Wizz Jones à Perwez, dans la lumière de Derroll Adams

Chemins de traverse

Par | Journaliste |
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C'est en Belgique, à Perwez, que Wizz Jones a donné son dernier concert sur le continent. Ceux qui étaient là n'oublieront jamais sa force fragile. Photo © DR

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Comment vous dire ce que furent ces heures-là, celles du dernier concert de Wizz Jones sur le continent, en ce samedi soir d'octobre? Simplement, le plus simplement possible, ainsi qu'il a chanté, du fond du coeur, à Perwez, au Centre culturel. Patrick Ferryn, le cinéaste qui a réalisé le film en hommage à Derroll Adams, "Banjoman", rêvait de cette rencontre. Dans "Banjoman", Wizz salue Derroll comme son maître en musique. C'est vers 1956, 1957, à Londres, que le jeune musicien passionné de folk song, âgé de 17 ans se retrouva en compagnie de Derroll Adams et Jack Elliot, les deux nomades à la guitare et au banjo, héritiers de la légende du syndicaliste chantant du Dust bowl, Woody Guthrie. L'artiste engagé qui inspira Bob Dylan, promu Prix Nobel la semaine passée, au nom des troubadours de tous les temps. Wizz, comme Derroll, comme Woody, comme Dylan, est un barde vagabond. Avec sa guitare dont il tire des paysages crépusculaires éclairés de soleils couchants et de brumes, il raconte des choses de la vie et ces récits sont de tous les temps, de toutes les époques, de tous les pays du monde. Avant l'écriture, la tradition était orale, les histoires se transmettaient grâce à la parole et à la mémoire, il ne faudra jamais l'oublier.

"Il a débarqué du train de Londres, à Bruxelles, avec sa guitare. Il logera chez Danny, à Anvers" m'avait confié Patrick Ferryn. Danny est l'épouse de Derroll, qui s'en est allé depuis un bon bout de temps mais dont la silhouette, de Portland, Oregon, au café le Welcom, près de la Grand-Place, à Bruxelles, est là, en filigrane des décors qui changent. Donc, Wizz a égrené une série de notes et s'est lancé dans ses histoires, mêlant ses souvenirs, la route, ceux qu'il a aimé et qu'il aime, des paroles qui se baladent au gré des vents. Il a raconté la soirée à Londres où, après la session concert avec Derroll et Jack, s'en retournant vers la gare, il s'arrêta avec eux dans un café nommé Yellow Door pour faire de la musique, boire un coup et repousser la nuit. Ils en sortirent tard dans la matinée. 

Wizz a la voix en même temps légère et costaude. Une tignasse blanche longue comme ses septante-sept balais et les chemins parcourus, une démarche ferme même si un peu ralentie, une manière de faire sonner les mots comme personne d'autre. Depuis les année cinquante, il roule sa bosse avec sa guitare, puis revient à la maison, en Angleterre, auprès des  siens. Il nous en a parlé avec émotion, sans miévrerie. Wizz va droit au but. Ce soir-là, à Perwez, de chanson en chanson, on avait fini par se perdre à travers les rues des villes, les chemins parcourant les landes, les ponts des navires et les quais des ports où des bars allument leur fanal au bout de la brume. On se disait que Wizz pourrait continuer longtemps, sans hâte, à feuilleter son album, ces pages de vies croisées.

C'est à ce moment-là que Patrick Ferryn a annoncé une surprise et qu'un mec barbu, avec des yeux brillants, venu d'Ardenne liégeoise où il a rencontré l'amour de sa vie, s'est installé à côté du musicien pour faire la route du concert avec lui. Tucker Zimmerman, l'artiste venu de Calfornie en Europe, comme Derroll jadis, et qui s'est arrêté en Belgique, a tissé ses notes à celles de Wizz et leur duo a été d'une fulgurance rauque, profonde, authentique. Surtout quand ils ont interprété "Girl from the North Country" de Bob Dylan. Le silence, dans la salle, était compact. "Si tu vas là-bas vers le Nord..." Oui, tu sentais la rigueur de la neige et du vent sur ta peau, le chant des locomotives dans la vallée, l'écho des pas dans la ruelle perdue dans la ville cassée. Aujourd'hui Tucker écrit plus qu'il ne chante, mais, à l'entendre chanter, on a envie de lire ses bouquins. 

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Tout à la fin, Wizz a dit au revoir et confirmé qu'il ne ferait plus d'aussi longue route pour un concert mais qu'il avait aimé celui-ci, à Perwez. Parce qu'il avait chanté en souvenir de Derroll, qui n'est plus et qui fut son ami. Comme Tucker. Leur première rencontre? "Il y a bien longtemps, en Allemagne. J'allais à un  festival. Une tente était plantée, de la musique s'en échappait. J'ai écouté, c'était beau. Puis j'ai vu le chanteur, c'était Tucker, on est amis depuis les années 70..." Danny, venue avec Rebecca, sa fille, la fille de Derroll Adams, l'homme de "Portland Town", s'est levée pour dire son merci avec le corps autant qu'avec des paroles. On aurait voulu être à bord de l'auto, en partance pour Anvers, pour entendre Wizz et Danny parler de "Banjoman". 

Et, perdu dans le public, mes souvenirs m'ont ramené à un pilote de moto qui chantait "Dirty Old Town" à Charleroi et dont le nom de scène était Michaël Hunter. Yves Legros, c'était son nom, avait choisi ce surnom à cause du film "Deer Hunter" et des routes de la Colombie Britannique et du Montana sillonnées avec sa Bonneville 650, il y a belle lurette. A sa manière, ce gars-là était de la trempe de Wizz, à sa manière, je dis bien. Mais l'esprit y était. Oui, il y était. 

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