Protestation, oui. Violence, non.

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La continuité des protestations populaires dans le monde, illustrées par des photos actuelles de Johanna de Tessières et anciennes de Véronique Vercheval. Dossier « Le droit de protester », d’Amnesty International.

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L’ultra violence est sans conteste la guerre, celle qui ravage l’Ukraine et qui consacre la loi du plus fort. Cette loi est exercée par une autocratie capitaliste qu’est la Russie sous la houlette de Vladimir Poutine, provoquée par l’extension de l’Otan décidée par une démocratie affaiblie, à savoir les Etats-Unis qui se veulent encore leader économique et politique du monde entier. Le monde s’est divisé entre partisans des Etats-Unis et alliés de la Russie. Entre les deux – et malheureusement pas assez nombreux -  les partisans de la paix, de la diplomatie et de la négociation de préférence sous l’égide des Nations Unies. Pour ces derniers, la guerre est la pire des catastrophes car il n’y a jamais de vainqueurs, rien que des victimes, des pays ravagés, des illusions perdues, des haines durables.

La loi du plus fort détruit les processus démocratiques. L’Europe a connu cela en 14-18 et en 40-45. C’était hier et cela semble oublié.

Nos gouvernants occidentaux ont rejeté leur foi en l’idéal des Nations Unies et ont adopté l’option guerrière avec un aveuglement sidérant sur les conséquences catastrophiques de celle-ci. Nos principaux médias se sont engouffrés dans la guerre de l’information et ont privilégié la propagande belliciste en lieu et place de l’enquête journalistique ; ils nous abreuvent d’émotions, de reportages univoques sans aucune distance par rapport aux antécédents historiques et sans esprit critique.

Les protestations étouffées ou réprimées

Les contestations nombreuses de la guerre en général et de celle-ci en particulier sont nombreuses mais étouffées médiatiquement. Les populations, subissant les effets pervers de la crise politique et économique qui s’ensuit, se révoltent et manifestent un peu partout en Europe. Certaines sont violemment réprimées par des forces de l’ordre de plus en plus armées et mieux organisées. Les gouvernants ne se sentent pas contestés dans leur recours à la violence. Ils l’appliquent même dans des démocraties qui se voulaient exemplaires comme en France actuellement. Où l’on découvre avec sidération qu’une protestation populaire généralisée n’est pas entendue par un président qui n’a pas beaucoup de légitimité démocratique car élu par défaut, et un parlement où l’opposition est contrée par des dispositions, légales certes, mais imposant l’autorité du gouvernement. La notion même de démocratie est ici interrogée.

Dans certains pays, la répression des manifestations populaires devient de plus en plus violente au fil des années de déstabilisation de nos systèmes socio-économiques par un capitalisme mondialisé, prédateur, ne profitant qu’à une minorité de riches dans les domaines financier, industriel, chimique et des technologies de l’information et de la communication.

Cependant, des millions de manifestants dénoncent l’utilisation de pesticides et autres produits chimiques mortels dans les campagnes (surtout dans les pays pauvres), le pillage de ressources naturelles de plus en plus rares et donc précieuses dans des pays incapables de se défendre ou paralysés par des guerres et des occupations comme en Syrie, en Libye, en Irak, en Ukraine, en Palestine, en République Démocratique du Congo, etc. Ils dénoncent l’industrialisation de l’agriculture, la pollution et la disparition de milliers d’espèces dans la faune et la flore.

Bruxelles, capitale de l’Europe, gère en général calmement de nombreuses manifestations. Ainsi, le 28 mars, des activistes du collectif No Future for agrobusiness ont bloqué pacifiquement l'entrée du Forum pour le futur de l'agriculture (FFA) organisé par Syngenta, ELO, le lobby européen des grands propriétaires terriens, et des multinationales comme Pepsico, Nestlé et John Deere.

Tout aussi pacifiquement, un rassemblement a eu lieu le jeudi 23 mars à Bruxelles lors du sommet européen des chefs d’Etats pour revendiquer un Traité de Non-Prolifération des Combustibles Fossiles. Des milliers de scientifiques et universitaires, des prix Nobel, des parlementaires, des villes, des organisations de la société civile relaient ainsi l’appel du secrétaire général de Nations Unies Antonio Guterres pour la fin des énergies fossiles au profit du renouvelable.

En France, par contre, des manifestations sur les méga bassines (rétention d’eau à l’usage des agriculteurs industriels) ont été violemment réprimées par les forces de l’ordre qui ont même empêché, le 25 mars à Sainte-Soline, l’arrivée d’ambulances pour des manifestants blessés grièvement.

Le droit de protester, selon Amnesty International

Ce tragique événement s’est produit au moment où Amnesty International lance une campagne : « Le droit de protester », que l’on peut découvrir en ce moment sur leur site et surtout, à la Foire du Livre de Bruxelles. Une exposition de photos, fortes et émouvantes, nous rappelle les manifestations en Belgique dans les années 1980, captées par la photographe Véronique Vercheval. En noir et blanc, elle raconte le combat des femmes syndicalistes, ouvrières, employées, au foyer, étudiantes… Simplement pour leurs droits. Véronique Vercheval est une pionnière dans l’histoire de la photographie du monde social. En regard de cette période historique à l’issue de laquelle notre société a enfin reconnu les droits des femmes, la photographe membre du collectif l’Huma, Johanna de Tessières nous rapporte en couleurs vives les combats, protestations, indignations des femmes d’aujourd’hui. Où l’on rappelle que les droits sont toujours menacés, que les réfugiés sont toujours rejetés, que le racisme a repris vigueur avec les crises économiques. Mais que la contestation est vivante, plus que jamais.  

Pendant ce temps, nos hautes autorités européennes alimentent la guerre en Ukraine, ce qui fait le bonheur des marchands d’armes. Ils préparent les juteux contrats de reconstruction de ce pays dévasté, alors que le défi principal est de sauver l’avenir de notre humanité tout entière.

« Hold-up sur la nature »

Les révoltés, les indignés dans le monde entier dénoncent l’accaparement par des Etats et des multinationales prédatrices des ressources en eau, ainsi que la financiarisation de ces ressources naturelles indispensables à la vie.

Riccardo Petrella, politologue et économiste italien, a lancé en France, en Italie, en Belgique, le 18 mars 2023, une pétition « Libérons la nature de la domination de la finance ». Il rappelle « la décision prise en 1990 par la Cour Suprême des Etats-Unis légalisant la brevetabilité privée à but lucratif sur le vivant. A savoir, le droit de propriété privée sur les connaissances portant sur les espèces microbiennes, végétales, animales et humaines. Depuis, la brevetabilité privée a été élargie à l’intelligence artificielle. Rien n’a échappé à leur prédation : forêts, océans, fleuves, lacs, montagnes, sols, sous-sols, l’air, animaux, êtres humains. Au lieu de protéger la biodiversité, ils ont promu la biopiraterie. »

Riccardo Petrella se livre à un vibrant réquisitoire contre la financiarisation de la nature : « Pour asseoir leur emprise sur des bases toujours plus solides, et sur impulsion de Black Rock, le plus puissant fonds d’investissement privé au monde, la Bourse de New York a décidé de créer une nouvelle classe de biens financiers, les ‘capitaux naturel ‘ (tous les éléments de la nature) et une nouvelle catégorie d’entreprises, les Natural Assets Corporations, cotées en Bourse. En un mot, la Nature, notre Madre Terra, cesse d’être le cadre de référence existentiel de la vie pour les humains compris, pour être réduite à une catégorie particulière de l’économie capitaliste de marché, au même titre que le capital productif, le capital technologique, le capital financier et le « capital humain » ! Sa valeur est son prix, un prix surtout fixé par les marchés boursiers, ce qui explique que l’on doive parler de financiarisation de la nature. Une véritable inversion à 360 degrés de la conception de la vie. »

Malgré les contestations nombreuses depuis des années de cet élargissement du capitalisme prédateur à la nature, les Etats s’inclinent : « Or ces idées, fortement soutenues par le monde du business et de la finance, tels que le « Business for Nature » et la Natural Capitals Coalition (plus de 400 importantes entreprises industrielles et financières mondiales) ont été formellement approuvées par les 176 Etats participants à la COP15-Biodiversité de l’ONU à Montréal en décembre dernier.

Le fait que même les pouvoirs publics nationaux et internationaux (Union européenne comprise) les aient approuvées est un scandale. C’est le plus grand hold-up sur la nature, autorisé après 1990. », insiste Riccardo Petrella. La pétition qu’il a initiée avec d’autres mouvements demande que les pouvoirs publics mettent fin à ces vols et prédations de la nature et que soit élaborée une « Charte mondiale des biens communs publics mondiaux ».

Soutenir ces initiatives, participer à ces manifestations, contester l’ordre guerrier du monde, c’est faire triompher la paix et la vie plutôt que la violence et la mort.

https://www.rtbf.be/article/bruxelles-des-activistes-bloquent-l-acces-au-forum-pour-le-futur-de-l-agriculture-11174314

www.riseforclimatebelgium.eu

Sur la nature et l'agriculture :

https://agora-humanite.org/

https://fr.wikipedia.org/wiki/Riccardo_Petrella

https://www.facebook.com/watch/live/?extid=CL-UNK-UNK-UNK-AN_GK0T-GK1C&mibextid=1YhcI9R&ref=watch_permalink&v=532749518778940

https://viacampesina.org/fr/ecvc-un-document-fuite-revele-le-greenwashing-de-laccord-ue-mercosur/

Le droit de protester. Dossier d’Amnesty International :

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https://www.amnesty.be/campagne/droit-protester/droit-de-protester

 

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