Peuple souverain, debout!

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Les Chinois, dit-on, ont coutume de plaisanter : "C’est quoi votre truc en Europe où tout le monde donne son avis et qui ne marche pas ? Ah oui, la démocratie !". Pour les anarchistes, "la dictature, c’est ferme ta gueule, la démocratie c’est cause toujours". Pour les nihilistes, "si les élections servaient à quelque chose, il y a longtemps qu’on les aurait interdites". Le débat sur l’avenir de la démocratie représentative n’a pas attendu les gilets jaunes pour s’ouvrir au public, notamment grâce à la remarquable série d’émissions d’Arnaud Ruyssen sur la RTBF, rediffusée récemment.

Comme le faisait remarquer très justement un participant, notre système électoral est fondé sur la réalité d’une époque révolue, puisant ses racines au 18e siècle – une époque où l’information était lente et parcellaire. Aujourd’hui, avec l’avènement de l’infobésité, la gestion de la cité ne peut plus ignorer l’opinion du Peuple, qui s’exprime librement sur le Web. Pour le meilleur et pour le pire. Mais à présent que les réseaux sociaux ont donné la parole au citoyen, on ne peut plus la lui retirer.

Élection, piège à cons

En face, nous avons une « classe politique » professionnalisée, une élite qui semble trouver normal de se représenter à chaque élection et qui estime légitime sa présence longue durée dans les travées du pouvoir. Ce temps-là est révolu et il faudra bien que ceux qui bénéficient de cette rente de situation s’en aperçoivent. Le mouvement gilet jaune est l’amorce d’une revendication plus générale de la population. Et là où la chose est intéressante, c’est que ce phénomène provient des classes les moins favorisées. Ça ne vous rappelle rien ? "S’ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent de la brioche !" On sait ce qu’il en est advenu. Il n’est pas idiot de penser qu’on assiste aux prémices d’une révolution, dont la forme est encore incertaine : l’Histoire reste à écrire. Cela étant, que nous indique ce mouvement ? Il stigmatise le détachement croissant des politiques à l’égard de la réalité des citoyens ordinaires. Les "élus" vivent dans la bulle des dogmes de leurs partis, lesquels reposent eux-aussi sur des idéologies d’un autre âge. Les tendances que véhiculent les formations politiques classiques ne représentent plus la diversité des opinions qui existent dans un monde surinformé. Les citoyens ont appris à penser, pendant que les politiques se complaisaient dans une sorte de "star system", squattant les médias (consentants), se cooptant ou s’affrontant et finissant par constituer une caste qui fonctionne à l’abri des regards, ne rendant de comptes à quiconque que lorsque ça lui chante. Le mépris de l’électeur, qui n’a pas le choix des candidats qui se présentent à l’élection, couronne ce désespérant tableau. Les gouvernements issus de la particratie appliquent des recettes qui procèdent d’idées reçues mêlées d’idéologie partisane, jusqu’à préférer l’intérêt du parti à celui de la collectivité. On l’a bien vu avec les manœuvres pitoyablement politiciennes de la N-VA en décembre, du CDH en juin 2017 ou encore, au niveau communal, la razzia sur tous les dossiers communaux effectuée cette semaine à Middelkerke par l’équipe VLD sortante, histoire de bien mettre ses successeurs (et les administrés) dans la mouise.

J’ai déjà évoqué en ces pages l’omniprésence grotesque des politiques dans les médias, jusqu’à la nausée et au-delà de toute perspective rationnelle eu égard à leur importance réelle dans l’évolution de nos sociétés. Rappelez-vous, l’an dernier, la "fausse sortie" de Laurette Onkelinx, qui fit 5 pages complètes dans le quotidien vespéral – plus que si elle était morte. Et elle est toujours là. Si ce n’est pas se foutre du monde… Il paraît également utile de rappeler que même les abonnés au pouvoir depuis 20 ans n’ont jamais fait preuve d’une vision allant au-delà du terme de la prochaine élection.

Pacte de contrition

Pour faire bref, on voit bien que le système de la démocratie représentative est à bout de souffle ; il ne parvient pas à améliorer la vie des gens et ne fait même plus illusion. La "pensée unique" de l’économie de marché capitaliste, le dogme de la sacro-sainte croissance, le mystère castrateur de la dette publique, l’inféodation du pouvoir politique aux diktats des multinationales, le déséquilibre obscène de la répartition des richesses, la paupérisation galopante, le mythe du plein emploi, ne sont que des cache-misère qui permettent à la « classe politique » de continuer à régner en s’appuyant sur des motifs présentés comme impératifs mais dont personne ne comprend le réel bien fondé. Et pour cause : il est sans lien avec l’épanouissement de l’individu, avec le plaisir de vivre, sans même se risquer à évoquer le bonheur.

Le Peuple est mis sous contrainte permanente, au service du système économique : marche ou crève. La stratégie de l’austérité, rendue inéluctable par la dette – c’est ce qu’on nous dit – justifie les coupes sombres opérées dans tout ce qui contribue au bien-être collectif : l’enseignement, la culture, la protection sociale, la santé publique, l’environnement, la préservation des ressources, les services publics. Alors qu’il s’agit là des fondements mêmes de notre existence en tant qu’espèce et en tant que communauté ! Et que dire qui n’ait pas encore été dit de l’équation magique selon laquelle moins de charges pour les entreprises crée de l’emploi et que cet emploi crée de la croissance ? Mais comment peut-on encore, en 2019, croire ou faire croire à la croissance ?

On ne peut plus cacher à la population que le système que l’on présente comme notre "mode de vie" à préserver à tout prix est un leurre, une course à l’échalote dont les vainqueurs sont toujours les mêmes : les nantis, les actionnaires des multinationales, les grands fraudeurs du fisc (ou, plus politiquement correct, les champions de l’optimisation fiscale) et, dans une moindre mesure, les politiques professionnels. Voilà qui tire les marrons du feu que nourrit la sueur et la souffrance du Peuple. Un Peuple appelé, chaque matin, à se rendre aux aurores, les yeux encore embués et poussant ses enfants mal réveillés, en s’entassant dans les transports, prester un travail souvent peu gratifiant où, pour un salaire de misère, il se fait houspiller par un petit chef vomissant ses frustrations sur ses subalternes…

Comment s’étonner qu’un jour, ceux-ci s’en aperçoivent et se révoltent ? Pour n’y avoir pas cru, le monde politique, plus prompt à promettre la lune qu’à se remettre en question, est aujourd’hui prisonnier de son propre détachement de la réalité et s’interroge, à l’image d’un Emmanuel Macron, quant à décider s’il doit recourir à la force pour mater la révolte – au risque de se retrouver dans une posture autoritaire à tendance dictatoriale, ce qui ne redorerait pas un blason déjà passablement terni. Mais alors, me direz-vous, que faire ? Comment arrêter le vaisseau fou dans lequel nous a embarqués le "progrès" ?[1]

Sauve qui veut !

Avant toute chose, il est temps que le Peuple fasse connaître à ses "gouvernements", quels qu’ils soient et quelles qu’en soient les formes, le projet de société auquel il aspire. Souhaite-il perpétuer l’ère de l’homo economicus, l’aliénation du salariat au service du profit d’une minorité, l’individualisme et la compétition, le chacun pour soi et le pouvoir d’acheter quelques biens de consommation ? Ou aspire-t-il à décider de sa propre vie, privilégier la solidarité, le bien commun, la culture, l’éducation, l’amour, substituer l’"être" à l’"avoir" ? Faute de répondre à ce critère une fois pour toutes, jamais le "modèle dominant" actuel ne sera remis en cause et aucun progrès sociétal ne pourra s’obtenir en faveur de la majorité économiquement faible. Si nous voulons sortir de l’actuel visage d’une féodalité où le capital a remplacé la noblesse de cour, à nous de décider, ici et maintenant, que subir ne suffit plus et que le Peuple souhaite que sa vie terrestre vaille la peine d’être vécue et procure à ses descendants une émancipation qui fasse d’eux des citoyens responsables, cultivés et finalement heureux de vivre. Cela passe par une prise, au moins partielle, du pouvoir décisionnel.

J’en reviens donc au débat sur la démocratie. Comment rendre le pouvoir au Peuple sans mener la société à sa ruine, ce qui ne ferait qu’aggraver le sort des plus faibles ? La solution d’une démocratie participative, un partage du pouvoir entre élus et citoyens tirés au sort semble, à ce jour, constituer l’alternative la plus crédible pour progresser tout en évitant le chaos. Comme l’a bien expliqué David Van Reybrouck, il s’agit bien entendu d’un tirage au sort contrôlé, obéissant aux règles de représentativité proportionnelle de la population : catégories sociales, âge, parité de genre, groupes socio-professionnels, etc. Le principe de la loterie gouvernementale peut effrayer : comme se prémunir contre l’arrivée, dans un cénacle décisionnel, de crétins patentés ou de rigolos mal intentionnés ? Le risque est calculé : mieux vaut avoir quelques crétins que de voir se présenter, si l’on recourt au volontariat, des séides de la particratie ou des groupements d’intérêt partisans. Beaucoup a été écrit à ce sujet : on lira avec intérêt "Contre les élections" de Van Reybrouck, déjà cité (Actes Sud, 2014), ou cet article très fouillé de Wikipédia.

Au Sénat, au Sénat !

La forme constitutionnelle de ce contre-pouvoir reste à déterminer. Et pourquoi ne pas lui attribuer le Sénat ? Cette « chambre haute » dont on évoque sans cesse la suppression trouverait, en l’espèce, un rajeunissement et une redynamisation tout en donnant un cadre législatif incontournable à la participation citoyenne. Un cadre dont n’ont jamais réussi à se doter les nombreuses initiatives associatives dont l’intention louable était d’infléchir le cours inéluctable de l’économisme triomphant.

Le Parlement resterait donc dans un système bicaméral classique, avec d’un côté les élus épaulés par l’administration (finalement c’est là que se trouvent les compétences en matière de gestion des dossiers) et, de l’autre, les représentants du Peuple. Toutes les décisions devraient être, comme c’est le cas dans tout système bicaméral, entérinées par les deux assemblées et, par conséquent, validées par la population.

Tout bien pesé, l’arrivée de quelques crétins (ou réputé tels) au pouvoir pourrait nous épargner les joutes verbales creuses et inutilement bavardes des professionnel-les de la politique, clowns tristes nantis d’égards royaux dont la suffisance et cynisme n’ont souvent d’égal que l’incompétence et la prétention.

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[1] Je vous invite à relire mon article sur le progrès régressif pour ne pas devoir rouvrir ce chapitre ici.

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