LOUP

Une édition originale

Par | Penseur libre |
le
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Lecture 4 min.

Qui es-tu, loup ?
Es-tu le bien de la terre ?
Cet écrit récent de Laurent Berger chemine entre chant onirique et pistes olfactives de la nature animale. On songe pour un instant à Bruce Chatwin, mais pour un court instant seulement, car ce loup-là ne nous guide pas en Australie mais bien dans un ailleurs intemporel.
Moins d’une trentaine de pages, de demi-pages pour être exact, puisque la roue rythmique en a décidé ainsi ; blancs nécessaires à la musique des mots et des images. Musicalité oblige, il s’agit de Temps. Au temps pour moi ! , comme on dit en Prova d’orchestra. Laurent Berger fait partie de ces écrivains dont on entend la voix. Comme Giono ou Serres, on le lit et on l’écoute. Et même si l’on décide, sûr de la pertinence de son choix, de le lire à haute voix, voilà que l’on imite l’accent, l’intonation, le verbe. Ainsi va la vivante poésie.

Comment nomme-t-on cette forme littéraire aux phrases courtes ?
« A quatre pattes. Près de la terre. La louve cherche ton urine. Sur les pierres. Odeur acide. »
Il y a urgence. Ce qui est dit est une suite de signes.
A lire et relire ce texte incisif comme une pierre, le mystère s’épaissit. Entre enfant chamanisé en pleine initiation et loup sur la route, il y a plusieurs étages d’interprétations. En constante déconnexion, le jeune indien cherche son devenir animal et le louveteau, lui, découvre les sentes, les traces, les effluves et imprime en lui le sens de ces phénomènes. Loup, il révèle l’espace et les lieux de ses pérégrinations par des comportements aux significations graves. Projections salivaires sur la fourrure, gueules ouvertes sur le ciel, jets d’urine sur l’herbe. L’homme blanc nomme cela la danse. Pour le loup, épiphanies polyvoques.

Entre l’indien et l’homme blanc, le loup. Symbole.

Je sais moi des sorciers qui transforment les garçons qui se « glissent hors lignes » et trouvent l’animal en eux. En quête de ne pas être chien, cette contagion de l’homme, le loup n’est que méfiance intelligente et eumétrie calculée.
L’écrivain nous rappelle ici la lente dérive sapiens dont le chien est la définition. Les jappements du louveteau disparaissent un jour et font place au hurlement sacré, uniquement en cas d’extrême importance, alors que les abois du chien ne sont que persistance de ses jappements de chiot.

Laurent Berger réussit dans ce texte la survie miraculeuse d’un mystère sans faille. Celui qu’il installe d’emblée dans notre imaginaire d’enfant (le plus aventureux qui soit) et fait des résidus oubliés de notre être millénaire une source jaillissante dont la mélodie résonne tout au long du récit. Par manque de pratique, ces émergences du passé nous étonnent et nous déstabilisent. Bonheurs inconnus qui ne sont que renouvelés.
Les hommes blancs massacrent leurs frères, mais aussi les frères du loup. L’auteur insiste sur les certitudes de l’homme dans la pratique de la violence et la construction de murs. Il met alors en miroir ces chemins oniriques et d’autres routes des rêves, qui prennent leur identité dans l’extraordinaire fouillis des futaies de la grande forêt, si cher au peintre Courbet.
Laurent Berger nous fait percevoir cette ligne d’ombre qui va, non pas de l’homme à l’animal, mais bien de l’homme d’aujourd’hui à l’homme qu’il fût dans un passé lointain, sensible aux odeurs du sable, du vent, des traces organiques sur la feuille morte et y lisant avec clairvoyance, dans l’ébullition de la surface des choses, le fil de sa propre vie.

L’auteur nous dit encore que le loup voit « l’air grandir » et « entend le cri de la terre » pour finir son émouvant propos par la solennelle sentence : « L’homme blanc a tué le passage des saisons ».

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Boris Almayer


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