Bill Viola ou le chant silencieux de l’humanisme

Les yeux ouverts

Par | Penseur libre |
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Sculpture of time © Bill Viola Musée de la Boverie à Liège jusqu'au 28 avril 2024

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Lecture 5 min.

Bill Viola est vidéaste, on le sait. C’est pourtant par la peinture que l’on peut en toute légitimité aborder son œuvre. L’Art contemporain parfois si décrié (en cause, les trop nombreux escrocs du marché de l’art), trouve en cet immense artiste l’un de ses plus brillants représentants.

Que disent les vidéos de Viola ?

D’abord, avouons-le, l’émotion grandissante que l’on ressent lors de la visite de l’exposition - Bill Viola. Sculptor of time - nous emporte hors du rythme habituel du temps qui passe.
C’est alors, par un regard réinventé sur le temps et sa durée naturelle, que l’artiste américain nous intrigue. En ce sens que l’usage du ralenti et le recours à une chronologie inversée, dont il fait son médium, interpellent non seulement notre lecture, mais bien aussi notre connaissance du monde.

Axées sur l’être humain et la présence infiniment précaire de son corps, les images de Bill Viola nous prennent du temps (au fond pas plus qu’une peinture), mais réalisent la performance de transmuer ce temps accaparé en un temps plus précieux. Un temps solennisé par un récit sans action apparente, si ce n’est celui d’exister.

« Just an existence », demandait à ses modèles la photographe américaine Marsha Burns. Bill Viola, lui, demande énormément à ses modèles /acteurs pour arriver à ce type de résultat.
Comme le fait de renaître (Inverted Birth 2014). Ainsi du corps d’un homme, debout face à nous, montre en flux ascensionnels tous les miasmes et les eaux perdues d’une naissance inversée passant du noir au rouge, du désespoir à la peur primale. L’évènement s’étire, continu et sans ressac, pour atteindre la purification par le blanc et la transparence. De l’obscurité à la lumière. Inversion rythmique, qui fait de cette danse, immobile et soumise, une renaissance à la fois symbolique et libératrice.

 


© Bill Viola

Telle autre vidéo résonne en peinture de l’Histoire comme «The Greeting-1995 » qui fait écho à la Renaissance italienne, aux couleurs du baroque espagnol. Ici deux femmes se rapprochent l’une de l’autre, bras tendus et finissent par s’étreindre infiniment alors que les drapés de leurs robes ondulent imperceptiblement à la faveur d’une tendre brise. Rien d’autre, si l’on peut dire, mais rien de moins non plus.

 


© Bill Viola

Pour « The Voyage-2002 », où le vidéaste convoque dans notre mémoire profonde les souvenirs de Piero della Francesca, d’Edward Hopper ou de Nicolas Poussin, c’est à un drame universel auquel nous assistons. Un vieil homme se meurt entouré de ses enfants dans une maison ouverte sur le paysage, alors que dehors, un homme attend. Sous cette colline aride, une vieille femme assiste, elle, à un autre départ, alors qu’au bord du lac on charge des meubles sur un bateau. Peinture en trois temps, valse de toute une vie. Les moments sont-ils simultanés ou, comme dans la représentation antique grecque, différents moments d’une vie se retrouvent-ils en une seule perception ?
Ceci n’est pas un répertoire ennuyeux ou didactique, mais purement notre monde qui est filmé, dans lequel nous retrouvons la résonnance de l’art lui-même.
Le théâtre de Viola est sans gesticulations, sans cris et sans discours. Il scrute souvent la respiration même des êtres, en leur attribuant la durée d’une vie.
Vies et morts dans la fulgurance de l’image encombrée de sa mystérieuse tragédie, des expressions de tristesse ou de douleur, d’angoisse ou de béatitude s’installent peu à peu sur les visages, issues d’un ralenti indicible, comme éléments de mémoire enfouis et que l’on tente de retenir. (Bouleversante vidéo titrée « The Quintet of the Astonished »)

Il y a tant à en dire, mieux que cela, il y a tant à y voir.
La visite de cet exceptionnel ensemble d’œuvres vidéo se moque du temps, en définitive.
Et il est étrange de constater qu’en sortant des salles de la Boverie, je retrouve le rythme naturel de mes pas, cet élan qui me porte à nouveau dans la traversée du monde (ou de ce parc). Là où nous devons aller, là où nous pouvons renaître chaque jour.

Boris Almayer

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Bill Viola, sculptor of time
Musée de la Boverie à Liège - Jusqu’au 28 avril 2024

 

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