Au plus profond

Une édition originale

Par | Penseur libre |
le

© Serge Goldwicht

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Lecture 3 min.

Bien sûr, comme tout le monde, il a vieilli. Par ses contemporains, son enveloppe est datée d’une septantaine d’années environ. Les cernes, les rides et la peau qui rappelle le carton bouilli sont ses signes extérieurs de vieillesse. Bien vu. Il a septante ans tout juste. On pourrait dire qu’il est vieux sauf qu’à l’intérieur de son enveloppe vit un jeune homme qui désire les femmes de vingt ans et qui aimerait vivre des expériences érotiques inconnues. Le personnage jeune dissimulé dans la vieille enveloppe est vigoureux et capable de longues érections au contraire de son enveloppe. À l’intérieur du vieillard, le jeune homme tombe amoureux tous les jours, s’émeut du malheur des autres et s’indigne des injustices. Alors que le vieillard qui l’abrite est un notable sans beaucoup d’émotion, respectable et conservateur bien considéré par la bourgeoisie, le jeune homme de l’intérieur est un rebelle et un révolté toujours indigné et prêt à changer le monde en prenant les armes s’il le fallait. Le vieillard est un abri fidèle. Jamais, il ne parle du jeune homme qu’il cache et protège. Jamais, il ne le trahit. Le vieillard agit avec son protégé comme quelques Justes, trop rares, qui ont caché des enfants juifs pendant la seconde guerre mondiale. Peut-être que les autres ne comprendraient pas, peut-être qu’ils s’en prendraient à lui? Le vieillard ne s’étonne pas qu’un homme jeune vive à l’intérieur de lui. Il sait que des libertines vivent au sein des bigotes et que les ivrognes seuls devant leur verre vide cachent des jeunes hommes rêveurs mais il aimerait beaucoup que le jeune homme qui se terre dans son corps s’empare des rênes de sa vie et le fasse voyager aux quatre coins du monde, à la rencontre de femmes et d’hommes inconnus mais aussi grimper au sommet des montagnes, plonger au fond des océans, dans des lieux extrêmes où son corps meurtri ne peut plus le mener. Mais le temps poursuit son inlassable travail de titan en érodant l’enveloppe de notre vieillard qui, à bout de force, doit être admis à l’hôpital. Il a plus de quatre-vingts ans à présent. Peut-être que l’une ou l’autre infirmière comprit qu’un jeune homme se terrait à l’intérieur du vieillard parce qu’il a conservé de l’humour et la faculté de s’étonner et d’admirer mais personne ne dévoila son secret. Malgré les efforts et la science des médecins, le vieillard mourut un matin. Il mourut seul dans la chambre aveugle de l’hôpital. Pourtant, alors qu’il était encore chaud, une femme jeune et belle aux longs cheveux noirs s’est extraite non sans mal de son corps et a pleuré longtemps devant le cadavre du vieillard. Elle pleura plus longtemps que la femme légitime et les amis du vieil homme. On peut la comprendre. Comme beaucoup de femmes et d’enfants, comme beaucoup de civils, elle venait de perdre sa maison.

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