Dans la porte cochère

Une édition originale

Par | Penseur libre |
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De la porte cochère où j’ai installé mon morceau de carton et mon sac de couchage à l’abri de la pluie et du vent, j’observe les bourgeois confrontés à leurs difficultés. Manque de temps pour conduire les enfants à l’école, pour visiter leur vieille mère à la maison de retraite et faire les courses. La vie est pénible même quand on a un toit et des sous. Difficile, voire impossible de trouver une place de parking. Je ne les espionne pas, j’observe. Certains d’entre eux abandonnent une petite pièce dans mon gobelet de papier plus pour se vider les poches que pour me venir en aide mais la plupart préfère ne pas me regarder pas car mon image d’homme qui a faim est trop douloureuse au moment où ils attaquent leur dessert. Quand je me suis installé dans la porte cochère, on m’a demandé poliment de laisser un passage pour les habitants de l’immeuble. Poliment. Les bourgeois sont toujours polis. Je suppose que je ne gêne pas le passage parce que personne ne m’a jamais fait de remarque. On me contourne ou on m’enjambe pendant mon sommeil qui est lourd. La faute à la rasade de bière brune que je m’envoie pour le trouver. En face de chez moi, enfin, je veux dire en face de la porte cochère vit un couple qui s’emmerde. Tout est minuté, toujours pareil et jamais rien ne changera. Aucun changement doit être la recette du bonheur

Le soir, je regarde les couleurs de la télévision qui envahissent leur plafond. A la même heure, tous les soirs, ils éteignent la télé et vont dormir. J’ignore s’ils font l’amour mais je l’espère. Dans la journée, pendant des heures, la femme regarde la rue comme si la rue était plus importante que sa propre vie. Elle semble jeune et belle mais elle s’emmerde. Un après-midi, un seul, j’ai vu un homme sonner à la porte de leur appartement alors que la femme était seule. Il est ressorti quelques heures plus tard en vérifiant si la voie était bien libre. Je ne suis pas là pour juger, pas du tout ! je suis là pour récolter quelques pièces afin d’acheter la bière qui donne sommeil et parfois, les jours de grand froid pour boire le thé chaud qu’une habitante de l’immeuble m’offre parce qu’elle a pitié de ma situation. Un jour, elle m’a demandé si je désirais autre chose. Je lui ai répondu que j’aimerais prendre une douche mais elle a pris peur et a refusé. Le thé, oui. La douche, non. Probablement qu’elle a eu peur de voir mon kiki. Dommage ! Mon odeur nauséabonde doit pénétrer dans le hall de l’immeuble, grimper les étages quatre à quatre, envahir tous les appartements et s’installer jusque dans les assiettes. Déjà qu’elle me donne la nausée, mon odeur. Hier, j’ai bien vu que le couple d’en face s’engueulait. Peut-être même que l’homme a frappé la femme mais je n’en suis pas certain. Plus tard, l’homme a regardé par la fenêtre comme s’il voulait vérifier que personne ne l’épiait. J’ai fait semblant de dormir. Hier, le mari est rentré du travail à une heure inhabituelle. Je me suis inquiété pour la femme mais ouf ! son amant n’était pas là. Quand le mari a pénétré dans son immeuble, qu’il a vérifié que personne ne le regardait, j’ai encore feint de dormir. Ce matin, il est parti travailler à l’heure habituelle.

Vers 8h00, j’ai aperçu la femme de ménage. La routine quoi ! Mais peu après, tout s’est emballé. Des voitures de flics et une ambulance ont envahi la rue. Une camionnette de la télévision nationale s’est même garée devant la porte cochère, me barrant la vue. Le mari est député. Je ne l’ai pas appris par les journaux ni par la télé mais les passants parlent. Plus tard dans la matinée, les ambulanciers ont sorti un corps complètement recouvert sur une civière si bien que j’ignore de qui il s’agit. J’ai vu le mari discuter avec des inconnus. Peut-être qu’il répond aux questions des flics qui lui demandent où il était hier. Je suis le seul à savoir qu’il était dans l’appartement avec sa femme mais je ne dirai rien aux flics. La plupart me fait dégager par la parole des endroits où je dors mais certains ajoutent des coups de pied et des paroles blessantes même pour moi qui ne suis pas fier de ma condition.

La femme a été assassinée, je l’ai appris par la voisine qui m’apporte du thé. La femme d’un député assassinée, çà fait du ramdam. Paraît que tout le monde est au courant sauf moi, le voisin d’en face. Ce soir, au moment où la rue se vidait, deux types habillés comme des bourgeois ont tiré deux bouchons de champagne dans ma direction.

Aargh… j’ai mal…Aargh… je meurs.. au moment où, pour la première fois de ma vie, j’ai l’impression d’être important.

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