Cinéma: démission de l’État?

ConsoLoisirs

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Affichage à l’extérieur d’une salle de cinéma bruxelloise, quelques heures avant que soit mis fin aux 100 ans (tout juste) d’existence des «enfants (non) admis», les EA et les ENA.
(photo Benoit Goossens)

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L'année 2020 commence par un détricotage culturel majeur dont on peut craindre les retombées.
Il ne sera désormais plus jamais interdit aux enfants d’entrer dans une salle de cinéma, même si le film projeté ne leur est pas du tout destiné: «Alors que l’autorité politique cherche jusqu’à présent en vain comment empêcher sur internet que des images inappropriées soient captées par les enfants... là où c’était régulé, dans les salles de cinéma, on ouvre les vannes». 

Voilà bien sûr le dossier le plus percutant pour ce début 2020 (voir point 2).
Mais il en est un autre capital pour l’avenir de la RTBF qui vient de vivre des changements fondamentaux avec la nomination d’une ministre des médias Écolo (dont le gouvernement auquel elle participe avec le PS et le MR a décidé de diminuer la présence publicitaire à la RTBF sans augmentation de la dotation) et avec la formation d’un nouveau conseil d’administration radicalement différent de celui qui l’a précédé.
Avec cette nouvelle configuration, ce gouvernement va-t-il, dans les jours qui viennent, donner ou non son feu vert pour un quatrième mandat de six ans sollicité par l’administrateur général actuel, Jean-Paul Philippot?
Consoloisirs déconseille cette prolongation et s’explique ici en trois étapes (voir la fin du point 2 ainsi que les points 7 et 8).

SOMMAIRE 

1. 2019: pourquoi une année faste pour Consoloisirs?
2. Ce 8 janvier au cinéma: finis, les EA et les ENA
3. Fédéral: la gratuité mensuelle du «premier mercredi» en sursis?
4. Les quatre vérités de Philippe Grombeer
5. Évolution de PointCulture, prix des concerts, privatisation de la culture, etc.
6. Quelle logique? Les seniors, c’est 60 ans, puis 67 ans, enfin 65 ans!
7. Deux raisons pour ne pas octroyer un quatrième mandat à J.P. Philippot (1)
8. Deux raisons pour ne pas octroyer un quatrième mandat à J.P. Philippot (2)
9. L’Europe ignore-t-elle les droits des usagers culturels?

1. 2019: pourquoi une année faste pour Consoloisirs?

2019 fut un excellent crû pour Consoloisirs. Deux de ses combats majeurs entamés depuis de nombreuses années ont fortement avancé. Non au fatalisme!
D’une part, le nouveau gouvernement a décidé de diminuer la présence publicitaire à la RTBF sans augmenter sa dotation.
D’autre part, Roland de Bodt a terminé la publication de près de 200 pages qui rend public les résultats de sa recherche entamée trois ans plus tôt, soit 54 principes qui déterminent concrètement les droits du public culturel. Une base bientôt juridique des plus solides pour tous les combats concrets à venir pour Consoloisirs. 

2019 fut aussi l’année où Consoloisirs a renouvelé ses activités. La présente newsletter mensuelle a pris un coup de jeune grâce à la création, en novembre dernier, de notre émission de radio mensuelle (lire ci-dessous le point). De nouvelles rubriques, une autre façon de choisir les sujets à y traiter.
Nous tentons d’inventer ainsi, mois après mois, une interactivité entre l’écrit et la parole. Avec notamment les déclarations de l’invité «fil rouge» (lire ci-dessous, les points 4 et 9).

Enfin, ce 1er janvier 2020, Consoloisirs a diffusé le communiqué de presse suivant: 

(…) En 2019, qui est celui qui a le mieux défendu les droits culturels du public?
Roland de Bodt, pour ses récents travaux de chercheur à «L’Observatoire des politiques culturelles».

En 2019, Roland de Bodt a terminé la publication de près de 200 pages d’une recherche de près de trois ans qui s’est ainsi interrogée sur «Libertés culturelles & droits des usagers» à partir de nombreuses règlementations en vigueur ici et ailleurs dans le monde entier, afin de préparer pour les autorités politiques des ébauches de textes législatifs en vue de leur éventuelle promulgation afin de mieux respecter les usagers culturels.

Avec deux grandes têtes de chapitre. 

D’abord, les obligations de l’organisateur en terme d’information à fournir à l’usager avant qu’il n’achète une prestation culturelle.
En voici deux exemples sous forme de questions.
Peut-on se faire rembourser un livre qui est présenté sur sa couverture comme étant une autobiographie, alors qu’il s’agit d’un roman?
Que se passe-t-il si la promotion d’un spectacle de comédie musicale n’indique pas si les chanteurs sont accompagnés par un orchestre ou des bandes sonores? 

D’autre part, les obligations pour respecter l’usager après que celui-ci s’est approprié une production culturelle (livre, DVD, CD, etc.) ou qu’il est entré dans une salle de spectacle, un musée, une bibliothèque, que l’entrée soit libre ou payante.

Dans l’étude, 54 principes ont été relevés.

Ne prenons qu’un exemple: le 11ème indique «Les libertés culturelles ne peuvent être soumises à discrimination. Ni l’information, ni les tarifs, ni les systèmes de réductions proposées, ni les conditions d’accès matérielles ou immatérielles ne peuvent présenter un caractère discriminatoire ou être utilisés à des fins discriminatoires».
Lorsqu’on dénombre rien qu’à Bruxelles quatre musées qui sont inaccessibles à la population active (plus de 50% de nos visiteurs) car ils ne proposent aucune horaire d’ouverture régulier aux travailleurs et étudiants (fermés tous les week-ends et les jours de congés légaux)… Lorsqu’on voit cette nouvelle pratique culturelle en développement: rendre plus chers les tickets pour des expositions de 2 ou 3 euros tous les samedis et dimanches…

Vous pouvez télécharger gratuitement les près de 200 pages de cette étude: ce sont les numéros 8, 9 et 10 de la revue «Repères».
Si vous souhaitez lire rapidement en résumé les 54 principes débusqués, lisez la 3ème brochure (N°10) à partir de sa page 30 (…) 

Bravo au lauréat! 

2. Ce 8 janvier au cinéma: finis, les EA et les ENA

Depuis 100 ans, en Belgique, les films qui sortaient en salles étaient interdits aux moins de 16 ans, sous le sigle ENA. Un distributeur qui souhaitait que les plus jeunes puissent découvrir son film devait prendre l’initiative de soumettre celui-ci à une commission de contrôle qui pouvait opter pour une dérogation et le rendre «enfants admis» (EA). Cette façon de faire prend fin en ce début 2020.

Ce communiqué de BELGA détaille les nouvelles règles à appliquer.

L’évolution n’est pas cosmétique. On passe en quelque sorte de la régulation (une commission indépendante de la profession prenait les décisions) à de l’autorégulation (ce sont les producteurs et distributeurs qui vont classifier eux-mêmes leurs propres productions).
Ceci est, certes, tempéré par le fait qu’il peut y avoir un recours ultérieur: le spectateur en désaccord avec une signalétique proposée peut déposer une plainte motivée et non anonyme via le site www.cinecheck.be
Il s’en suivra une médiation entre la commission des plaintes et le distributeur. Le plaignant est assuré de recevoir une réponse endéans les 5 jours.
S’il faut éventuellement remettre de l’ordre, c’est à l’initiative bénévole du public qu’on fait appel, et donc a posteriori. C’est l’inverse de ce qui s’est passé pendant un siècle où une série de personnes étaient choisies en fonction de leurs compétences (pas uniquement des «juge et partie»: il y avait également des représentants d’associations et des usagers) par les représentants de l’État pour agir de façon préventive.

Le rôle de l’exploitant change considérablement. Avant, il devait refuser l’accès de sa salle aux mineurs en cas de films ENA, afin de leur épargner, par exemple, la découverte de séquences de violence gratuite, d’images pornographiques ou de situations psychologiques perturbantes. Désormais, il n’a plus qu’un rôle de conseil. L’enfant peut ne pas l’écouter et a la possibilité d’entrer dans la salle, quand il le souhaite, autant de fois qu’il le désire, et sans l’autorisation écrite de ses parents.
Interrogé dans La Libre du 28 novembre 2019, Vivian Audad, responsable du cinéma Caméo à Tamines, explique: «(…) Si je reste fidèle à moi-même en interdisant l’entrée en salle, des personnes m’ont déjà prévenu que j’allais perdre des clients car les petits jeunes de douze ans qui ont envie d’aller voir un film violent vont se rendre dans un autre cinéma. On me dit aussi de faire attention, car si je refuse l’accès à la salle, des clients pourraient porter plainte pour non-accessibilité aux médias. Il y a donc un vide juridique (…)».
Face à cette question concrète, la réaction d’Édith Pilot laisse perplexe. Comme représentante du Centre du cinéma et de l’audiovisuel de la Fédération Wallonie-Bruxelles, elle répond à Thierry Boutte, également pour La Libre. La question: «Si un enfant de six ans s’achète un billet pour voir «Joker», l’exploitant ne pourra lui interdire».
La réponse: «L’exploitant reste un commerçant et garde sa liberté de lui refuser l’entrée. Les exploitants sensibiliseront leur personnel qui pourra certainement discuter avec l’enfant ou les parents». Cette personne semble vivre au royaume des bisounours où la concurrence commerciale serait inexistante.

Alors que l’autorité politique cherche jusqu’à présent en vain comment empêcher sur internet que des images inappropriées soient captées par les enfants… là où c’était régulé, dans les salles de cinéma, on ouvre les vannes. C’est du détricotage peu compréhensible, sinon par des cyniques qui démissionneraient: puisqu’on peut à peu près tout voir sur internet, à quoi bon dans les salles de cinémas…
Permettez-nous d’avoir encore le droit de ne pas cultiver ce cynisme-là et, surtout, d’être entendus par l’autorité publique. 

À ceux qui s’opposent à toute interdiction en se réclamant de la liberté d’expression, nous conseillons de découvrir sur le site de «Moustique» les déclarations de Maurice Johnson-Kanyonga.

Reste l’argument massue: que les parents prennent leurs responsabilités (pour pallier à la déresponsabilisation de l’État). Il faut développer l’éducation aux médias. Ainsi, face aux dangers, chacun pourra prendre du recul et cette distanciation atténuera la nocivité de pareilles consommations inappropriées. Très bien, mais alors il faut encore cette année multiplier par 1.000 au moins les subsides qui permettraient à l’éducation aux médias d’atteindre davantage qu’une minorité de citoyens.

Et là, il nous vient une idée positive, praticable rapidement. Heureusement Bénédicte Linard est à la fois notre ministre de la culture et celle des médias. Puisque cette suppression des interdictions de voir certains films en salle pour les enfants devrait responsabiliser davantage les parents, il convient de les préparer à cette tâche qui n’est pas si simple à entreprendre pour eux.
Il n’existe pas de cours du soir pour mieux former pères et mères à pareilles missions éducatives. Voilà de très nombreuses années que le monde associatif (associations de parents, d’enseignants, Ligue des Familles, Conseil de la jeunesse, associations de téléspectateurs, etc.) demande que la RTBF prenne mieux en compte une réflexion grand public sur la parentalité. 

Les cartes blanches et les pétitions furent nombreuses et récurrentes (en 2006 et en 2012).

Bernard Hennebert, pour Consoloisirs, a répercuté, en vain, cette proposition lors de son audition au Parlement, le 16 mai 2012.

On pourrait imaginer une soirée mensuelle au prime-time de La Une qui programmerait, mois après mois, pour les parents, les grands parents, les enseignants, les responsables de mouvements de jeunesse, etc., des dossiers actualisés sur la santé, les drogues, la sexualité, l’apprentissage à la lecture, etc. Et, bien sûr: la nouvelle signalétique des films dans nos salles de cinéma.

Jamais jusqu’à présent, pareil projet n’a vu le jour à la RTBF. Il ne faudrait pas prétexter le manque de moyens puisque le service public a bien financé entretemps et promu à l’antenne, sans grand succès public d’ailleurs, des télé-réalités sur le meilleur coiffeur(euse) ou l’as des barbecue.
Si l’on veut responsabiliser les parents, il faudrait peut-être que la direction du service public audiovisuel cerne mieux ses priorités compatibles avec son contrat de gestion en faveur de ses usagers plutôt que des intérêts des annonceurs.

La Libre Belgique du 8 janvier 2020 a adapté le texte de ce point 2 pour les pages 40 et 41 de son journal papier ainsi que sur son site.

3. Fédéral: la gratuité mensuelle du «premier mercredi» en sursis?

À propos de la gratuité «pour tous» du premier mercredi du mois dans les institutions fédérales, le dossier s’est épaissi en un mois. 
Dans notre dernière newsletter (décembre 2019), nous révélions notamment que l’Africa Museum de Tervueren depuis sa réouverture en décembre 2018 l’avait discrètement abandonnée.

Nous sommes honoré que La Libre ait relayé notre préoccupation.

Début 2020, voici deux informations complémentaires, l’une positive, et l’autre, pas. 

Puisque le premier mercredi du mois coïncidait avec le nouvel-an, le musée de l’Armée a pris l’initiative de reporter d’une semaine sa demi-journée de gratuité mensuelle au 8 janvier 2019 de 13H00 à 17H00.

Voici une autre découverte beaucoup moins agréable et qui mériterait une question parlementaire pour tenter de mettre fin au détricotage qui semble se mettre en place pour cette gratuité mensuelle qui, rappelons-le, a remplacé la gratuité quotidienne (hé oui!) qui eut cours jusqu’au 28 janvier 1997 dans nos institutions fédérales. 
En effet, la Bibliothèque royale de Belgique qui s’appelle désormais KBR va ouvrir dans ses locaux un nouveau musée le 15 mai 2020, La Librairie. 
La tarification sera plutôt élevée: par exemple, 1 euro de plus pour l’entrée par rapport au Musée Magritte Museum voisin (11 euros au lieu de 10 euros).
Mais ce qui choque encore davantage, c’est qu’il n’est pas fait mention de la gratuité du premier mercredi du mois, ni dans le dépliant, ni sur le site, alors que les tous prix, réductions et gratuités y sont déjà mentionnés de façon fort détaillée.

De plus!

Le minimum pour un musée fédéral autant subsidié que l’Africa Museum est qu’il soit irréprochable dans le choix de ses guides. Hélas, cela ne semble pas le cas.

Consoloisirs revendique depuis un certain temps déjà que, dans chaque musée fédéral, à côté de personnes responsables pour la communication, il y ait au moins un plein temps chargé du respect des visiteurs qui supervise tout ce qui se passe dans l’institution de façon transversale, et même par rapport aux initiatives de la direction. Apparemment, avec cette revendication, nous avons vu juste.

4. Les quatre vérités de Philippe Grombeer

Écoutez maintenant notre émission mensuelle de «Radio Consoloisirs»: voici la seconde, celle du 16 décembre 2019, avec, en invité, Philippe Grombeer, travailleur culturel «à plein temps» de 1968 à 2011 (la coordination de la Ferme V, puis des Halles de Schaerbeek, création du Théâtre des Doms à Avignon, etc.). 

Cliquez ici pour écouter «Radio Consoloisirs» avec Philippe Grombeer.

Chaque mois, sous forme de «test», les mêmes quatre questions sont posées à l’invité «fil rouge» de cette émission «Radio Consoloisirs». Voici les réponse données le 16 décembre 2019 par Philippe Grombeer. 

A: Dites-nous quelle est la «pratique» que vous aimeriez soutenir dans les activités culturelles «de chez nous»? 

Philippe Grombeer: Pour moi, le MuseumPassMuseum est une superbe initiative: 170 musées pour 50 euros par an. Le retraité qui vous parle ici trouve certaines expositions de plus en plus chères (ce Pass est principalement gratuit pour les fonds permanents de ces musées et accorde aussi assez souvent une réduction pour leurs expositions temporaires) et j’aime beaucoup le fait que cette initiative couvre l’ensemble de la Belgique. 

B: Dites-nous quelle est la «pratique» à laquelle vous vous opposez particulièrement dans les activités culturelles «de chez nous»? 

Philippe Grombeer: KANAL est cette nouvelle aventure d’art sise dans les anciens garages Citroën pour laquelle la Région Bruxelles Capitale a déjà dépensé beaucoup de sous et va encore en donner énormément.
Pourquoi, pour concrétiser son projet artistique, KANAL est allé chercher une grosse structure française de qualité, de renommée mondiale mais fort onéreuse, le Centre Pompidou, alors que justement Bruxelles, qui est une ville bien moins grande que Londres, Madrid ou Paris, est néanmoins reconnue internationalement pour avoir beaucoup d’atouts en la matière et aurait pu mettre autour de la table une floraison d’experts en art contemporain, de galéristes, de riches collectionneurs…

C: Dites-nous quelle est la «pratique» que vous aimeriez soutenir dans l’univers des médias «de chez nous»?

Philippe Grombeer: Le site Daardaar traduit des articles de la presse néerlandophone en français, ce qui me permet de découvrir comment de l’autre côté de la frontière linguistique la société évolue. Il faudrait davantage promouvoir ce site.
Je vais tricher en citant d’autres initiatives. Je suis coopérateur de Médor et je suis un fan de la première heure d’Imagine Demain le monde et de ses propositions constructives depuis si longtemps pour sauver notre planète.
Il y a aussi «Wilfried» dédié strictement à la Belgique, «Agir par la Culture» et «Espace de Liberté» du Centre d’Action Laïque auxquels je suis abonné et qui apportent des articles de fond. Une presse à soutenir. 

Note de la réaction: «Agir par la culture» de PAC (Présence et Action Culturelle) vient justement de publier un article détaillé sur Daardaar.

D: Dites-nous quelle est la «pratique» à laquelle vous vous opposez particulièrement dans l’univers des médias «de chez nous»?

Philippe Grombeer: Je déteste et, même, je très fâché contre le système publicitaire scandaleux que développe la RTBF. Je trouve anormal qu’une institution de service public qui jouit d’une telle dotation, comparée au budget global de la culture en Fédération Wallonie-Bruxelles, se permette sans arrêt de promouvoir les messages des annonceurs. Ceux-ci ont un discours totalement faux. Leurs messages ne cherchent pas à aider les consommateurs dans leurs choix. Ils nous informent? Pas du tout! Ils ne cherchent qu’à vendre, vendre, vendre. Je suis absolument pour qu’on supprime radicalement la publicité et je pense que ce sera très difficile avec l’actuel administrateur général de la RTBF qui est quand même un manager: ce n’est plus du tout l’esprit de ses regrettés prédécesseurs Robert Wangermée et Robert Stéphane.

Le point 9 de la présence newsletter fait le point sur une autre partie de cette émission dont l’invité était Philippe Grombeer: L’Europe ignore-t-elle les droits des usagers culturels?

Deux commentaires:

Concernant le point B, il faut ajouter la dénonciation d’un nouveau scandale qui fera le sujet, espérons-le, d’une question parlementaire, ou sinon c’est à désespérer: la façade si emblématique des anciens garages Citroën est défigurée depuis plusieurs mois par d’énormes horribles panneaux publicitaires vantant des sponsors dont les passants se passeraient bien, d’autant plus que KANAL est, par ailleurs, subsidié d’une façon totalement inhabituelle, ce qui réduit considérablement les autres parts du gâteau pour tant d’autres initiatives culturelles bruxelloises. 

Il convient aussi de rappeler que, au cours de l’été dernier si chaud, KANAL a retiré de ses salles d’exposition des œuvres venant du Centre Pompidou à cause de la chaleur, mais sans prévenir à son comptoir de ce fait le public avant qu’il n’achète son ticket.

L’irrespect des visiteurs ne se limite pas à ce fait. Actuellement la direction de KANAL fait la morte quand l’asbl «La Ligue des Usagers Culturels» lui demande d’organiser maintenant un débat public sur le fait de savoir si, quand elle sera devenue après travaux un musée, elle organisera une journée de gratuité mensuelle «pour tous» et si elle choisira le «premier mercredi du mois» appliqué par une dizaine de musées fédéraux ou le «premier dimanche du mois» (quand la population active peut se déplacer) pratiqué par 150 musées en Wallonie et à Bruxelles. Cette demande précise fait suite à une pétition signée par près de 1.700 citoyens. Continuons de diffuser celle-ci et de la signer.

Concernant le point D, Il faut néanmoins constater que le monde culturel globalement (les artistes, les syndicats, les organisateurs, les sociétés de droits d’auteurs) est étrangement discret, concernant la suppression de la publicité (et du sponsoring) à la RTBF.
On les voit bien plus loquaces lorsqu’on lit leurs innombrables tribunes concernant le respect des droits des créateurs (ce qui est fort utile également).
Y-aurait-il des intérêts économiques qui les empêcheraient de participer publiquement plus activement à ce combat? Pourtant, s’ils sortaient du bois, ils constitueraient une force sans doute déterminante pour faire pencher la balance du côté de la fin de la pub sur le service public (pour le moment, le programme du gouvernement ne prévoit que la diminution, pas encore la suppression de la publicité), et cela leur serait favorable. En effet, par exemple, sans publicité, fin de l’exil de la majorité des émissions culturelles vers La Trois, et son public 10 à 15 fois moins important que celui de La Une (on passe allègrement de 400.000 ou 500.000 à 10.000 ou 20.000 téléspectateurs). 

5. Évolution de PointCulture, prix des concerts, privatisation de la culture, etc. 

Pour notre prochaine émission, celle du lundi 13 janvier 2020, en direct, de 21H à 22H: retour aux invités «fil rouge» politiques. Et il sera bien rouge puisque nous accueillons Amandine Pavet, une jeune députée du PTB qui a notamment questionné au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles la ministre de la culture Bénédicte Linard sur l’avenir de PointCulture.

Fait relativement rare pour l’opposition, et qui l’honore: sur son facebook, la nouvelle députée a remercié la ministre:
«La médiathèque c’est à nous!»: c’était le slogan des mobilisations... et elle doit le rester pour garantir à toutes et tous l’accessibilité et la diversité de la culture.
En séance plénière, j’ai salué la décision de la ministre de la Culture Bénédicte Linard.
Elle vient de demander la suspension du plan qui visait à mettre fin au service de prêt de PointCulture. Les achats de nouveautés vont reprendre, les collections vont être sauvegardées, les gens vont pouvoir continuer à louer des médias parfois introuvables par d’autres moyens, des emplois seront même (re)créés… nous nous en réjouissons vraiment.
C’est grâce à la mobilisation que la voix des usagers et des travailleurs a finalement pu être entendue. Pour PointCulture, mais aussi pour toutes les institutions culturelles, le PTB veut rendre les conseils d’administration plus ouverts à leurs employés, aux artistes et à la société civile. Nous continuons le combat pour une culture démocratique... dans tous les sens du terme (…)».

Les propos d’Amandine Pavet pour expliquer pourquoi elle a voté contre le budget sont on ne peut plus concrets: «Le ticket de mon premier Dour Festival a fait un p’tit tour au parlement pour mon intervention sur le nouveau budget culture de la Fédération Wallonie-Bruxelles. 
67€, c’était le prix du combi en 2005. Cette année, il faudra débourser 160€. À l’époque, tu pouvais amener à boire et à manger, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui dans beaucoup de festivals. Que s’est-il passé avec ce ticket en 15 ans? Il parait qu’il y a eu la crise depuis… en tout cas, pas pour Live Nation qui a réalisé un chiffre d'affaires de 10,8 milliards de dollars en 2018.
La culture est de plus en plus chère partout. Pour toute une partie des jeunes, des gens précarisés mais même pour des travailleurs qui ont toujours plus de mal à joindre les deux bouts. Même phénomène pour le prix du ciné, pour l’entrée des musées, etc.
On constate trop souvent que lorsque les gouvernements poussent la culture dans les mains du privé, cela conduit à moins d’accessibilité et un appauvrissement de la diversité.
Deux propositions de la déclaration de politique communautaire de la majorité nous inquiètent à ce sujet: on parle d’«encourager le mécénat et les dons» et de «développer le financement participatif» pour financer la culture.
Nous avons voté contre ce budget. Malgré le supplément pour les bibliothèques et les centres culturels, car ce budget est largement insuffisant pour répondre aux besoins: la précarité des artistes, d’un côté, les difficultés d’accès pour tous, de l’autre (…)».

Le sommaire de l’émission de radio consistera à détailler davantage le contenu de la présente newsletter. Les deux chansons que nous invitée «fil rouge» a choisi de programmer seront London Calling - The Clash (la chanson qui a marqué son enfance ou le début de son âge adulte) et Despair - Yeah yeah yeahs en version acoustique (la chanson qu’elle aimerait que l’on diffuse lors de ses funérailles).

Comment écouter Radio Air Libre en direct? 
Réponse: http://www.radioairlibre.be/RAL_en_direct.html
Notre prochaine newsletter vous permettra d’écouter cette émission montée et en différé.
N’hésitez pas avant le 11 janvier 2020 à nous interroger à propos de tout ce que vous lisez ici, et si vous avez des questions pour Amandine Pavet, c’est le moment: écrivez à consoloisirs@gmail.com

6. Quelle logique? Les seniors, c’est 60 ans, puis 67 ans, enfin 65 ans!

Consoloisirs, c’est de plus en plus un réseau. Vous nous informez, on vérifie et on publie pour que chacun parmi vous soit au courant. 

Depuis pas mal de temps, nous pestons sur le côté élastique de la définition du mot «senior». 
À quel âge le devient-on?
Les données assemblées sur wikipedia peuvent faire réfléchir.
Au train où cela va dans le secteur particulier de la culture, au milieu de ce XXIème siècle, il n’est pas impossible qu’il faudra être centenaire pour avoir droit à cet avantage tarifaire!
Il y a quelques années, bien discrètement, la plupart des musées ont abandonné le + de 60 ans pour le + de 65 ans.

Une seule institution dépendant du fédéral a fait bande à part et s’est emballée, prônant le + 67 ans. Il s’agit de BOZAR (l’ancien Palais des Beaux-Arts de Bruxelles). Consoloisirs l’a dénoncé à plusieurs reprises.

Geneviève, l’une de nos lectrices, nous a averti récemment que BOZAR avait mis fin à son exception gérontophile et sa tarification affichait désormais: «Senior: + 65 ans». 

Bravo BOZAR et merci.

Son service de presse nous a indiqué que la date de début de cette nouvelle évolution était 2019 et que cela a été décidé par le manager commercial.

7. Deux raisons pour ne pas octroyer un quatrième mandat à J.P. Philippot (1)

Je trouve regrettable que l’ancien conseil d’administration de la RTBF s’est empressé, en fin de «règne», de choisir les noms des experts chargés d’analyser le travail mené jusqu’à présent par J.P. Philippot qui postule à un quatrième mandat de six ans d’administrateur général. Pour moi, c’est «voler» une mission qui aurait dû être accomplie par le nouveau CA.

Bien entendu, dans leur liste, ces membres de l’ancien CA semblent ignorer que les médias existent pour le public. Si on tient compte de ce fait essentiel, il est donc nécessaire de choisir comme expert(s) au moins un, si pas plusieurs experts «des usagers», possibilité qui a été ignorée. Il faut d’autres points de vue que ceux des maîtres de l’économie ou des analystes de la gestion du personnel…

Le nouveau gouvernement PS-Écolo-MR, lorsqu’il lira ces travaux afin de prendre sa décision, va accorder quel crédit aux bulletins des spécialistes, maintenant qu’il est clair, suite à de récentes fuites dans la presse concernant les montants réels du salaires du patron de la RTBF, que le candidat est rusé puisqu’il a notamment permis que des informations fausses soient publiées concernant cette rétribution, jusqu’à, semble-t-il, tromper la nouvelle ministre des médias? 
Pour infos, voici ses mandats (en 2017): quatre rémunérés et dix-neuf non rémunérés.

Je me vois donc dans l’obligation de tenter de combler quelque peu ce manque, cette absence d’investigation «dans l’intérêt des usagers de la RTBF». Suis-je qualifié ou non, je n’en sais rien. Jugez-moi simplement sur le contenu de mon propos. Je rappelle que je vais rédiger les paragraphes qui suivent pour tenter de pallier à un manque qui résulte des options de l’ex CA de la RTBF. 

Avant toute autre réflexion, je dois rappeler une autre actualité récente.

Voilà déjà plus de huit ans (en 2012, selon Le Soir du 1er août 2018, page17) que J.P. Philippot souhaite que l’ancien numéro deux de RTL TVi devienne son numéro 2 et revoilà maintenant celui-ci à nouveau en piste.
L’administrateur général rêve beaucoup des talents du privé, un pied de nez à son propre personnel?
Il commence dès 2003 à engager le directeur général de Bel-RTL qui va appliquer notamment son savoir commercial aux radios de la RTBF, jusqu’il y a peu.
Parmi les transfuges les plus récentes, une journaliste de RTL TVi qui dirige désormais le Pôle Culture et Musique.
Et il y en a plein d’autres comme cet animateur «populaire» dont des propos proférés à l’antenne ont incité à la discrimination pour des raisons d’ethnie. Ils ont eu pour conséquence la condamnation du service public par le CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel), confirmé récemment par le Conseil d’Etat.
Est-ce ainsi que le service public va se différencier du privé? 

Comment le candidat à un quatrième mandat va-t-il pouvoir appliquer la volonté du gouvernement de diminuer drastiquement la présence des annonceurs, et sans augmentation de la dotation, alors que la croissance publicitaire constitue son savoir professionnel qui l’a mené jusqu’à prôner l’arrêt de la règle dite des cinq minutes, un joyau du service public qui interdit toute publicité durant les cinq minutes qui précèdent et suivent les programmes destinés spécifiquement aux enfants? Il a plus ou moins gagné ce combat d’ailleurs puisque, finalement, les termes du contrat de gestion se sont progressivement détériorés et, si la règle des cinq minutes surnage toujours officiellement, on voit bien qu’actuellement elle ne s’appliquera pas à «The Voice Kids». 

Alors, autre politique économique (et donc sans doute éditoriale) de la RTBF, autre administrateur général compatible avec ces nouveaux objectifs conséquents au récent vote électoral?

Il y a tant à écrire justement sur cette politique éditoriale menée pendant près de 18 ans par J.P. Philippot. Je me limiterai à deux exemples qui m’incitent à demander au gouvernement de ne pas le reconduire une nouvelle fois. J’espère qu’ils seront signifiants… et entendus.

Voici le premier: comment a évolué la programmation qui atteint le plus grand nombre de téléspectateurs? 

Quand J.P. Philippot a entamé son premier mandat d’administrateur général, cinq soirées par semaine proposaient sur La Une au prime-time des émissions fortement liées à l’infos: L’Ecran Témoin (film accompagné d’un débat), Faits Divers, Autant savoir, L’Hebdo, Le Jardin Extraordinaire.

Aujourd’hui, il n’y en a plus que deux: la soirée du mercredi consacrée aux magazines et le Jardin Extraordinaire. Donc la mission de délassement est désormais fortement favorisée (il faut bien entendu du divertissement, mais autant?) dans ce créneau qui amasse les téléspectateurs par centaines de milliers: humour, séries, films (sans débat), téléfilms, etc.

On peut même affirmer qu’il y a une inversion des proportions entre information et divertissement: on est ainsi globalement passé de deux à cinq soirées dédiées au «divertissement» par semaine. Est-il devenu la mission première du service public? Pourquoi? 

Souvent, on pointe la marginalisation de la culture à la RTBF. Elle existe (Le Soir du 26/11/2014 a titré: «Philippot: “La culture n’est pas faite pour le prime time”») mais rarement on constate en même temps publiquement que cette invasion du divertissement au prime-time a surtout été mise en place au détriment des émissions plus sociales, au sens large. Ce fait est d’autant plus grave que nous vivons une période où les populismes se développent. 

Pour vous faire votre propre idée sur cette thématique, Consoloisirs vous propose de comparer les programmes du prime-time du La Une du 18 au 24 février 2002 (qui correspond à l’arrivée de J.P. Philippot à la direction de la RTBF) et ceux du 6 au 11 janvier 2020. 

Autre constat pas inintéressant à faire lors de la découverte de ces deux semaines de programmation: pour l’ensemble des soirées de La Une, le «prime-time» commence désormais plus tard. À cause du développement de la présence de la publicité et du sponsoring? 
À l’arrivée de J.P. Philippot en 2002, le début de la soirée était annoncé dans la presse à 20H00 (1 soirée/semaine), 20H05 (1 soirée), 20H10 (3 soirées), 20H15 (2 soirées).
En 2020: 20H20 (4 soirées/semaine), 20H25 (2 soirées) et 20H37 (1 soirée). 

LUNDI (prime-time de La Une)

Lundi 18 février 2002: L’Écran Témoin sur «La prostitution: faut-il punir le client?». Parmi les invités en plateau pour le débat en direct, outre des personnalités politiques et universitaires, des policiers, etc., sont annoncés dans la presse une série de représentants de l’associatif: Françoise Hecq (Université des femmes), Sophie Wietz (Le Nid à Bruxelles), Quentin Deltour (Espace P à Liège), Michel Vilain (CAR, Wallonie), Bruno Moen (Payoke à Anvers).
Après l’arrivée de JP Philippot à la direction de la RTBF, L’Écran Témoin fut déclassifié. D’émission d’information, il devint un programme de divertissement, ce qui permit d’introduire la publicité. Relégué en deuxième partie de soirée et perdant son «direct», sa dramaturgie sera influencée par le concept naissant de la téléréalité «à la Jean-Luc Delarue». Ainsi, l’émission emblématique du lundi soir perdit son sens et son public. Elle s’arrêta.
Le 7 septembre 2011, le Conseil de la Jeunesse suggéra en vain à la ministre de l’audiovisuel Fadila Laanan, dans un avis d’initiative, la remise à l’antenne d’un programme de type «Écran Témoin» pour «décortiquer un enjeu de société», suite à la diffusion d’un film (ou d’un documentaire). Aujourd’hui, il n’y a plus de débat «sociétal» hebdomadaire s’adressant au plus vaste public. Mais combien des divertissements français, même made in TF1? 

Lundi 6 janvier 2020: «Nos chers voisins», «L’agenda ciné», la météo et les publicités (20H09 à 20H25); film «Supercondriaque» (à partir de 20H25). 

MARDI (prime-time de La Une)

Mardi 19 février 2002: un «Forts en tête» intitulé «Au cœur de la Basse-Sambre». Comment osait-on, à l’époque, définir officiellement cette émission placée à la meilleure heure d’écoute? Il s’agit d’un «jeu de culture et d’érudition».
Avec une belle audience à la clef. Le divertissement? On rappelle rarement le texte suivant qui en a spécifié la nature: la RTBF doit proposer «des programmes réguliers de divertissements attractifs, misant sur la qualité, la différenciation et l’ancrage en Communauté française», ainsi que des jeux «mettant en valeur notamment l’imagination, l’esprit de découverte ou les connaissances des candidats».

Le plus désagréable consiste à découvrir que la direction actuelle de la RTBF prend l’initiative dans un grand nombre de ses interventions publiques d’indiquer que le service public doit aussi prévoir du divertissement. Par contre, elle omet fréquemment de citer ces deux autres mots tout aussi importants: «éducation permanente». Deux poids, deux mesures?

Mardi 7 janvier 2020: «Nos chers voisins» et publicités (20H05 à 20H20); «The Voice Kids» (à partir de 20H20).

MERCREDI (prime-time de La Une)

Mercredi 20 février 2002: «Fait Divers», le «mensuel de la vie quotidienne», consacré aux «Disparus du Haut-Pays».

Mercredi 8 janvier 2020: «Tirage Lotto», météo et publicités (20H10 à 20H20); magazine de société «Devoir d’enquête» sur les trafiquants d’âmes (à partir de 20H20).

JEUDI (prime-time de La Une)

Jeudi 21 février 2002: émission de consommateurs «Autant savoir» axée sur «Le DVD: cinéma à domicile».
À l’arrivée de Jean-Paul Philippot aux manettes de la RTBF, coexistaient en télévision deux émissions qui illustraient les droits des consommateurs: «Autant savoir» et «Cartes sur table». Aujourd’hui, il n’existe plus vraiment d’émissions régulières de reportages, purs et durs, ou des débats en direct avec la présence du public, axés sur cette thématique. Il s’agit plutôt de talk-shows avec chroniqueurs («On n’est pas pigeon») ou des programmations ponctuelles dans «Questions à la une» (au détriment d’enquêtes politiques ou de reportages sur l’international).

Jeudi 9 janvier 2020: Météo et publicités (20H36 à 20H37); téléfilm français (de France3) «Maddy Etcheban» (à partir de 20H37).

VENDREDI (prime-time de La Une)

Vendredi 22 février 2002: «L’Hebdo», le magazine d’actualité qui fut un peu le grand père de «Questions à la une», avec davantage de reportages tournés par les équipes de la RTBF à l’étranger.
Pourquoi moins de reportages à l’étranger dans «Questions à la une»? Répondent à cette question deux extraits d’interviews accordées à près d’un an de distance au Soir (07/09/2011) et à Sudpresse (13/10/2010) par le journaliste animateur Bruno Clément: «Sincèrement, on aimerait bien traiter l’actualité internationale. On a fait quelques tentatives mais elles se sont révélées infructueuses sur le plan des audiences» et «C’est triste, mais l’international ne marche plus. On l’abandonne d’autant plus que c’est cher à produire».

Vendredi 10 janvier 2020: «Nos chers voisins», la météo et les publicités (20H10 à 20H20); magazine de société «C’est du belge» (20H20); téléfilm français (de France3) «Meurtres à Carcassonne» (à partir de 20H50). 

«C’est du belge» est-il un véritable «magazine de société»? C’est en tous les cas un caméléon sulfureux voulu par Jean-Paul Philippot depuis 2005.

Pendant des années, chaque semaine, il fut défini dans les programmes de l’hebdomadaire «Moustique» comme étant «le magazine de la noblesse». 

Dans une contribution publiée par La Libre Belgique du 27 janvier 2005, Théo Hachez, le regretté directeur de La Revue Nouvelle, constatait que les cartes sont brouillées entre RTL TVi et le service public, et leurs rôles quasi inversés, comme le montraient magistralement les programmes de la soirée du 21 janvier 2005. La RTBF proposait, ce soir-là, le premier numéro de C’est du Belge, son clone de Place Royale, suivi du populaire Flic de Beverly Hills, tandis que RTL TVI commémorait le soixantième anniversaire de la libération des camps en diffusant le documentaire de la BBC «Auschwitz, la Solution Finale» encadré par un débat réunissant témoins et historiens.
Mr Hachez parlait d’estompement «des décrétales missions de service public» qui devrait interpeller les politiques.

Dans son rapport annuel, la RTBF a osé classer «C’est du belge» dans le quota des émissions d’éducation permanente, ce qui a conduit le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) à signifier des «imprécisions consistantes, voire grandissantes» dans l’interprétation par la RTBF de ses missions. 

Enfin, on se souviendra que l’ex-député Josy Dubié (Écolo) a indiqué à deux reprises lors des travaux au parlement, à propos de «C’est du belge», que Jean-Paul Philippot lui avait confié: «Tu as raison, cette émission, ce n’est pas ma tasse de thé, mais cela fait venir du public, et donc de la pub…».

SAMEDI (prime-time de La Une)

Samedi 23 février 2002: le divertissement «Les @llumés.be» suivi du magazine de l’habitat «Une brique dans le ventre». 

Samedi 11 janvier 2020: Capsule Salon de l’auto, tirage Lotto, météo et publicité (20H07 à 20H25); magazine «Une brique dans le ventre» (à partir de 20H25); série humoristique française (de France2) «Il a déjà tes yeux» (à partir de 20H55)

DIMANCHE (prime-time de La Une)

Dimanche 24 février 2002: le magazine nature/environnement «Le Jardin Extraordinaire».

C’est bien avant l’arrivée de Jean-Paul Philippot que cette émission a été déplacée du samedi au dimanche soir, dès 1997. Le parti Écolo avait lancé une pétition «RTBF: Pour le maintien du Jardin Extraordinaire, le samedi soir» parce que les jeunes enfants peuvent aller se coucher plus tard le samedi que le dimanche. L’émission changea ainsi de jour de diffusion parce qu’un généreux sponsor (La Loterie Nationale) exigeait que son jeu «Bingovision» soit diffusé le samedi soir. Pour plus d’infos sur cet événement, téléchargez le journal de l’Association des téléspectateurs actifs: «Comment Télez-Vous?» n°31 du 27 mars 1997.

Dimanche 12 janvier 2020: Capsule Salon de l’auto, météo et publicité (20H10 à 20H20); le magazine nature/environnement «Le Jardin Extraordinaire» avec Hokkaïdo, le pôle japonais (à partir de 20H20); série dramatique française (de TF1) «Peur sur le lac» (à partir de 20H55) .

8. Deux raisons pour ne pas octroyer un quatrième mandat à J.P.Philippot (2)

Une véritable émission de médiation est le couronnement symbolique du service public, la preuve qu’un diffuseur peut associer son public activement à sa destinée.

C’est Christian Druitte, le prédécesseur de Jean-Paul Philippot, qui a favorisé la naissance à la RTBF d’un service et d’émissions régulières (en radio et en télévision) consacrés à la médiation. 

Le 9 septembre 2001, Jean-Jacques Jespers arbitra son premier «Qu’en dites-vous?» d’une douzaine de minutes proposé dans les conditions du direct. Les règles sont simples et efficaces. L’émission n’est pas montée et est diffusée intégralement (et ceci est rappelé dans chaque édition au téléspectateur). En studio, un auditeur ou un téléspectateur présente sa plainte. Un reportage approfondit la réflexion. Un représentant de la RTBF répond à l’interpellation. L’usager reçoit un temps de parole plus important, car il n’est pas sensé être habitué à s’exprimer dans un média, et il aura aussi droit à conclure l’émission.

Jean-Jacques Jespers assume son rôle d’animateur-médiateur: tenter de concilier plusieurs points de vue, ne pas nécessairement prendre la défense de son employeur et, surtout, suggérer des pistes de solution. 

Tous les trois mois, une émission-bilan fait le point sur les évolutions des différents dossiers ouverts à l’antenne.

Le dimanche sur La Une, le débat politique de 60 minutes «Mise au Point» se termine à 12H30 pour permettre à «Qu’en Dites-Vous?», l’émission de médiation, d’être diffusée dès la fin du générique: sans aucune pause publicitaire ou spot d’autopromotion, ce qui permet de conserver le public qui a suivi l’émission précédente. Tout est fait donc pour attirer le public le plus vaste possible. Comme beaucoup d’hommes politiques regardent «Mise au Point», ce choix est également idéal pour faire mieux découvrir à ces décideurs les souhaits des téléspectateurs. 

Exemples de changements obtenus à l’époque: donner plus de temps à l’antenne pour les sports amateurs. Également selon Anne Guyaux, dans Le Ligueur (27/02/2002): «Le producteur de «Pour la gloire» s’est engagé à donner leur place aux compositions originales en français, et celui de «Coup de film», à mentionner la collaboration avec les distributeurs» (ce qui peut permettre au téléspectateur de débusquer l’intérêt économique de la RTBF à promouvoir tel film plutôt que tel autre).

Critiquer les médias dans les médias est devenu banal (il n’en a pas toujours été ainsi). Par contre, que les usagers puissent par le biais d’une émission pousser un média à évoluer concrètement dans ses pratiques, et ce «en faveur du bien commun», voilà qui est bien plus singulier! C’est pourquoi les livraisons hebdomadaires pendant deux saisons de «Qu’en dites-vous?» resteront exemplaires. Et donc, il fut bien possible de «faire çà» à la RTBF!

Après deux saisons, Jean-Jacques Jespers quitta la RTBF pour rejoindre l’ULB. Entretemps, Jean-Paul Philippot était arrivé aux commandes.
Petit à petit, les «spécialistes» (professeurs d’université ou collègues de la presse écrite) squatteront la majorité des sièges naguère réservés au public dans l’émission de médiation.

Il existe trois types de programmes qui traitent du monde des médias: les émissions de médiation, les séquences d’éducation aux médias et les programmes qui débattent, qui mettent en perspective l’actualité médiatique (ainsi que les évolutions d’internet, des réseaux sociaux, etc.).

La dernière option est la préférée des diffuseurs qui n’ont guère envie que leur propre ligne éditoriale soit remise en question par le public. C’est celle-ci qui devient la tendance lourde de la RTBF, sous la direction éditoriale d’Alain Gerlache, ancien directeur de la télévision qui sait combien il est laborieux pour la RTBF de devoir toujours se justifier en plaidant que les annonceurs n’influencent pas les choix du management du service public.

Ainsi donc, il est quasi impossible de maintenir en vie à l’antenne un programme de médiation efficace et qui ne soit pas un simple alibi. 

Or, c’est ce lien non démagogique avec leurs usagers qui devrait être l’un des fondamentaux permettant aux chaînes publiques de se différencier. Savoir écouter l’usager, sans nécessairement toujours lui donner raison d’ailleurs. Tirer les enseignements de ses observations ou propositions. Être à son service plutôt que de devenir le larbin de l’audimat.
De plus, pareils débats contradictoires permettent de voir émerger des idées novatrices qui feront parfois la référence, et le succès, du média public. 

L’émission «InterMédias» a pris la succession de «Qu’en dites-vous?».
Alors qu’elle déclare régulièrement qu’elle n’a pas l’habitude de s’immiscer dans la programmation de la RTBF, la ministre des médias Fadila Laanan n’a pas pu se retenir de maudire ce programme (la version «radio») quand elle l’a écouté en simple auditrice, le 17 octobre 2008. 
Au Parlement, elle a indiqué que cette émission était marquée «par des débats peu contradictoires, un sujet traité avec légèreté et un manque criant d’interactivité», en réponse à une question d’Isabelle Simonis (PS). 
L’Agence Belga (le 21/10/2008) rapporte que la ministre a expliqué «avoir entendu un débat rassemblant des interlocuteurs qui avaient l’air d’avoir tous la même position». 
Il y était question du nouveau plan de fréquences des radios. La manière dont la RTBF en a parlé «avec légèreté» est «en dessous de tout». 
De plus, l’interactivité d’«Intermédias» semble mériter un zéro pointé: «Ayant voulu réagir aux propos tenus, Madame Laanan a formé le numéro de téléphone réservé aux auditeurs à cet effet, mais il était occupé en permanence, alors qu’elle n’a entendu aucun auditeur réagir sur antenne. Elle a aussi fait chou blanc lorsqu’elle a voulu réagir sur le blog de l’émission, sous couverture d’une identité pseudo…». La ministre explique aux parlementaires: «Cela ne fonctionnait pas non plus et même si les présentateurs du programme ont fait état de difficultés techniques, on se demande si c’est ça, l’interactivité!».

On peut penser que la ministre Laanan a sa propre responsabilité dans ce désastre puisqu’elle a accepté que le texte du contrat de gestion soit moins contraignant. Celui en vigueur jusque fin 2012 permet au service public de ne pratiquement plus concevoir d’émissions de médiation puisque, pour celles-ci, l’indication d’une périodicité (par exemple: au moins 10 émissions par an) a été supprimée. Dans le concret, on passera une émission hebdomadaire à dix émissions par an. Cette obligation qui concernait radios et télévisions bientôt ne concernera plus que les secondes. 

Découvrir dans les textes officiels l’évolution de ce fait est éclairant.
Dans le contrat de gestion couvrant 2002 à 2006, la règle était exprimée de façon succincte et précise: «Tant en radio qu’en télévision, l’Entreprise produit et diffuse au moins dix fois par an une émission de médiation dont l’objectif est de répondre aux interrogations et réactions de son public».
Le texte ayant cours de 2007 à 2013 est plus bavard mais cependant plus évasif: «La RTBF tant en radio qu’en télévision, programme et diffuse régulièrement, selon des périodicités décidées par son conseil d’administration, un programme et offre à la demande, dans la mesure du possible, des contenus audiovisuels de médiation et de relations avec les publics, dont l’objectif est notamment de répondre aux interrogations et réactions de ses publics».
Ah! ce «notamment»: une porte ouverte à tout et n’importe quoi…

Désormais, la tendance à la RTBF se résume à l’extinction de toute émission régulière consacrée à la médiation. Il n’y a plus qu’une séquence parmi d’autres dans une émission plus vaste et montée.
De plus en plus souvent, s’il y a un représentant du public, son avis est quasi noyé par les interventions d’autres invités souvent nombreux sur le plateau, et donc la vraie médiation dans le cadre de cette «séquence» s’avère quasi impossible à mener.
Hélas, le principe efficace voulu naguère par Jean-Jacques Jespers qui consistait à faire verbaliser, en fin d’émission, par le représentant de la RTBF une proposition concrète d’évolution par rapport au problème posé ou à la revendication affirmée (avec un échéancier), puis de faire réagir, en fin de parcours, le téléspectateur… a disparu. 

Un avis d’initiative voté le 7 septembre 2011 et adressé à la ministre Laanan par le Conseil de la Jeunesse revendiquait naguère la mise en place «d’une véritable émission de médiation» qui ne doit pas simplement consister «en un débat entre spécialistes» et qui doit «susciter le dialogue entre les responsables des programmes, le milieu associatif, et les téléspectateurs/auditeurs». Personne n’en a tenu compte mais il démontre qu’au fil des décennies et des générations, le même besoin de vraie médiation à la RTBF est clairement (ré)affirmé.

Aujourd’hui, la séquence médiation est insérée dans le programme «Inside». 
Découvrez-la dans l’émission multidiffusée (selon des horaires qui ne permettent pas d’atteindre le vaste public) quelques jours avant la Noël 2019 et qui traite de «Viva for life» avec Christine Mahy, secrétaire générale du «Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté»: la séquence démarre à la minute 22.

C’est à chacun de nous de se s’interroger. La dérive de la médiation ertébéenne serait-elle telle qu’on userait de son appellation pour pratiquer l’autojustification? La chef d’orchestre de cette séquence est-elle une animatrice ou une personne à qui il est demandé de mener un travail de médiation?

Bien sûr, il n’y a pas que la médiation pour développer l’interactivité avec le public de la RTBF. Mais… le verrouillage de la médiation n’est qu’un élément d’une stratégie plus vaste détaillée dans le livre «RTBF, le désamour» paru en janvier 2012. 
En voici un large extrait qui garde son acuité au moment du choix à reconduire ou non Jean-Paul Philippot à un quatrième mandat de six ans.

«(…) Le vaste public a de moins en moins la possibilité de suivre un débat contradictoire sur l’avenir de la RTBF. Petit à petit, les rares îlots de liberté (d’expression) sur cette thématique font naufrage.

L’administrateur général Jean Paul Philippot envoie, le 8 septembre 2005, un courrier à tous ses agents pour leur recommander vivement, en cas de communication avec la presse, de consulter leur hiérarchie ou le responsable de la communication externe.
Il leur rappelle que la charte des valeurs du service public proclame que «chaque membre du personnel a le souci de promouvoir une image positive de la RTBF».
Voilà sans doute pourquoi journalistes et animateurs, contrairement à ce qui se passait autrefois, évitent le plus souvent, dans les interviews qu’ils accordent, des réflexions trop critiques sur leur employeur.

Finies aussi, les «cartes blanches» questionnantes, et mobilisatrices, d’un Hugues Lepaige publiées par Le Soir ou La Libre. De même que celles des membres du conseil d’administration. Ceux-ci sont désormais castrés, ramenés à une discrétion sans faille. Ils ne pourront plus sensibiliser le public, comme cela se pratiquait jadis. Ainsi, grâce au débat public, quelques projets scandaleux ne purent aboutir: la suppression de la traduction en langue des signes du JT de 19H30 ou l’arrivée du téléachat sur le service public. Sur ce point, Monsieur Philippot applique une obligation plus large décidée peu après sa nomination par le gouvernement: celle qui interdit de façon indirecte à tous les administrateurs d’organismes publics de s’exprimer de façon critique sur l’entreprise où ils siègent.

Les prédécesseurs de Jean-Paul Philippot considéraient que la période où se préparait le nouveau contrat de gestion était un temps propice au dialogue avec les usagers. L’administrateur général actuel a mis fin à cette tradition en allant jusqu’à répondre par la négative à une demande de la société civile de participer à une rencontre de ce type en avril 2006, en invoquant le fait que le débat sur le contrat de gestion de 2007-2012 s’était tenu au parlement et qu’il était public!
Dans les faits, quasi aucun téléspectateur ou auditeur n’y assista car ces discussions ont lieu à des heures où la population active travaille. Jamais pendant le week-end, ni en soirée. Et il faut être diablement bien informé pour connaître la date et l’heure où elles se déroulent, et ne pas oublier sa carte d’identité pour entrer au parlement où le public doit se taire pendant les travaux.

Débattre à la télévision même de l’évolution des obligations du service public sera tabou en 2006 et 2007, lors de l’élaboration du contrat de gestion 2007-2012. Il n’en a pas toujours été ainsi. Du moins, avant que Jean-Paul Philippot ne devienne administrateur général. Le 2 mai 2001, sous l’ère de son prédécesseur Christian Druitte, La Deux proposa un vrai direct de plus de deux heures, intitulé La RTBF, c’est vous. En pleine négociation du contrat 2002-2006, quatre personnalités politiques, trois spécialistes (deux universitaires et un journaliste de la presse écrite) et trois représentants de la société civile (un directeur de théâtre, le secrétaire général de La Ligue des Familles et la responsable de l’Association des Téléspectateurs Actifs) y débattirent face à neuf personnalités de la RTBF, sous la houlette de Jean-Jacques Jespers qui entama le débat par un claironnant «Ce forum vous est complètement consacré, téléspectateurs de la Communauté française!».

Tentative d’intimidation de la presse écrite lorsque celle-ci a l’indépendance et l’audace (fort rare au demeurant) de s’interroger sur l’évolution de la RTBF? Comme s’il fallait verrouiller partout le débat contradictoire? Le 21/10/2009, Télémoustique consacre six pages et son édito à un dossier La RTBF en danger. En couverture, on peut lire, en plus: «Audiences inquiétantes, grogne en interne, nouvelles économies: faut-il sauver le service public ou le reconstruire à neuf?».
Jean-Luc Cambier, le rédacteur en chef de l’hebdo télé, recevra une missive au vitriol de quatre pages dactylographiées serrées, datée du 26 octobre 2009, signée par Jean-Paul Philippot, dans un style arrogant, pas très «service public», respectant bien peu la liberté d’expression des autres: «D’apparence très documenté, votre dossier présente de nombreuses inexactitudes. Prompt à faire la leçon, vous devriez savoir que l’investigation supporte mal l’absence de rigueur (…). Si nos audiences sont inquiétantes à vos yeux, elles sont sûrement moins mauvaises que n’est l’évolution de votre tirage au cours de ces dernières années (…). Je regrette que la dimension de notre Communauté conduit parfois à l’étroitesse d’esprit et à quelques raccourcis. Votre dossier en est la preuve (…)».
Cette semaine-là, la RTBF n’a pas diffusé pour ses téléspectateurs le spot promotionnel où apparaît d’habitude la nouvelle couverture de l’hebdo (en toute légalité d’ailleurs, mais cette règle s’appliquait plutôt jusqu’alors lorsque l’hebdo consacrait sa «une» à RTL-TVi). Il a été remplacé par une simple publicité générique pour Télémoustique. Vous imaginez: les usagers de la RTBF auraient été ébranlés de découvrir sur leur petit écran que tout le monde n’est pas d’accord avec la politique éditoriale de la direction ertébéenne! (…)».

 

9. L’Europe ignore-t-elle les droits des usagers culturels?

Dans notre deuxième émission de radio, le moment le plus important à retenir est sans doute celui où Philippe Grombeer nous a fait part des résultats de la recherche que nous lui avions suggéré d’entreprendre pour nous. 

De quoi s’agit-il? Philippe Grombeer connait bien les arcanes européennes de la culture. Il s’est investi dans l’organisation de plusieurs réseaux et forums culturels européens.

Consoloisirs, dans ses multiples recherches, n’a jamais vu jusqu’à présent l’Europe ou des associations d’organisateurs culturels s’intéresser à notre thématique.

Nous voulions savoir comment notre invité «fil rouge» réagissait à notre constat. Nous savions que c’était un peu un cadeau empoisonné que cette interrogation et nous le remercions de l’avoir pris à bras le corps durant sa préparation de notre émission. 

Philippe Grombeer, sur ce thème, est pour nous un interlocuteur idéal car, nous pouvons l’écrire maintenant puisqu’il l’a déclaré lors de l’émission, il lit régulièrement notre newsletter et l’apprécie beaucoup. Il sait donc de quoi il retourne (ce qui n’est sans doute pas le cas de nombreux de ses confrères). Grâce à son investigation, notre idée que très peu d’organisateurs culturels sont conscients d’un combat pour les droits des usagers culturels est à mener se vérifie davantage. Constater ce manque est une étape indispensable pour pouvoir, dans un temps suivant, y remédier.

Pour préparer la réponse qu’il a apporté dans notre émission, Philippe Grombeer a contacté quatre de ses confrères d’Europe (c’est l’un des avantages d’une émission de radio qui n’est que mensuelle: le temps de sa préparation est important).
Il a accepté, après l’émission de faire un point écrit sur son investigation et comment il se situe par rapport à cette thématique. 

Témoignage écrit de Philippe Grombeer (décembre 2019):

Watermael-Boitsfort, 27/12/2019.

Bonjour, je tiens à préciser auprès des auditeurs.trices et lectrices.teurs de CONSOLOISIRS que je n'ai jamais – au cours de ma vie de responsable culturel (Maison de Jeunes, coopération en Algérie, Halles de Schaerbeek, réseaux culturels européens, Théâtre des Doms/Avignon) -réfléchi, ni été confronté au sujet des droits des usagers culturels et que je ne suis pas du tout un expert en institutions européennes.
Je m'explique.

Effectivement je n'ai jamais abordé ce sujet comme animateur/coordinateur/directeur de projet et ou de structure culturelle au cours de mes 42 ans d'action culturelle.
J'ai dû, comme Monsieur Jourdain (cf. Molière), être confronté aux droits des usagers culturels sans le savoir.
J'imagine bien que des spectateurs, des artistes, des «usagers» se sont plaints à certaines occasions de manquements probables?
Il me semble qu'au fil d'une acquisition de compétences, d'expériences, de financements plus importants, de «cadres structurants» plus précis, j'ai répondu à ces droits des usagers culturels!
C'est mon sentiment, pas une évaluation rationnelle.
Quant à ma soi-disant «bonne connaissance des arcanes européennes», c'est flatteur et inexact!
De fait, dès la moitié des années 80, je me suis impliqué corps et âme dans le développement de dynamiques culturelles européennes. C'est-à-dire le lancement et le développement de réseaux culturels européens. Je me suis retrouvé parmi les fondateurs de deux grands réseaux, toujours actuellement considérés comme emblématiques en Europe, l'Informal European Theatre Meeting/IETM (regroupant aujourd'hui plus de 400 membres des arts de la scène) et TransEurope Halles /TEH (regroupant à ce jour plus de 110 centres culturels indépendants/alternatifs).
J'ai, avec enthousiasme, piloté la vie de T.E.H. pendant une dizaine d'année, de manière bénévole; puis je fus le délégué TEH des Halles de Schaerbeek jusqu'à mon départ pour Avignon.
J'ai aussi été le co-fondateur de l'European Forum for the Arts and Heritage (devenu depuis Culture Action Europe).
D'autre part, j’ai assisté – dans ces années 1980/1990/2000 – à pas mal de rencontres d'autres réseaux (Forum des Réseaux Culturels Européens, Banlieues d'Europe, European Jazz Network, Biennale de la Jeune Création Méditerranéenne, Eurocréation, Circostrada...) .
Il s'agissait essentiellement d'échange d'expériences et d'informations, de dialogue, de réalisations de certains projets.
Dès la naissance du réseau TransEuropeHalles (année 1983), j'ai tenté pendant plusieurs années de trouver un soutien et des financements auprès des institutions à dimension européenne (voire internationale) comme l'UNESCO, le Conseil de l'Europe, la Fondation Européenne pour la Culture et, bien sûr, l'Union européenne.
En vain!
Finalement, après plusieurs tentatives, j’ai obtenu de l'Union européenne (Commission) un premier financement via le programme dédié à la culture, Kaléïdoscope (ancêtre de l'actuel Creative Europe).
Ce financement a permis au réseau d'engager à temps plein une coordinatrice (secrétaire général dans le jargon de l'époque) et dès lors je n'ai plus suivi les multiples démarches «institutionnelles» à l'égard des institutions européennes.
J'ai quitté les Halles de Schaerbeek il y a 18 ans (2002) et n'ai plus été impliqué dans la vie des réseaux culturels européens.

Depuis quelques années je suis «revenu» comme parrain («godfather», comme aiment le dire les jeunes de T.E.H.!) auprès de TransEuropeHalles.
Et j'essaie de trouver d'éventuelles «aventures culturelles» en Fédération Wallonie-Bruxelles susceptibles de rejoindre ce réseau. Ce qui est le cas depuis peu de La Ferme du Biéreau (Louvain-la-Neuve).
Car malheureusement mes successeur(e)s à la direction des Halles se sont totalement désintéressé(e)s de ces réseaux et l'actuel directeur a décidé de se désaffilier de TransEuropeHalles!

Tout ceci pour contextualiser mon ignorance à l'égard d'une dynamique «droits des usagers culturels» dans d'autres pays d'Europe et au niveau de l'Europe des 28.

En réponse à la question de Bernard Hennebert j'ai interrogé – comme première étape – plusieurs de mes complices/amis actifs et particulièrement à des fonctions de haute responsabilité (précédemment ou encore actuellement) au sein de réseaux européens et de structures fédératrices dans leur pays (lire annexe, ci-dessous).

Réponse négative unanime!

Aucun.e d'entre eux.elles ne sont au courant – au cours de leur déjà longue expérience – d'associations similaires à Consoloisirs dans leur pays ou à dimension européenne (une fédération ou un réseau)! 
Ce sujet, les droits des usagers culturels, ne les avaient pas (comme moi) «interpellés»!
Bien sûr, cette rapide et très incomplète recherche (afin d'avoir un bout de réponse pour l'émission du 16 Décembre) est tout à fait insuffisante.
Je compte approfondir ce questionnement auprès d'autres responsables que j'ai cotoyés .Tant une fonctionnaire de la DG Culture de l'Union européenne, qu'un ancien Secrétaire général du Conseil de l'Europe, et d'autres «activistes culturels européens»...

C'est juste un chantier de plus à «creuser».

Philippe Grombeer

ANNEXE

Mes quatre interlocuteurs étaient:

Mary-Ann de Vlieg (UK), qui fut pendant 19 ans la secrétaire générale de l'Informal European Theatre Meeting (IETM), présidente des groupes de travail auprès de l'U.E. Arts-Rights-Justice et Créativité et Création, fondatrice du réseau On The Move (pour la mobilité des artistes en Europe), co-fondatrice du Fond Roberto Cimetta (pour la mobilité des artistes du pourtour Méditéranéen), formatrice, consultante. Vit à Venise.

Corina Suteu (RO), directrice de l'Union des Théâtres de Roumanie (UNITER) et du Theatrum Mundi à Bucarest (1990); directrice à Dijon d'un master en Gestion Culturelle; initiatrice du premier programme de formation en gestion culturelle pour les professionnels de l'Europe de l'Est (ECUMEST); directrice de l'Institut Culturel Roumain à New York (de 2006 à 2012); Secrétaire d'Etat puis Ministre de la Culture de Roumanie (2016/2017); Présidente du festival de cinéma Roumain à New York et Roumanie; consultante. Vit à Bucarest.

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Michel Quéré (FR), coordinateur du festival pluridisciplinaire et international Les Allumés (Nantes); responsable de production et des tournées de la compagnie DCA du chorégraphe Philippe Découflé; coordinateur et curateur de la première Nuit Blanche à Paris; responsable de plusieurs compagnies de danse au Royaume-Uni; organisateur des nombreuses rencontres et de la relation aux membres au sein du réseau IETM (pendant 12 ans); responsable de plusieurs aspects du programme «Factories of Imagination» au sein de TransEuropeHalles (pendant 2 ans); formateur indépendant. Vit à Bruxelles.

Cor Schlösser (NL), fondateur et directeur pendant 41 ans du Melkweg (Amsterdam); premier Président du réseau TransEuropeHalles; Président et administrateur de plusieurs associations/forums dédiés aux musiques actuelles.Vit à Budapest.

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