Le scoop le plus nul de l’année

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Les statistiques sont formelles: la pauvreté recule dans le monde. Et la bonne conscience progresse. Photo © Gian luiggi Guercia

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Deux grands instituts connus pour leur philanthropie viennent de s’unir pour transmettre au monde une grande nouvelle : les 1% des plus riches possèdent désormais plus de la moitié de la richesse des ménages du monde. C’est le Global wealth report du Crédit Suisse qui se fait l’écho de l’étude menée par le très social Forum économique mondial (FEM) dans lequel on peut lire que, ouf, « Les perspectives pour le segment des millionnaires sont plus optimistes que pour le bas de la pyramide des richesses. ». On a eu peur. Le rapport précise aussi que les inégalités vont s’accroître au cours des prochaines années et il promet aux « millenials » (ceux qui sont nés en 2000 et après) un « particularly tough time » - des lendemains qui ne chantent pas vraiment, pour employer une litote facile.

Calvinistes modérés

L’article autopromotionnel du FEM vaut son pesant de paradise papers. Il explique doctement que la crise financière de 2008 a eu comme effet de renforcer la richesse des mieux nantis, ce qui doit réjouir le Crédit Suisse dont ils sont les fidèles clients. « Les 1% plus riches ont commencé le millénaire avec 45,5% de toute la richesse mondiale, et maintenant ils en détiennent 50,1% », constatent sobrement les experts de la banque. Heureusement, une certaine compassion vient tempérer ce qui pourrait s’interpréter comme un postulat triomphant. En effet, lit-on dans cet article mi-figue mi-raisin, « Le Crédit Suisse prévoit une hausse de 22% des millionnaires en dollars d'ici à 2022, passant de 36 millions à 44 millions. Le problème est que le nombre d'adultes disposant de moins de 10 000 $ devrait diminuer de seulement 4%. » Et ça, pour de bons calvinistes, ce n’est pas très cool. On se précipite donc sur la suite du papier afin de mesurer leur degré de préoccupation à l’égard de cette tendance, et de découvrir les solutions que la banque et le Forum ne manqueront pas de proposer pour réduire ce « problème ».

Salauds de pauvres

D’autant que les auteurs en rajoutent dans la noirceur : « "Malgré une richesse moyenne plus élevée par adulte, la richesse médiane a de nouveau chuté cette année en Afrique, en Asie-Pacifique et en Amérique latine. Nos projections pour 2022 suggèrent des scénarios plus pessimistes pour les prochaines années", ont déclaré les chercheurs. En regardant le bas de la répartition des richesses, 3,5 milliards de personnes - correspondant à 70% de tous les adultes dans le monde - possèdent moins de 10 000 $. » Ami lecteur, es-tu bien certain d’avoir 10.000 balles dans ton bas de laine ? Reprenons : « La situation des plus jeunes est nettement disproportionnée, car ils n’ont pas eu le temps d'accumuler des actifs, et nous constatons que les natifs du nouveau millénaire sont confrontés à des circonstances particulièrement difficiles par rapport aux autres générations ». Une vraie génération perdue pour le Crédit Suisse ! Et pour faire bonne mesure : « La génération du millénaire sera peut-être mieux éduquée que les générations précédentes, mais les chercheurs du Credit Suisse s'attendent à ce que seule une minorité de hauts diplômés et d’actifs dans des secteurs à forte demande comme la technologie ou la finance surmonte le "désavantage millénaire". » Enterrement de première classe.

Les inexistants n'ouvrent pas de compte en Suisse

Et ensuite ? Ensuite, rien. Ça s’arrête là. Et heureusement. Sans quoi, cette prise de conscience sociétale habilement mesurée aurait risqué de faire apparaître les milliards de personnes qui vivent avec moins de deux dollars par jour (1,7 euro). Les jeunes du Soudan, de Somalie ou d’autres contrées dont le PIB est inférieur à la fortune du moins bien classé des 1% les plus riches ne sont pas des millenials comme les autres. Mais, ils font pourtant partie des 99% restants, non ? Oui, mais ils n’ont pas 10.000 dollars d’épargne. Aux yeux du Crédit Suisse et du Forum économique mondial, ils n’existent donc pas. Et finalement, c’est tant mieux. Car cela aurait nettement compliqué l’étude et nettement moins intéressé ceux à qui elle s’adresse : les lecteurs de Fortune et de Forbes. On reste chez soi et c’est fort bien ainsi. Pas vrai ?

Soyons de bon compte : une autre grande institution philanthropique, la Banque mondiale, qui conditionne ses « aides » financières à l’adoption, par les États bénéficiaires, de mesures économiques de nature purement libérale,  vient de publier des statistiques encourageantes ; lisez plutôt : « Le nombre de personnes vivant sous le seuil d’extrême pauvreté (1,90 dollar par jour et par personne) dans le monde a diminué d’un peu plus d’un milliard en trente ans, passant de 1,9 milliard en 1981 à 800 millions en 2013, selon la Banque mondiale. Une évolution d’autant plus positive que, dans le même temps, la population mondiale est passée de 4,5 à 7,2 milliards d’individus. Du coup, le taux d’extrême pauvreté a été divisé par 3,9 : 10,7 % de la population mondiale vit aujourd’hui avec moins de 1,90 dollar par jour, contre 42,2 % il y a 30 ans. »

On est si bien en Occident

Mais attention : Ces chiffres ne concernent que la pauvreté dans les pays en développement ou émergents. Pas celle, galopante et exponentielle, qui sévit dans les pays dits « développés ». Et là, on déchante un peu, n’en déplaise au Crédit Suisse. C’est ainsi que l’on constate qu’en vertu du critère du « revenu médian », si le seuil de pauvreté se situe à 50% de ce dernier (ce qui, en pouvoir d’achat, n’est pas nécessairement supérieur aux 2 dollars/jour des pays d’Afrique les plus exposés), le classement révèle cette vérité : « Les Etats-Unis se classent au premier rang avec 17,1 % de personnes pauvres en 2011 selon l’OCDE, suivis de la Grèce (15,2 %) et de l’Espagne (15,1 %). Avec un taux de 6 %, le Danemark est le pays riche le mieux classé. On y compte près de trois fois moins de pauvres qu’aux États-Unis. La France, avec 8 % de pauvres, est à peu près au même niveau que l’Allemagne (8,7 %), mais se classe devant le Royaume-Uni (9,5 %), et même la Suède (9,7 %). Pas de trace de la Belgique, mais il convient de signaler que, selon le très sérieux Observatoire de la Santé et du Social Bruxelles-Capitale (baromètre 2017), « Approximativement un tiers des Bruxellois vivent avec un revenu inférieur au seuil de risque de pauvreté. Plus d’un cinquième de la population bruxelloise d’âge actif perçoit une allocation d’aide sociale ou un revenu de remplacement (chômage ou invalidité), et un quart des enfants bruxellois de moins de 18 ans grandissent dans un ménage sans revenu du travail. ». Etc, etc. Le Crédit Suisse et le FEM semblent les avoir oubliés, mais on espère que Charles le Chauve saura attirer leur attention là-dessus au prochain Forum de Davos… en Suisse.

Allez, encore bravo, et merci.

 

 

 

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