Ce théâtre permet la solidarité

ConsoLoisirs

Par | Journaliste |
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Désormais, chaque jeudi, tu choisis toi-même ton tarif entre 5 et 50 euros pour assister au spectacle de ton choix dans ce théâtre.

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Il ne s’agit pas de gratuité mais bien de permettre au public de choisir combien il va payer son ticket.
Comme le chapeau que des chanteurs font circuler après une prestation.
Comme la tirelire qu’un musée peut placer à la sortie de son établissement, le jour d’une gratuité mensuelle. 

L’intérêt avec cette initiative du Théâtre Le Public, c’est que sa direction a rendu public beaucoup de résultats chiffrés. La conclusion s’imposera même aux plus sceptiques: tous les spectateurs ne sont pas des pingres! On a raison de faire confiance à la majorité d’entre-eux. 

À partir de ce constat, que d’autres activités culturelles se lancent donc dans ce modèle économique original qui ne mène nullement à une faillite économique!

SOMMAIRE

1. Tu choisis le prix de ton ticket, et cela marche!
2. Du concret pour les prochaines élections
3. Musées gratuits: savez-vous planter des choux…
4. «Il faut faire une recherche»
5. Deux avancées sur trois
6. Tant qu’on y est, pourquoi pas une grande pyramide à l’expo Toutânkhamon?
7. Victoire: un rejet culturel des étrangers… rejeté
8. Arrêtez la contreproductive «gratuité du 1er mercredi» des musées fédéraux

1. Tu choisis le prix de ton ticket, et cela marche!

Petit rappel: le Théâtre Le Public (Bruxelles) a proposé en février 2019 des prix libres.

Cette opération «Payez votre place de théâtre en fonction de vos moyens» fut une réussite économique et sociale. La solidarité du public culturel existe bel et bien quand on la sollicite et les resquilleurs pingres ne sont la plupart du temps qu’un fantasme dans la tête de quelques cyniques.

Un premier résultat (1er au 14 février 2019) est présenté ici au point 8.

Au final, 4.669 places ont été réservées entre le 1/2/2019 et le 28/2/2019:

  • 37 % des spectateurs sont des nouveaux spectateurs jamais venus auparavant au Théâtre Le Public,
  • 16 % des spectateurs n’étaient plus venus depuis 3 ans,
  • 9 % des qui spectateurs étaient habituellement invités ont cette fois-ci payé leur place.

Pour La Libre du 9 mars 2019, à Stéphanie Bocart, les co-directeurs du théâtre, Patricia Ide et Michel Kacenelenbogen, ont détaillé davantage les résultats:
« (…) Le prix moyen a été de 12,05€ alors qu’il est de 13,50€ sur une saison. Cette action n’a donc ni infléchi, ni augmenté la moyenne du prix.
Plus de 6 spectateurs sur 10 (67%) ont payé leur place entre 5 et 15€, 22% entre 20 et 26€, et 11% entre 30 et 50€, c’est-à-dire plus que ce qu’ils devraient, ce qui nous a surpris, car, dans notre enquête, nous étions à 8%. Cela reflète une volonté de donner plus parce qu’on a les moyens pour que d’autres, qui ont des revenus moins élevés puissent venir au théâtre. Les gens sont ravis de participer à une opération de solidarité.
Par ailleurs, 70% de spectateurs ont réservé un spectacle et 16%, deux.
Enfin, 52% de participants ont profité de l’action pour assister à un spectacle en février tandis que 48% viendront au théâtre une ou plusieurs fois entre mars et juin 2019. Aujourd’hui, la cible la plus complexe à amener au spectacle, pour tous les théâtres, c’est le public entre 25 et 40 ans parce qu’il y a les enfants et aussi la question du pouvoir d’achat. Or, pendant l’opération, nous avons observé qu’il y a eu pas mal de trentenaires (…)».

Le bilan final de cet essai concret pendant un mois de démocratisation culturelle est tellement positif que le Théâtre Le Public a créé, dès mars 2019, et au moins jusqu’à la fin de la saison, son «Jeudi à tout prix»: chaque jeudi, les spectateurs peuvent choisir le prix du spectacle en fonction de leurs possibilités et sans justification (de 5 à 50€).
Les autres tarifs sont toujours en vigueur, de même que les réductions, Billets Arsène50, Articles 27 et Tickets Solidaires.

Pourquoi ce nouveau «Jeudi à tout prix»?
«(…) Donner à chacun le libre choix de son tarif sans avoir à justifier de sa situation personnelle ou financière, en ayant la possibilité de revenir au théâtre autant de fois qu’on le souhaite. Proposer une tarification innovante fondée sur l’engagement où chacun trouve sa place en choisissant son tarif. C’est la possibilité de participer à hauteur de ses moyens, de son envie d’engagement, lors de l’achat d’un billet de spectacle. Vous êtes libre de choisir entre ces différents tarifs: 5€, 10€, 15€, 20€, 25€, 30€, 35€, 40€, 45€, 50€ sans aucun justificatif (…)».

Et cela se déroule comment, concrètement? Réservez votre place «à tout prix» dès le lundi précédant la représentation du jeudi. Tous les spectacles de la saison en cours sont concernés (sous réserve des places disponibles, hors événements).

2. Du concret pour les prochaines élections

Deux de nos partis démocratiques ont déjà répondu de façon fort intéressante à la question posée par ma pétition.
Avant d’aller déposer votre bulletin dans l’urne, vous connaîtrez l’ensemble des réactions politiques et les noms des partis qui vont peut-être s’abstenir de me répondre. Rendez-vous donc dans notre prochaine newsletter.

Mon constat qui m’a poussé à lancer cette pétition et interpeller les directions des partis politiques: les ministres ne répondent pas toujours à leurs courriers. Et parfois, c’est plus précisément lorsqu’ils sont confrontés à des arguments difficilement contestables qui émanent du public.

Je vous demande de signer et aussi de diffuser cette pétition «Obliger les ministres à répondre à nos courriers»:
https://www.change.org/p/obliger-les-ministres-à-répondre-à-nos-courriers

Certes, cela a moins de panache que les grands combats. Mais ce sera sans doute un petit "plus" utile à tant de citoyens ou d’associations qui veulent lancer des débats contradictoires argumentés. Et pour des années et des années.

La Libre a publié ma «carte blanche» qui argumente davantage cette thématique (un texte de pétition ayant intérêt à être le plus court possible).

Voici le texte de la pétition:

Les débats de ces derniers mois autour de la transparence et de la gouvernance ont démontré l'urgence de restaurer la confiance entre les citoyens et les politiques.

Obliger les ministres (et leurs secrétaires d'état) à répondre à nos courriers y contribuerait concrètement. Trop souvent, les interpellations qui proposent des arguments embarrassants ou novateurs se heurtent au silence ou à un simple accusé de réception sans suite des décideurs politiques. Permettre aux citoyens de s'impliquer davantage dans le débat public et de faire émerger de nouvelles idées est pourtant l'un des remèdes contre le développement des extrémismes et du «politiques tous pourris».

Que les ministres soient fiers de devoir répondre par écrit et de manière circonstanciée au moins aux courriers qui émanent d'ASBL (statuts à joindre à l'envoi) ou d'individus si ceux-ci peuvent prouver que les positions qu'ils portent sont soutenues par au moins 100 personnes (ce dernier élément s'inspirant des règles pour interpeller le Conseil communal). Cette obligation ne s'appliquerait pas ni en cas de courriers injurieux, ni lors de tentative d’harcèlement épistolaire.

On imagine certaines réticences: «ce n'est pas possible», «on n'a pas le personnel dans les cabinets», «ni l’argent». En Fédération Wallonie-Bruxelles, ce sont pourtant bien des hommes et des femmes politiques qui ont permis à deux reprises que cette avancée citoyenne devienne obligatoire, et ils ne se l'appliqueraient pas à eux-mêmes? Depuis 2002, et suite à la pression d'une association d'usagers (l'Association des Téléspectateurs Actif), cette obligation est imposée à la RTBF. Elle s'impose aussi aux opérateurs culturels subsidiés par le 15e point du «Code de Respect des Usagers Culturels» adopté en 2006 par le gouvernement.

Nous demandons donc que ce principe soit inscrit dans le prochain accord de gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, mais pourquoi pas aussi aux niveaux régional et fédéral?

3. Musées gratuits: savez-vous planter des choux…

À Bruxelles près du canal, sur le site de Tour & Taxi (avenue du Port 86c), «Bel Expo» devient gratuit le premier dimanche du mois à partir de ce mois d’avril 2019, de 10H00 à 17H00.
À cette occasion, Arts&Publics y organise la fête de la gratuité.
Participez à une aventure interactive et ludique pour découvrir comment agir aujourd'hui pour mieux vivre en ville demain. Cultiver des légumes, pédaler vers la ville du futur, chasser les nuisances, choisir un métier, etc. Programme de la journée.

Sur le site d’Arts & Publics, voici la liste des 150 musées belges gratuits chaque premier dimanche en Wallonie et à Bruxelles.

Une newsletter mensuelle spécifique vous met au courant des différentes nouveautés de cette gratuité du premier dimanche. Inscription: info@artsetpublics.be

4. «Il faut faire une recherche»

Le 25 mars 2019, pour célébrer la «Journée mondiale contre la publicité», le quotidien L’Avenir a publié, en pages 2 et 3, un dossier où il a notamment tracé sur trois colonnes le portrait de celui qui rédige la newsletter que vous lisez en cet instant, sous le titre «Il se bat contre la pub sur la RTBF».

«Comment la chaîne publique pourrait-elle survivre alors que la pub rapporte 74 millions sur un budget de 249 millions d’euros?».
À cette question, le journaliste Marc Uytterhaeghe résume bien les propositions que soutient mordicus Consoloisirs (et tant d’autres interlocuteurs du secteur associatif): «Il faut faire une recherche sur comment financer l’apparent manque à gagner qu’il y aurait. Il existe de nombreuses propositions, mais les hommes politiques ne réagissent pas». Sans doute pas tous les hommes politiques, mais certainement ceux qui gouvernent actuellement comme le ministre des médias Marcourt (la preuve? lire ici, les points 1 et 10).
Parmi ces propositions: la diminution (pas la suppression) du nombre d’émissions de divertissement qui coûtent très cher, l’arrêt du cofinancement par la RTBF du CIM (qui sert à tarifer la publicité) «(…) et cela mettra fin avec cette concurrence avec RTL TVI qui n’a aucun sens», la création au niveau fédéral d’une taxe pour les annonceurs «(…) de quoi aussi aider la VRT qui, en télé, fonctionne sans pub, ce que beaucoup de francophones ne savent pas!».

Pour cette journée mondiale contre la publicité 2019, le collectif «Liège sans pub» a notamment redonné vie par un affichage en rue à «Ici Bla-Bla» (et son hymne quotidien «Beurk? la pub» diffusé par la RTBF, ce qui faisait enrager à chaque diffusion les publicitaires).
Sur facebook, la photo de cette campagne a été partagée de très nombreuses fois et a suscité beaucoup de commentaires, ce qui confirme que Bla-Bla n’a pas été oublié et reste dans les cœurs de nombreux téléspectateurs. Il est d’autant plus scandaleux que le public ertébéen soit privé de ce programme. 
Un peu d’histoire, c’est souvent utile! Voici comment Jean-Paul Philippot et les parlementaires du PS et du CDH (au pouvoir à l'époque) ont assassiné à petit feu le héros des enfants et de beaucoup d’adultes: https://www.lalibre.be/debats/opinions/bla-bla-confisque-51b89558e4b0de6db9b07a46

DEUX COURTES INFOS «MÉDIAS»:

Autre souvenir concernant la publicité: Yves Castel a produit une émission radio qui raconte l’arrivée (illégale) de la publicité notamment sur les radios dites «libres». Intéressant document!

N’oubliez pas de lire cet article publié le 30 mars 2019 sur le site de la RTBF: «Une quarantaine d’intellectuels reprochent à la VRT de banaliser l’extrême droite»… Et espérons que la RTBF sera elle-même davantage attentive au contenu de cette pétition pour améliorer certains de ses propres programmes.

5. Deux avancées sur trois

«Le musée Magritte manque-t-il de respect pour ses visiteurs?»: c’est le thème d’un des reportages de l’émission Images à l’Appui diffusée sur RTL TVI vers 19H45, le 25 février 2019, et qui a attiré 427.628 téléspectateurs (soit 28,9% de part de marché).

Je vous conseille de découvrir ce reportage d’une durée de 5 minutes.

Les entretiens pour ce reportage ont été enregistrés quelques jours avant un autre débat avec les mêmes intervenants, lui en direct, sur le même thème pour BX1 (la télévision bruxelloise).

C’est rare de pouvoir comparer le traitement d’une même thématique abordé par un reportage et, d’autre part, par un débat en direct avec les même protagonistes. Ne ratez pas cette occasion!

Le reportage de RTL TVI permet de découvrir une avancée dans cet épineux dossier.
Objectif: conquérir le droit pour le visiteur d’être informé avant qu’il n’achète son ticket des titres des œuvres non exposées.

Une plainte sur ce sujet, et demandant le remboursement d’un ticket à 10 euros, a été introduite au Service du Médiateur Fédéral le 5 novembre 2018. Elle est toujours en cours. 
Voici son texte intégral.

Il ne s’agit pas d’une plainte isolée. Sur la toile, de nombreux témoignages vont dans le même sens, ce qui fait une publicité fort mauvaise pour le Musée Magritte Museum et le tourisme à Bruxelles. Voici ces avis critiques.

Suite à cette plainte, dans un premier temps, le Musée Magritte Museum a placé un avis au comptoir en indiquant que «quelques toiles» n’étaient pas accessibles, mais sans en indiquer ni le nombre (une quinzaine, ce qui est beaucoup!), ni les titres. 

Par la suite, les toiles sont revenue, mais une série d’autres toiles sont reparties.

C’est à ce moment-là qu’une séquence pour le reportage de RTL TVI a été tournée au Musée Magritte Museum. Isabelle Bastaits, la chargée de communication, montre au journaliste un nouvel avis qui informe de l’absence de cette autre série d’œuvres.
Un nouveau pas est heureusement franchi: le musée indique que des œuvres sont absentes ET il dévoile leur nombre, ce qui est nouveau: 14.
Ceci contredit l’excuse invoquée lors d’entretiens précédents où la chargée de communication refusait d’indiquer ce nombre ainsi que les titres des œuvres absentes en invoquant le fait qu’il fallait respecter de façon prioritaire la sécurité des œuvres (notamment au cours du débat de BX1). 
Il reste donc une troisième étape à franchir, sans doute la plus importante (notamment pour des étudiants, des chercheurs ou des passionnés intéressés par une toile précise), afin de respecter le droit du public à être informé: indiquer les titres des œuvres.

6. Tant qu’on y est, pourquoi pas une grande pyramide à l’expo Toutânkhamon?

Voici le fameux masque funéraire qui n’a pas quitté Le Caire: Masque_funéraire_de_Toutânkhamon

L'exposition Toutânkhamon de Paris trompe énormément un «public non averti» auquel elle s’adresse tout particulièrement en utilisant comme emblème de sa communication une œuvre très proche esthétiquement et aux coloris quasi semblables de ce fameux masque alors qu’elle pouvait mettre en exergue tant d’autres trésors exceptionnels, eux bien exposés à Paris: https://expo-toutankhamon.fr/billetterie/
 
À notre connaissance, un seul journal français a dénoncé ce fait dans un titre.

Quant à la tarification, elle est très élevée mais il est difficile de débattre de ce sujet car il n’existe aucune règle objective. On constate quand même que Libération du 23 mars 2019 la qualifie de «pharaonique».

Par contre, on note un élément que l’on peut qualifier clairement de malsain. Le développement rapide de cette nouvelle pratique qui consiste à pratiquer une tarification plus chère pendant les week-ends, ce qui discrimine plus de la moitié des visiteurs potentiels: la population active (travailleurs et étudiants).
Pour cette exposition Toutânkhamon, c’est 2 euros en plus: on passe, pour le tarif plein, de 22 à 24 euros les samedis et dimanches (+ 2 euros pour assurance facultative remboursement…). 

La L.U.C. vient de décerner à cette vilaine évolution également prisée par plusieurs organisateurs culturels belges son 3ème FLOP.

Nouvelle adepte de cette «pratique» déplorable: l’expo «Beyond Bruegel » (au titre uniquement en anglais, bien entendu) qui va se dérouler au Palais de la Dynastie (Mont des Arts à Bruxelles) du 6 avril 2019 au 31 janvier 2020.

J’ai interpellé «Beyond Bruegel» à ce propos sur son site internet. La réponse reçue le 5 avril 2019 est : «Bonjour Bernard. Faire travailler des gens nous coûte aussi plus d’argent pendant les week-ends. Ce n’est pas le but de discriminer car la production de Beyond Bruegel est un travail de presque un an avec beaucoup de personnel et de nouvelle technologie, dans un bâtiment qu’on devait beaucoup modifier pour organiser cette exposition. Nous espérons vous y voir.».

7. Victoire: un rejet culturel des étrangers… rejeté

Quelle honte! La gratuité muséale «du premier dimanche» a failli être réservée qu’aux personnes résidantes ou domiciliées sur le territoire belge!

Au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, le projet du nouveau décret «musées» qui était débattu en commission le 25 mars 2019 proposait pareil amendement (le point 15).

ECOLO m’a demandé de me positionner. Je lui a fait parvenir mes réflexions que j’ai également adressées aux représentants des autres partis démocratiques, la veille de la réunion. 
Au cours de celle-ci, ECOLO a introduit plusieurs amendements dont un pour supprimer cette limitation de la gratuité aux seuls résidents belges. Il a été approuvé.

Voici l’intégralité de mon texte qui aborde bien d’autres sujets concernant nos musées wallons et bruxellois.

(…) Dans le texte du décret «musées» à débattre en Commission le 25 mars 2019, j’ai constaté que le mot «visiteur» n’apparait que sur deux pages alors que le mot «musée» fleurit quasi à chaque page, et souvent plusieurs fois. Il me semble qu’il s’agit globalement d’un projet davantage inspiré par les soucis économiques des musées (et surtout des plus grands) que par les intérêts des visiteurs. 

1: Les usagers ont-ils été consultés? 

Je me permets une question préalable: les usagers culturels ont-ils été consultés? Et comment? Ont-ils émis des propositions? Celles-ci ont-elles été discutées, acceptées, refusées? 
Administrateur de l’asbl établie en Bruxelles L.U.C. (La Ligue des Usagers Culturels), je peux vous confirmer qu’elle n’a pas été approchée.
Voici sa présentation: http://la-luc.blogspot.com/2018/12/definition-objectifs-et-activites.html

2: Une gratuité qui exclut

Le chapitre 6 souhaite limiter la gratuité du premier dimanche aux personnes résidantes ou domiciliées sur le territoire belge. 

De mémoire, une mesure analogue dans un autre pays a naguère subi les foudres de l’Europe car étant discriminatoire. 

Le Parlement Wallonie-Bruxelles est-il compétent pour tous les habitants du territoire belge?
Ne devrait-il pas envisager de réserver la gratuité aux seuls habitants de sa Communauté?
Cette question repose sur une certaine logique puisque la partie flamande du pays pratique en général des gratuités «tous publics» de façon électoraliste qu’à l’égard des habitants des villes où les musées sont situés (à l’exception d’Anvers qui développe depuis longtemps déjà la gratuité pour tous, chaque dernier mercredi du mois). 

Cette proposition est contreproductive du fait même que le projet de décret tente d’innover en voulant développer un plan de communication et de promotion touristique (article 8) au niveau national et international. Venez voir nos musées mais nous sommes si pingres que nous vous excluons de notre gratuité mensuelle, à l’inverse de ce qui se passe dans les autres régions/pays!

Qu’est-ce que nos parlementaires répondront à leurs électeurs fâchés dans le cas où, suite au vote de cette proposition, d’autres pays ou régions décidaient de nous rendre la pareille et agiraient de même?

  • A: la France pourrait supprimer sa gratuité du premier dimanche à nos habitants,
  • B: les plus grands musées du monde, ceux qui ont la plus forte fréquentation et qui sont gratuits tous les jours (aux USA et en Grande-Bretagne) feraient de même,
  • C: finie pour nous, la nouvelle nocturne gratuite chaque premier samedi du mois de 18H à 19H45 avec accompagnement (musique, spectacles, commentaires) au Louvre à Paris,
  • D: nous n’aurions plus accès au Prado, ni dans les autres grands musées espagnols lors de leurs gratuités pour tous chaque jour durant deux heures en fin de journée.

L’adoption de cette proposition totalement égoïste pourrait donner de mauvaises idées aux autres pays. Quelle responsabilité!

Que diriez-vous aux autres pays/régions de la Francophonie qui ne manqueront de vous marquer leur étonnement?
Pour rappel, les effets positifs de notre «gratuité du premier dimanche» ont inspiré récemment le Québec à mettre en place sur ses terres ce même avantage «pour tous». Les Belges en profiteraient et nos amis de Montréal devraient payer chez nous? Sommes-nous à ce point irresponsables? Vive la Francophonie, dans les belles paroles…

Parmi les très nombreuses réactions, toutes défavorables, que la présentation de cette proposition dévoilée sur mon mur de facebook a suscitées, je vous sélectionne celle-ci: «Cela introduit une discrimination au niveau européen mais aussi envers les Belges de l’étranger… De plus, comment l’appliquer? Contrôle d’identité à l’entrée? Du personnel supplémentaire à mobiliser, pour quels résultats? Celui de passer pour des pingres».

On peut imaginer que cette proposition a été introduite pour faire des économies par rapport au «manque à gagner» occasionné par la gratuité du «premier dimanche».

N’oublions pas que, pour leurs fonds permanents, il est vital pour nos musées de redéployer leur public dans les années à venir, surtout avec les prévisions funestes liées à la fin du baby boom qui annoncent une dégradation encore plus forte de la fréquentation.

Il m’apparait que la gratuité du premier dimanche est la mesure qui coûte le moins cher pour redéployer le nombre de ces visites (à la fois le nombre de visiteurs, mais aussi favoriser le fait que des usagers qui viennent rarement au musée y viennent beaucoup plus fréquemment grâce à cette opportunité mensuelle qui devient «une «habitude»).
Aucune institution muséale ne m’a présenté jusqu’à présent un plan de redéploiement qui coûterait moins cher que cette gratuité mensuelle pour tous. Nous parlons bien de gratuité ici (et pas d’une carte de réductions qui coûte 50 euros).
Il faut respecter le droit du public à des gratuités muséales. Le public n’a pas à payer une seconde fois pour découvrir le patrimoine qui a souvent été acquis une première fois avec les deniers de ses ancêtres. On est passé très souvent d’une gratuité tous les jours au payant avec une journée de gratuité pour tous… Ne supprimons pas totalement les droits du public. 

Plusieurs mesures existent pour contrebalancer le manque à gagner mensuel mais bien souvent elles ne sont pas appliquées pour les institutions qui voudraient réduire ou supprimer progressivement la gratuité «le premier dimanche du mois».

Pourquoi le projet de décret se tait-il sur ce thème?
C’est justement là qu’il devrait être rigoureux. Ce fait montre bien une carence due à la non consultation préalable d’associations d’usagers. 

Ce manque à gagner financier qu’occasionne cette gratuité «rare» est relativement peu important pour la majorité des (petits) musées dont les rentrées d’un dimanche «payant» se situent bien souvent entre 0 et 50 €. Pour les autres (en général, les seuls qui ont la chance de s’exprimer dans les journaux!), il est plus significatif mais il existe plusieurs pistes concrètes pour en atténuer, voire supprimer les effets négatifs.

Il convient aussi d’être attentif: le manque à gagner doit se calculer à partir bien sûr de la fréquentation moyenne d’un «dimanche payant» et pas à partir du nombre de participants au dimanche gratuit (cette erreur ou faute est souvent commise).

Différentes pistes existent pour combler l’éventuel «manque à gagner» conséquent des plus grandes institutions: valoriser le shop et le restaurant (une solution prônée par le musée Hergé), organiser une promotion efficace des expos temporaires payantes auprès des visiteurs… et surtout placer à la sortie du musée une tirelire attrayante (de nombreuses expériences en Belgique et à l’étranger démontrent que cette dernière piste est souvent très efficace… mais la plupart de nos musées semblent l’ignorer, est-ce de la mauvaise volonté?). 

Cet automne 2018, la nouvelle majorité au pouvoir en Italie, dont on connait la sinistre orientation politique notamment dans le domaine de l’immigration, a pris l’une de ses premières décisions culturelles: l’arrêt pour les musées de devoir pratiquer la gratuité du premier dimanche du mois.

3: Promouvoir les gratuités mensuelles de façon récurrente 

Dans l’article 8 qui aborde un plan de communication et de promotion touristique, il faudrait ajouter l’idée de promouvoir les gratuités muséales.
Faut-il rappeler que le 21 mars 2018, le Parlement bruxellois a opté pour que les diverses gratuités des musées de la capitale soient considérées comme «un argument utile au tourisme» et qu’il faille mettre en place une «promotion récurrente» de celle-ci. Une belle initiative à suivre aussi en Fédération Wallonie-Bruxelles? 

4: Nouvelles technologies et usagers

La rédaction de l’article 8 devrait davantage s’intéresser aux usagers.
L’évolution des technologies pourrait permettre une meilleure médiation interactive des institutions muséales et de leur public. 
Je propose la création d’un site consacré au rassemblement des «livres d’or» de tous les musées de la Communauté française. Il permettrait aux visiteurs de présenter leurs observations positives et de mentionner leurs plaintes, avec les réactions des musées concernés. 
Pareil livre d’or interactif a notamment montré son efficacité au musée d’Orsay à Paris. 

5: Évaluation quadriennale ou tribunal?

L’article 21 devrait préciser les indicateurs plutôt que permettre à la Chambre de concertation des Patrimoines culturels de les définir… Que se passerait-il si cette Chambre était fortement influencée par certaines institutions qui tentent depuis de nombreuses années de saboter cette gratuité? 
Bien entendu, ces indicateurs doivent tenir compte à 50% des intérêts des usagers, et 50% des intérêts des directions des musées. Les musées existent pour le public, sinon on louerait de simples coffre-forts, on perdrait beaucoup d’emploi et on ferait ainsi beaucoup de bénéfices pour uniquement sauvegarder le patrimoine (…).

8. Arrêtez la contreproductive «gratuité du 1er mercredi» des musées fédéraux

Apprenant par la presse que la «Commission de l'économie et de la politique scientifique» de la Chambre avait demandé une note écrite pour le 12 mars 2019 aux directions de nos musées fédéraux afin de découvrir si elles étaient favorables (il y a fort à parier hélas qu’elles ne le seraient pas) à la mise en place dans leurs institutions de la «gratuité du premier dimanche du mois» (elles pratiquent jusqu’à présent la demi journée de gratuité du «premier mercredi du mois» de 13H à 17H), j’ai pris l’initiative d’écrire aux députés .

De quel droit? Sur ce thème précis, en 2005, j’avais déjà mené un travail concret.
Philippe Mettens (en tant que président, à l’époque, du Département de la Politique Scientifique) m’avait chargé d’une mission sur les gratuités muséales concernant les institutions fédérales et j’ai rencontré longuement à l’époque les différents intervenants.
Il s’agissait donc pour moi de rappeler et surtout de réactualiser les résultats de cette consultation.
J’ai donc adressé à de nombreux parlementaires, le 6 mars 2019, les propositions suivantes que j’ai intitulées «Gratuité mensuelle pour tous»:

A: Arrêt de la gratuité quotidienne: 2/3 de visites en moins!

Depuis leur création par Bonaparte et jusqu’à aujourd’hui, les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique (MRBAB) connurent des allers et retours réguliers entre gratuité totale ou partielle.
Après une petite vingtaine d’années de gratuité quotidienne, Yvan Ylieff, alors ministre de la Politique Scientifique, leur imposa en 1997 un droit d’entrée quotidien à 150 FB (3,72 €) et diminua en même temps de près de 7 millions de FB (173.525 €) sa dotation.

L’institution fédérale perdit alors en quatre ans un peu plus des deux tiers de son public.
On passa de 953.316 à 306.321 visites. Ces chiffres ne sont guère médiatisés auprès du grand public alors qu’ils ne sont pas confidentiels. Pourtant ils donnent à réfléchir, d’autant plus que, quand on suscite encore aujourd’hui des témoignages sur cet arrêt de la gratuité, le regret qui émarge concerne le fait que l’entrée payante rend plus difficile à concrétiser cette envie de revenir régulièrement dans le même musée pour des visites moins longues. Le «payant» élimine les «visites contemplatives» au profit des «visites consommation» (tout voir en une fois puisqu’il faut payer).

B: Le premier mercredi du mois: une vraie fausse gratuité?

Huit mois plus tard, se crée au niveau fédéral la «gratuité du premier mercredi du mois».
Selon Le Soir et La Libre Belgique (28/08/1997), elle s’adresse «au plus grand nombre». En fait, elle est surtout favorable aux touristes pourtant «prêts à payer». En effet, elle ne s’entame qu’après 13h00, ce qui empêche les «scolaires» d’y avoir recours. Les travailleurs et les étudiants n’y ont pas accès. Et elle fait double emploi avec d’autres avantages déjà existants pour des publics particuliers: enfants, jeunes, seniors, demandeurs d’emploi, etc.

Premier bilan, six ans après sa mise en place: se complètent l’une des ultimes déclarations de fin de mandat de la Conservatrice en chef des MRBAB, Eliane De Wielde, et les remarques de Helena Bussers, qui lui succède.
Le 12 avril 2003, la première est interviewée dans le tram qui sillonne les artères de la capitale pour une émission de Télé-Bruxelles. Elle explique brièvement, mais fermement, à Jean-Christophe Pesesse qu’elle est contre les musées payants: «Que cela a fait du tort».

Quant à la seconde, elle confirme cette appréhension dans Le Ligueur du 26 novembre 2003.
«Pourquoi le mercredi? Nous avons reçu des consignes de l’administration. La tradition veut que les enfants étaient en congé le mercredi après-midi. On a peut-être oublié que les adultes qui travaillent en journée visitent aussi les musées! Bien entendu, les retraités peuvent venir mais ils ont déjà droit à des réductions. Ce n’est pas un cadeau, le choix de ce jour! De plus, peu de gens sont au courant de cette gratuité».

C: En 2019, faut-il maintenir la gratuité du premier mercredi du mois?

La gratuité du premier mercredi qui a été créée pour s’adresser «au plus grand nombre» rate sa cible puisqu’elle nie, vu son horaire (le mercredi de 13H à 17H), plus de la moitié de la population: les travailleurs et les étudiants. 

Depuis plus de 20 ans qu’elle existe, elle a essaimé dans peu de nouveau établissements. Une dizaine alors que la gratuité du «premier dimanche du mois», née longtemps après elle, touche actuellement plus de 150 musées. 

Alors que la gratuité du premier dimanche fait l’objet d’évaluations menées par des enquêtes indépendantes de type scientifique pour mesurer son efficacité, il ne semble ne pas en être de même pour celle du premier mercredi.
Je ne peux donc que me baser sur mon observation sur le terrain. Je constate qu’elle récolte un certain succès dans la plupart des musées quand elle est pratiquée durant les vacances scolaires. D’autre part, son succès, mois après mois, s’affirme en particulier au Musée des Sciences Naturelles. 

La réaction au constat que la gratuité du premier mercredi discrimine la population active consiste souvent à invoquer que c’est le moment idéal pour toucher la jeune génération. Aujourd’hui, cet argument n’a plus de sens puisque la majorité des musées fédéraux ont en 2018 élargi leur gratuité quotidienne aux jeunes de 6 à 18 ans.
Puisque c’est gratuit pour eux désormais tous les jours ouvrables, si l’on garde la gratuité du premier mercredi du mois, il faut que cet effort financier soit fait pour attirer de nouveaux publics âgés de plus de 18 ans. Dès lors, se confisquer plus de 50% de la population potentielle (la population active) s’avère encore donc davantage un non sens, et même une faute économique. 

Enfin, en plus de 20 ans, les musées qui pratiquent le premier mercredi du mois ont été incapables de diffuser la liste des musées qui adhèrent à cet avantage sur un leaflet à proposer à leurs visiteurs du premier mercredi pour les inciter à découvrir d’autres musées le mois suivant. Comment toucher de nouveaux publics si ceux-ci ne sont quasi jamais informés ni de cette liste, ni de l’existence même de la gratuité? À quoi sert donc cette gratuité? À faire un cadeau à des touristes non informés de cette gratuité qui sont venus ce jour-là par hasard et étaient disposés à payer leur entrée?
C’est la pratique inverse de celle promue par la gratuité du premier dimanche qui multiplie les annonces mois après mois, ressource chaque mois l’information par l’organisation d’une «fête de la gratuité» dans un musée différent, et même propose chaque année un cahier de 48 pages «Regards sur les musées» inséré dans Le Soir. 

D: Résultats de ma mission d’investigation au niveau fédéral pour le Département de la Politique Scientifique

Chargé d’une mission d’investigation sur les gratuités muséales par Philippe Mettens, le Président du Département de la Politique Scientifique, j’ai rencontré, plusieurs représentants d’institutions fédérales, de type culturelles ou scientifiques. Objectif: faudrait-il au niveau fédéral adopter une gratuité mensuelle accessible à la population active? Afin qu’elle soit médiatisée davantage chaque mois, proposer également à chaque édition la mise en exergue d’une œuvre différente par institution. 

- Les MRBAB:
Michel Draguet, le Directeur des MRBAB, m’a reçu, le 18 juillet 2005.
Il était vivement intéressé par la mise en exergue d’une œuvre différente chaque mois, et par aussi une gratuité mensuelle «organisée dans le but de toucher un nouveau public qui n’a pas l’habitude de fréquenter les musées». Mais quel jour? Le «premier dimanche» ne l’agréait pas car il «contraindrait à renoncer à d’importantes rentrées financières». Par contre, il émit le souhait de la mise en place de nocturnes, le vendredi soir. Il pensait que «pour pareil projet novateur à Bruxelles», il pourrait trouver «aisément le soutien de sponsors».

- Les Archives générales du Royaume:
Le 23 août 2005, je rencontre Karel Velle, le directeur des Archives générales du Royaume. En guise de conclusion à notre entretien, il lâchera un «J’adore ce projet!».
L’Archiviste du Royaume souhaite qu’on ne se limite pas à une simple gratuité. La «mise en exergue» lui semble primordiale car elle favorise l’accueil et la formation du public. Cette stratégie permettrait progressivement de mettre davantage en lumière le patrimoine des différentes institutions.
Un catalogue mensuel regroupant les différentes activités pourrait être financé par la publicité ou le sponsoring, et favoriserait le travail de formation du public.
Par exemple, notre interlocuteur aimerait qu’il y soit expliqué aux visiteurs comment est utilisé l’argent des entrées qui sont perçues les jours où les musées sont payants.
La présentation de ces activités trouverait une place de choix sur les sites des diverses institutions. Pour lui, des mesures d’accompagnement financier devraient permettre de mettre en place le projet mais il ne prône pas le remboursement aux musées des places des jours de gratuité. Il préfère que les rentrées complémentaires auxquelles ils auraient droit en compensation servent au financement de la coordination: relations avec la presse, réalisation et diffusion d’un catalogue mensuel, coordination des informations. Et surtout qu’elles favorisent l’accueil du public: par des visites guidés, notamment.
Mais comme les Archives sont fermées le dimanche, Mr Velle opterait plutôt pour le premier samedi du mois.

- La Bibliothèque Royale:
Patrick Lefèvre, le directeur de la Bibliothèque Royale, lorsqu’il me rencontre le 11 septembre 2005, me parle d’abord de son expérience précédente, quand il dirigeait le Musée Royal de l’Armée, l’une des rares institutions belges dont l’entrée était encore gratuite tous les jours:
«On évaluait le nombre annuel de visiteurs jusqu’à 300.000. Dans d’autres musées fédéraux où l’entrée est payante, les résultats sont de loin moins imposants: souvent en dessous des 100.000. Et il faut être conscient que les droits d’entrée ne recouvrent qu’une toute petite partie des revenus de ces institutions, souvent de l’ordre de 10 à 20%».
Comme son confrère Karel Velle, le directeur des Archives générales du Royaume, il considère que l’organisation d’une bonne médiatisation constituerait «un bon deal à proposer aux directions des musées en échange du manque à gagner financier qui résulterait de la gratuité dominicale».
Il pense qu’il faudrait faire participer à cette initiative également «d’autres musées privés recevant d’importants financements publics: le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, le Musée BELvue, etc.».

- Muséum des Sciences Naturelles:
Le 25 mars 2009, j’ai eu l’occasion d’avoir une séance de travail avec Camille Pisani, la directrice du Muséum des Sciences Naturelles de Bruxelles.
Elle craint qu’une gratuité «du premier dimanche» n’attire trop de monde, ce qui coûterait cher en frais de personnel complémentaire et ce qui ne serait pas bon pour le confort du public: «Attirer des visiteurs pour les pousser à faire la file à l’extérieur nuirait à l’objectif poursuivi».
La même appréhension devrait s’envisager pour les Musées de la rue de la Régence. Les deux derniers dimanches exceptionnels de gratuité y ont attiré la grande foule: 6.852 visiteurs le 27 novembre 2016, et plus de 10.000, le 7 décembre 2003:
http://www.entreleslignes.be/humeurs/consoloisirs/6852-visiteurs-en-un-jour

Il faudrait envisager donc d’autres solutions pour les très grandes institutions qui pourraient, ces jours-là, être victime de leur succès: «Pourquoi pas, mois après mois, en alternance, une ou deux Institutions Fédérales ne proposeraient-elles pas une «mise en exergue» dans un local accessible gratuitement, les autres salles de ces musées conservant, ces jours-là, l’accès payant?». Mme Pisani ne semble pas du tout rétive à participer d’une façon ou d’une autre au succès des «premiers dimanches». Reste à trouver une formule praticable.

Pourquoi donc, dès lors, ne pas évoluer vers les «premiers week-ends du mois» où l’on aurait droit à des nocturnes gratuites dès le vendredi soir, et que les samedis et/ou les dimanches proposeraient de simples «mises en exergues» événementielles ou des accès plus complets aux musées?
On se rapprocherait d’une formule festive qui a fait ses preuve, celle des Journées du Patrimoine.

- MRAH:
Durant cette mission de 2005, je n’ai pas eu la possibilité de rencontrer la direction des MRAH.

E: La gratuité du «premier dimanche» peut rapporter…

Que penser du manque à gagner financier qu’occasionne cette gratuité «rare»?
Il est relativement peu important pour la majorité de ces (petits) musées dont les rentrées d’un dimanche «payant» se situent bien souvent entre 0 et 50 €.
Pour les autres, il est plus significatif mais il existe plusieurs pistes concrètes pour en atténuer, voire supprimer les effets négatifs.
Il convient aussi d’être attentif: le manque à gagner doit se calculer à partir bien sûr de la fréquentation moyenne d’un «dimanche payant» et pas du nombre de participants au dimanche gratuit!
S’agirait-il d’un simple effet de d’aubaine? Aucune enquête fiable ne le précise jusqu’à présent, ce qui est dommage.
Dans l’évaluation qui reste à concrétiser, il faudra aussi attacher de l’importance à un autre aspect, moins souvent pris en compte: un autre objectif de la gratuité du premier dimanche est, en période de crise économique aigüe, le fait de permettre aux visiteurs qui vont que de temps en temps au musée (c’est un secteur où les prix ont bien souvent augmenté beaucoup plus rapidement que le coût de la vie) d’y revenir plus fréquemment et de devenir des amateurs éclairés.

F: Mé-dia-ti-ser!!!

Une gratuité mensuelle responsable devrait s’afficher, chaque fois qu’elle se déroule, dans les médias traditionnels et sur les réseaux sociaux.
Un écueil à vaincre: les médias traditionnels favorisent trop les expositions temporaires car ils ont besoin d’événementiel. Il faut donc reconquérir des territoires médiatiques pour régulièrement indiquer au public que les musées détiennent aussi des collections permanentes, et ainsi valoriser leur patrimoine.

De là, l’idée de faire «la fête de la gratuité» chaque mois, dans un musée différent. Un challenge: réussir à faire venir, ces jours-là, un vaste public lors d’activités qui ne coûtent quasi rien à mettre en place pour le musée: les coups de cœur des bénévoles; célébrer «la naissance» de nouvelles acquisitions; découverte des réserves avec le conservateur; une célébrité locale imagine sa visite guidée; proposer avec un organisateur extérieur une bourse d’échange de livres d’art; etc.
Cette activité, désormais récurrente, porte ses fruits.
Une «fête de la gratuité» fut organisée au Musée d’Histoire Naturelle de Tournai le 3 février 2013. Entre 14h à 17h, il accueillit 1.199 visiteurs, ce qui est beaucoup pour cette institution qui est le plus ancien musée de Belgique (restauré, rassurez-vous!). Le patrimoine de ce musée fut promu notamment grâce à un article sur deux pages (avec photo) dans «Moustique» pour annoncer l’événement, et, le lendemain de l’activité, par un compte-rendu d’une page entière (avec photo) dans «L’Avenir» et par un reportage au journal parlé de 08H00 à la RTBF.

Cette médiatisation prend des formes diverses. Par exemple: prévoir un panneau visible de la rue qui permet aux passants d’interrompre leur promenade dominicale pour utiliser leur droit à la gratuité du premier dimanche. À ma demande, cette expérience fut tentée en 2017 par le Musée BElvue situé à côté du Palais Royal. Suite à cette expérience, An Lavens, responsable du Musée, m’a confirmé les chiffres suivants qui me semblent significatifs: 

- 1. Le nombre d’entrées moyenne d’un dimanche payant:
Pour la période du 21/07/2016 au 11/09/2017: 106 visiteurs en moyenne;
- 2. Le nombre d’entrées un dimanche gratuit sans le panneau informatif pour la période du 21/07/2016 au 30/06/2017: 419 visiteurs en moyenne;
- 3. Le nombre d’entrées en moyenne le dimanche gratuit avec le panneau depuis le 2/07/2017: 637 visiteurs en moyenne par dimanche pour les 3 dimanches de juillet, août et septembre 2017.

G: La norme muséale, c’est plutôt le gratuit

Contrairement à ce que certains imaginent, les gratuités des musées sont la norme.
Les plus grands musées anglais et américains (ceux qui totalisent le plus d’entrées annuellement) sont gratuits tous les jours (Chicago, New-York, Londres, etc.) 
Le Louvre (Paris) depuis janvier 2019 propose une nocturne gratuite de 18H à 21H45 tous les premiers samedis du mois avec un accompagnement dans plusieurs salles (commentaires, spectacles, concerts) pour tenter de rendre moins timide le public qui entre pour la première fois dans un musée.
En Europe, d’autres gratuités «pour tous» ne manquent pas d’attrait. Par exemple, le fait que de grandes institutions Madrilènes comme Le Prado pratiquent une gratuité courte en fin de journée chaque jour pendant 2 heures peut donner envie au public de revenir plusieurs fois dans ces musées pour progressivement en faire le tour, car après deux heures de visite, les yeux sont fatigués et l’attention, moins soutenue.

Cet automne 2018, la nouvelle majorité au pouvoir en Italie dont on connait la sinistre orientation politique notamment dans le domaine de l’immigration a pris l’une de ses premières décisions culturelles: l’arrêt pour les musées de devoir pratiquer la gratuité du premier dimanche du mois.

H: Que proposer pour 2019 et les années à venir? 

Je pense qu’il faudrait progressivement intensifier la gratuité du premier dimanche en Belgique. Une complémentarité des institutions fédérales et des 150 musées qui pratiquent déjà cet avantage pour tous douze jours par an en ferait à terme une mesure de démocratisation culturelle populaire et essentielle au coût relativement peu élevé par rapport aux effets escomptés et qui jouirait d’une médiatisation mensuelle de grande ampleur.

Je pense que l’adoption de la gratuité du premier dimanche par les institutions fédérales devrait être progressive. Il faudra évaluer si l’idée du «premier week-end du mois» dédié aux musées serait pertinente, avec, bien entendu, un affichage commun des «premiers dimanches» et des autres activités se déroulant les vendredis soirs et les samedis qui précèdent ce jour de gratuité. 

Mes propositions tiennent compte chaque fois que c’est possible des résultats des discussions avec les directions des diverses institutions lors de ma mission d’investigation.

Ce sont des propositions minimalistes. 

1: Il faudrait expérimenter rapidement le «premier dimanche» dans les plus petites structures comme, par exemple, le Musée de la Porte de Hal (des MRAH). 

2: On connait la pétition qui a rassemblé plus de 3.000 signatures mais qui est restée sans effet jusqu’à présent, «Non à l’asphyxie des musées Constantin Meunier et Antoine Wiertz»: https://www.change.org/p/michel-draguet-stop-à-l-asphyxie-de-musées-constantin-meunier-et-antoine-wiertz
Une réponse peu onéreuse à cette revendication pourrait être une ouverture minimum accessible à la population active de ces deux ateliers d’artistes des MRBAB (ils sont actuellement fermés chaque week-end, les jours de congés légaux, et quand ils s’ouvrent du mardi au vendredi, c’est pour être clos pendant le temps de midi). Programmer leur ouverture, le premier dimanche du mois, au minimum, l’un en matinée, et l’autre en après-midi. 
La pétition dénonce aussi le peu de médiatisation dont souffre ces deux musées. Elle serait partiellement palliée par leur présence dans la liste des musées gratuits chaque premier dimanche. 

3: Les Archives du Royaume et la Bibliothèque Royale seraient gratuites chaque premier samedi du mois et proposeraient par exemple une activité type conférence ou spectacle, projection de film.

4: Le vendredi soir précédent le «premier dimanche du mois», une nocturne gratuite festive serait proposée dans les musées de la Rue de la Régence des MRBAB: alternativement le Musée d’Art Ancien, le Musée Magritte ou le Musée Fin de Siècle. Une sorte de lancement du week-end gratuit (ce qui régalerait les responsables du tourisme bruxellois).

5: Le MIM (des MRAH) pourrait proposer une nocturne gratuite avec concert, le samedi (et resterait donc payant le dimanche). 

6: Le Musée des Sciences Naturelles proposerait le samedi et le dimanche (pour étaler sur deux jours la présence du public) une «mise en exergue» avec commentaires d’une œuvre (ou d’une section) dans un local accessible gratuitement, les autres salles de ces musées conservant, ces jours-là, l’accès payant.

7: Le Musée d’Art et d’Histoire (des MRAH) pourrait être la grande institution qui expérimenterait la gratuité du «premier dimanche», pour une période de deux ans par exemple. 

Plus éloignée du centre ville et du plein tourisme que les autres grands musées, il aurait un intérêt certain à utiliser cette aubaine pour diversifier ses publics. Mois après mois, il pourrait placer progressivement sous les projecteurs de l’une ou l’autre des mille facettes de son patrimoine.

Puisque les expositions temporaires restent payantes dans la conception même du «premier dimanche gratuit», il pourrait tenter l’expérience de proposer, ce jour-là, celles-ci à un prix réduit, ce qui en multiplierait peut-être ces entrées payantes. 

L’expérience des tirelires attrayantes placées à la sortie permettrait de voir comment les visiteurs de cette institutions réagissent. 

Un challenge serait aussi expérimenté: celui réussir à faire venir, ces jours-là, un vaste public lors d’activités qui ne coûtent quasi rien à mettre en place pour le musée:

  • A: les coups de cœur des bénévoles;
  • B: célébrer «la naissance» de nouvelles acquisitions;
  • C: découverte des réserves avec le conservateur;
  • D: une célébrité locale imagine sa visite guidée;
  • E: proposer avec un organisateur extérieur une bourse d’échange de livres d’art, etc.

L’ARAU a publié en son temps une enquête fort détaillée menant au même positionnement que le mien: il faut préférer pour les musées fédéraux la gratuité du premier dimanche à celle du premier mercredi: https://arau.org/au/804e3657bfd3222506fd62b283ee03596ce5c526.pdf

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Merci !

Bernard Hennebert,
Initiateur de la gratuité muséale des premiers dimanches,
Coordinateur de Consoloisirs,
Auteur du livre «Les musées aiment-ils le public?».


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