Rien ne va plus

Allo, allo, quelle nouvelle

Par | Penseur libre |
le
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Son médecin personnel lui a conseillé de se faire opérer de la hanche droite. Il souffre trop. Son médecin est aussi le chirurgien qui l’opèrera dans l’hôpital où il travaille régulièrement. Le meilleur hôpital de la ville, d’après lui. A la réception de l’hôpital, la préposée trouve immédiatement son dossier sur l’écran de l’ordinateur. Une opération bénigne est bien prévue le lendemain. Dans son dossier, il est également noté qu’il est attendu à l’hôpital la veille pour subir quelques examens préopératoires. Tout va bien.

- A présent, l’ordinateur va vous donner votre numéro de chambre, lui annonce la préposée en tapotant sur son clavier. Derrière l’employée, sur un écran, des chiffres défilent. Les chiffres défilent très longtemps comme si l’ordinateur hésitait à choisir le numéro de sa chambre mais, finalement, il s’arrête sur le 318                                                                                                    - Vous aurez la chambre 318 au troisième étage, annonce la femme. Il ne peut s’empêcher de demander à l’employée si le 318 est un bon chiffre. - Tout à fait, répond-elle, c’est la chambre des opérations de la vésicule biliaire.  - Mais je viens pour ma hanche.  - Ce n’est pas moi qui choisis, répond la femme, c’est l’ordinateur.   - Oui mais quand même, la hanche ce n’est pas la vésicule. La femme observe attentivement le patient : Serait-il du genre à prendre l’ordinateur pour un con ? 

-Malheureusement, il ne me reste que deux chambres libres : la 318 ou la chambre des morts, lui assène-t-elle.  - Non, pas la chambre des morts ! C’est bon ! C’est ok ! Je prendrai la 318.  - C’est au troisième étage, lui dit l’employée qui est payée pour avoir le dernier mot. L’ascenseur est au bout du couloir, à droite. Au troisième étage, une infirmière lui ouvre la porte de sa chambre qui ne comporte qu’un seul lit, une grande table de jeu dotée d’une roulette de casino et d’un jeu de dés. L’infirmière fait tourner la roulette. C’est le 12 qui sort.  - Le 12, très bien, dit-elle. Avec ce numéro, vous avez tout le temps de vous installer et de vous habiller en patient. Je reviendrai plus tard. L’homme défait sa valise et range ses affaires dans la petite penderie de la chambre. Ensuite, il enfile un pyjama et des pantoufles afin de ressembler à un patient. Il s’allonge sur le lit et il attend. Que faire d’autre dans une chambre d’hôpital ? Il attend longtemps. Vers midi, l’infirmière revient avec chariot sur lequel sont posés des assiettes fumantes. Avant de lui donner son repas, elle fait tourner la roulette et le 7 sort.  - Le 7, dit l’infirmière, vous avez de la chance, c’est le poulet, dit-elle en posant devant le patient une assiette sur laquelle est posée entre autres, une cuisse de poulet. Ensuite, elle sort. Il avale son repas et attend plusieurs heures. En fin d’après-midi, retour de l’infirmière. Le 18 sort. Un bon chiffre d’après elle.  - Tout va bien, dit-elle en notant les chiffres qui sont sortis depuis son arrivée à l’hôpital, vous n’avez pas de température et votre pouls est bon. Le patient s’inquiète : « L’opération est toujours prévue demain matin ? »  - Ah non, répond l’infirmière, pas quand vous tirez le 18. L’opération est programmée un autre jour, quand vous aurez tiré le numéro de l’opération. L’infirmière ne cesse jamais de sourire. On dirait qu’un chirurgien lui a cousu un sourire sur la bouche. Elle lui souhaite une bonne nuit et s’en va. Derrière la fenêtre située à sa droite, le soir tombe et la ville s’éteint. Il regarde un peu les informations à la télévision mais, dans la vraie vie, depuis son admission à l’hôpital, rien n’a changé. La terre tourne sans lui. Le lendemain, au petit-déjeuner, c’est le 9 qui sort, ce qui signifie qu’il a droit à du thé mais pas au café. Dommage. Le temps passe à la vitesse d’un goutte-à-goutte. Son chirurgien ne vient pas le voir, c’est bizarre. Il s’inquiète. Jusqu’ici, il a tiré les bons numéros mais la chance peut tourner. Déjà une semaine qu’il vit à l’hôpital. Ce matin, le 13 est sorti. - Le 13, vous allez avoir de la visite, lui annonce l’infirmière derrière son sourire. A 10 heures précises, quelqu’un frappe à la porte de sa chambre. Il s’agit d’une jeune femme d’une trentaine d’années qu’il ne connait pas. - Je m’appelle Cathy, lui dit-elle.  - Moi, c’est Henri. - Je sais. Cathy approche une chaise du lit et s’assied. Elle reste silencieuse, lui aussi. Il la trouve séduisante même si elle porte sur la bouche le même sourire que l’infirmière. Pour rompre le silence qui le met mal à l’aise, il lui pose des questions sur son travail, sa famille, ses amis. Elle lui répond qu’elle est venue à l’hôpital pour visiter son père, il y a un peu plus de trois ans mais qu’elle ne l’a pas trouvé. - Qu’avez-vous fait alors ? - On m’a proposé le gîte et le couvert dans l’aile Nord. En échange, je rends visite aux malades. - C’est intéressant comme job ? demande-t-il. - C’est passionnant ! Toute la journée, je rencontre plein de gens venus d’horizons différents qui me racontent leur vie et leurs projets. Il la trouve un peu niaise mais elle est si jolie qu’il ne la quitte pas des yeux. A 11heures, Cathy annonce : « Il faut que j’y aille. » Elle se lève et remet la chaise à sa place. Il en profite pour mater ses jambes. - Restez encore un peu. - J’aimerais bien mais c’est impossible. J’ai plusieurs autres patients à visiter. Au moment où elle gagne la porte, il lui demande si elle reviendra.  - Je ne sais pas dit-elle.  - Vous êtes la seule personne que je connais ici !  - Je sais. Trois nouvelles journées s’écoulent pendant lesquels il ne peut s’empêcher de penser à Cathy. Elle est belle et douce et surtout, elle est la seule qui s’intéresse à lui. Pendant ces trois jours, la bille de la roulette s’arrête respectivement sur le 7, le 9 et le 22. - C’est bon signe, lui dit l’infirmière en notant les chiffres. - Je pourrais peut-être faire tourner la roulette, dit-il. Au moins une fois.  - Il n’en est pas question, répond l’infirmière dont le sourire a disparu. Pour qui vous prenez-vous ?  Pendant trois jours, Cathy ne se montre pas. Chaque fois qu’on frappe à la porte de la chambre, il espère que c’est elle mais non. Une nuit, il quitte son lit, sa chambre et s’engouffre dans le couloir désert. Dans les autres chambres, pas un bruit. Au bout du couloir, le bureau des infirmières est vide. Il tente de localiser l’aile Nord et se met en route. Il traverse l’hôpital désert. Le seul bruit qu’il entend provient du léger glissement de ses pantoufles sur le sol. Un vrai vacarme. Il arrive enfin à l’aile Nord. Sur une porte est écrit « Visiteurs ». Il frappe une fois, deux fois, trois fois. Finalement, un homme lui ouvre.  - C’est pourquoi ? Il jette un œil au-dessus de l’épaule de l’homme dans l’espoir d’apercevoir Cathy et de l’appeler mais le couloir est noir de monde et Cathy, invisible.  - Je voudrais voir Cathy, elle vit ici, dans l’aile Nord. On a fait connaissance l’autre jour dans ma chambre.  - Depuis quand les patients viennent-ils visiter les visiteurs ? C’est le monde à l’envers, lui répond l’inconnu en refermant brutalement la porte. Le patient hésite à frapper encore une fois à la porte des « Visiteurs ». Il aimerait tant que l’homme qui a ouvert dise à Cathy que le patient de la chambre 318 est venu la voir. Non, finalement, non, il sent bien que c’est inutile, se ravise et fait demi-tour. Il parvient à regagner sa chambre sans croiser d’infirmière. Ouf ! Quatre jours passent encore. Cathy ne se montre pas et plus personne ne parle de l’opérer. - Votre santé est globalement bonne, lui dit l’infirmière en notant les chiffres sortis à la roulette. Il est à l’hôpital depuis deux semaines mais aucun médecin n’est venu le voir. Un matin, c’est le zéro qui sort.  - Le zéro ! Habillez-vous en vitesse, lui dit l’infirmière. Vous sortez ce matin. - Mais … ! - Dépêchez-vous ! La chambre doit être libérée à 11heures. L’infirmière l’aide à enfiler ses vêtements de ville et à faire sa valise. A 9h45, il sort de l’hôpital. Au moment où il met un pied sur le trottoir, arrive un bus, le 3. Il s’y engouffre. Il quitte le bus après 6 arrêts et descend dans le métro. Il voyage sur la ligne 9 pendant une bonne heure. Ensuite, il sort du métro et prend un bus : le 19. Le bus le dépose devant l’hôpital qu’il a quitté quelques heures plus tôt. Il pénètre dans le bâtiment sans passer par l’accueil. Il se dépêche mais les ascenseurs sont si lents. Sa grande crainte est qu’un autre patient occupe sa chambre. Dans le couloir du troisième étage, il ne croise pas l’infirmière qui l’a mis à la porte mais une bonne dizaine d’autres, des inconnues qui lui sourient. La chambre 318 est telle qu’il l’a laissée un peu plus tôt dans la matinée. Elle n’a pas encore été attribuée à un autre. Quelle chance ! Il remet son pyjama et range ses vêtements dans l’armoire. Ensuite, il se couche et il attend. Pourvu que Cathy frappe à la porte ! Pourvu qu’elle vienne ! A midi, il se rend compte qu’il tourne en rond et qu’il a faim. Il se lève et se plante devant la table de jeu avec l’intention de faire tourner la roulette. Que risque-t-il ? Pas grand-chose. Si un bon numéro sort, il reverra Cathy ou on lui apportera à manger. La vie est belle ! Emporté par ces perspectives, il fait tourner la roulette avec un peu trop d’énergie. Sous son impulsion, la bille sort du jeu et va se ficher sous la roue arrière gauche de son lit. Elle reste coincée et le patient, aussi. Il est immobilisé, pétrifié devant sa table de jeu. Aux dernières nouvelles, il s’y trouve encore.

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