Numérique : on veut des humains !

C’était bon de se sentir environnés d’êtres humains qui n’étaient pas hypnotisés par leurs smartphones, bien peu smart mais très captivants. Devant la maison communale d’Anderlecht, mardi 18 avril 2023, des humains de toutes les couleurs et de diverses origines brandissaient des panneaux et calicots, souvent marqués d’une zwanze bien bruxelloise : « des guichets, pas des robots », « Touche pas à nos guichets », « Internet c’est pas net »…

L’ambiance joyeuse n’éclipsait pas le sérieux des revendications des très nombreux citoyens qui ne savent ni lire ni écrire, qui sont sourds, qui n’ont pas accès à des ordinateurs et qui, de toute façon, n’ont jamais appris à s’en servir, qui sont perdus face à l’évolution très rapide des technologies, qui sont largués par les QRCodes, qui n’en peuvent plus de ne plus recevoir leur propre argent à des guichets de banque, qui souffrent de ne pas comprendre ce qu’il leur arrive face à des administrations muettes et, pire, dans des services aussi essentiels que les hôpitaux.

Heureusement, quantité d’associations viennent à la rescousse. On a enfin vu leur apport essentiel pendant la crise du Covid et le confinement : nombre de personnes ont pu recevoir leurs allocations sociales, leur inscription à une liste de logement social, des soins urgents grâce à la disponibilité de ces associatifs professionnels et bénévoles qui sont restés sur le terrain alors que les portes se fermaient dans les administrations et que les seuls contacts devaient se faire par ordinateur et, difficilement, par téléphone.

Raison de cette colère organisée par « Le gang des vieux en colère », « Lire et Ecrire » et d’autres associations ? « Le plan d’appropriation numérique 2021-2024 de la Région bruxelloise » censé mettre tous les Bruxellois à la mode numérique. Immédiatement, les associations ont élevé la voix : « Nous dénonçons la dématérialisation irréfléchie des services. Une telle réforme est de nature à transformer radicalement les liens qui nous lient les uns aux autres et qui font qu’ensemble nous faisons société. Cette question mérite de faire l’objet d’un large débat public. »

Le train politique ne s’est pas arrêté et le 9 mars,le projet d’ordonnance « Bruxelles numérique » a été voté en première lecture par le gouvernement bruxellois ; il vise à rendre tous les services administratifs disponibles en lignes. Mais ne précise pas le maintien des guichets et donc l’accessibilité des personnes souffrant de « fracture numérique ». Ce qui représente quand même 40 % de la population bruxelloise, soulignent les associations.

De plus, favoriser ainsi les relations administratives avec des robots implique immanquablement une diminution d’emplois humains, une solitude plus grande encore pour les personnes en difficultés pour qui le contact social est synonyme de survie.

Quand vous êtes seuls devant un écran d’ordinateur ou celui d’un smartphone, vous n’êtes pas en relation constructive, basée sur un dialogue d’humain à humain. La future ordonnance légalise le procédé visant à réduire un problème complexe dans un ensemble de petites cases à cocher. Pas d’innovation possible, pas d’empathie, pas de conseils judicieux qui aident à mieux s’insérer d’abord, grandir ensuite dans une société de plus en plus complexe.

Le numérique ne nous apprend pas à être des citoyens. Quelle est notre liberté quand nous sommes enfermés dans une succession de chiffres ? Comment prendre conscience de nos droits et les défendre ? Le numérique doit rester une aide, pas l’unique voie d’expression de notre citoyenneté et de relation avec l’administration publique.

https://gangdesvieuxencolere.be/wp-content/uploads/2022/11/Decret_dematerialisation.pdf

https://smartcity.brussels/inclusion-numerique-5-le-plan-d-appropriation-du-numerique-2021-2024