Lumières terrestres (13)

Question d'optique

Par | Journaliste |
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Plantations de thé dans les Nilgiris en Inde du Sud. Photo © Jean-Frédéric Hanssens

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Nous quittons les hauteurs de Charleroi, pour les Nilgiris situés entre 1.000 et 1.500 mètres d'altitude dans l'Etat duTamil Nadou en Inde du Sud. Célèbres pour ses plantations de thé qui ont débuté aux environs de 1830, elles sont un pur produit de la colonisation britannique. Les thés des Nilgiris ont été reconnus parmi les thés les plus fins du monde. Ils font partie, avec les thés de Darjeeling et d’Assam, des plus célèbres thés de l’Inde. Le thé Nilgiri se démarque pour son goût fin, doux et fruité et l’harmonie de ses couleurs. La région est principalement connue pour son thé noir (utilisant la méthode CTC (Crush – Tear – Curl : broyage-déchiquetage-bouclage). Mais cette présentation idyllique du produit et de la région cache une réalité sociale d'un autre âge pour les femmes qui travaillent dans les plantations. Un petit retour dans l'histoire de la colonisation n'est pas inutile. En fait, les britanniques ont déporté comme esclaves dans cette région des Tamouls venant des régions limitrophes. Ces migrants tamouls contraints ont peuplé et peuplent encore les plantations de thé, qui sont des sortes d’Etats dans l’Etat et la population d’origine tamoule parlant sa langue propre est considérée non comme une caste mais comme une sous-classe ce qui ajoute encore plus pour les femmes la charge d’une discrimination sociale dont elles sont l’objet en tant que femmes dans toute l’Inde. Ces cueilleuses de thé, d'origine tamoule, sont parmi les moins considérées et les plus mal payées. Presque toutes vivent seules ou en famille dans des cabanes de tôle avec une seule pièce et aucune commodité (pas d’eau courante, de toilettes, de drainage). Elles sont quasi analphabètes et leurs enfants ne sont pratiquement pas scolarisés.  Les hommes s’adonnent à la boisson et laissent aux femmes souvent la charge totale des travaux domestiques tout en ponctionnant même leur maigre salaire pour l'achat d'alcool. Le travail des cueilleuses leur brise le dos. Elles doivent se lever très tôt le matin pour, après les travaux domestiques, s’acheminer dans les collines, peiner courbées jusqu’à douze heures par jour et ramener à pied vers les centres de collecte sur leur dos les sacs de 50 à 70 kg de leur récolte du jour. Pour gagner le minimum imposé de 20 kg de feuilles de thé par jour et recevoir le salaire minimum mensuel de 83 euros en dix heures de travailquotidien, elles doivent obligatoirement pour pouvoir survivre prolonger leur journée jusqu’à plus de douze heures pour cueillir jusqu’à 60-70 kg de feuilles de thé, ce qui leur donne droit à un «  bonus » portant de 175 à 250 euros mensuels leurs salaires, les plus bas de tout le Kerala (1). Epuisées par cette injustice qui perdure depuis des décennies, début septembre 2016 , les cueilleuses de thé fondent leur propre organisation de lutte sous le nom de « Pembillai Orumai » (Femmes Unies) dont sont exclus les hommes et les syndicats corrompus et à 100% masculins. Elles manifestent  et brandissent des slogans pour le moins explicites.  «  Nous trimons tout le jour, vous nous pillez  »,
 «  Nous charrions les feuilles de thé dans nos paniers, vous charriez l’argent dans vos paniers  »,
 «  Nous vivons dans des cabanes de tôle vous vous prélassez dans des villas  »,
«  Nous cueillons les feuilles de thé, nous portons les sacs de feuilles de thé, vous portez les sacs remplis de billets, cela doit finir  », «  La faim et la souffrance sont notre vie et nous nous fichons pas mal de mourir de faim mais nous n’autorisons personne à nous exploiter.  »


Un orage au coucher du soleil à Ooty (Nilgiris) à 2.240 mètres d'altitude. Photo © Jean-Frédéric Hanssens
Le 7 septembre 7 000 cueilleuses de thé se mettent en grève pour une augmentation de salaires et le rétablissement du bonus. Après neuf jours de grève elles obtiennent le rétablissement du bonus mais pratiquement rien sur les salaires. Mais le retentissement de leur action  aura des échos dans toute l'Inde si bien que des grèves éclatent dans les plantations, non seulement dans le Kerala mais aussi dans le Tamil Nadu, l’Asam, le Darjeeling, toutes à l’écart des syndicats officiels et contre eux. Cette révolte des femmes à la fois contre leur exploitation leur condition et la domination machiste, si d’un côté fait école, d’un autre côté continuera à susciter des tentatives de toute sorte de l’ensemble des autorités institutionnelles diverses comme des plantations pour détruire, briser ou tout au moins canaliser ce mouvement qui reste quand même symptomatique de l’évolution des rapports sociaux en Inde. Ces actions n’en constituent pas moins une évolution dans la société indienne, une prise de conscience des ouvrières de la condition que leur réserve la société capitaliste en tant que travailleuses exploitées et en tant que femmes. Le fait que ces femmes ont  osé se révolter et agir est une partie du combat global pour une société plus égalitaire dans ce vaste pays ou, de plus, le principe des castes reste, aujourd'hui, un frein majeur à toute forme d'émancipation sociale.


(1) http://www.mondialisme.org/spip.php?article2461

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