre tous ces motifs. Ils sont volontairement mêlés pour créer, par leur juxtaposition, un monde d’images tirées de l’imaginaire de l’artiste. La plus grande partie des motifs  a été utilisée par Artiste-Ouvrier dans d’autres œuvres. Cette manière de « changer la distribution des cartes » ouvre des espaces quasi illimités dans la création. Le « fonds » de pochoirs étant constamment enrichi par le pochoiriste, il dispose d’une très large palette pour composer de savantes images et donner libre cours à sa créativité.

Artiste-Ouvrier, inventeur et promoteur d’une technique de mise en couleurs du pochoir, a, de façon décisive,  enrichi les possibilités plastiques et esthétiques d’une technique ancienne et permis au pochoir de dépasser des limites. Des limites dans la création proprement dite, des limites dans les dimensions des œuvres. Constamment en recherche, il ne cesse d’expérimenter, d’innover encore et de partager.  

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