Villes idéales : une utopie mondialisée

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Un exemple de ville résiliente, imaginée par Luc Schuiten, créateur de l’archiborescence. A découvrir sur http://www.vegetalcity.net/topics/category/09-demain/

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Lecture 7 min.

Rien de plus stimulant que de dériver dans une ville, marcher et regarder le spectacle humain et architectural qu’elle nous offre, sentir sous les pavés les rêves des constructeurs, les espoirs des habitants, découvrir des modes de vie et d’expression des différences culturelles et sociales.

Une dérive sous le soleil du printemps nous fit découvrir la Maison des Cultures, rue Mommaerts à Molenbeek, non loin de la station de métro Ribaucourt : un lieu passionnant d’agitation d’idées et de rencontres culturelles. Une exposition fascinante s’y trouve pour l’instant : la présence séculaire de populations juives dans le monde arabe et singulièrement au Maroc. Des photos belles d’humanité et un travail pédagogique réalisé en partie par des élèves d’écoles de Schaerbeek, de Saint-Josse, de Molenbeek… A voir pour rentrer dans l’histoire afin de créer le futur.

Utopies et Eutopia

Au même endroit, se clôturait une session de l’université urbaine et citoyenne, Brussels Academy, sur le thème « Les villes idéales en Europe : entre utopies et réalités ». L’architecte et urbaniste Jean de Salle nous a plongés dans l’histoire qui mène aux visions d’avenir. Il rappelle d’abord que nous venons de commémorer le 500ème anniversaire de la première édition à Leuven de l’ouvrage de Thomas More, Utopia qui, en 1618, porta pour sa troisième édition le titre de Eutopia. « Ce qui n’est en aucun lieu » devient ainsi « territoire du bonheur » : à quoi donc songeait Thomas More ? A une société égalitaire, épicurienne, tolérante, régie par la raison. Préfiguration de la cité idéale que nous cherchons toujours. Depuis la ville néolithique (plus de 7.000 ans avant notre ère) de Çatal Höyük en Anatolie en passant par les villes grecques et romaines, par l’urbanisme et l’architecture l’humain cherche à se protéger d’un monde extérieur chaotique. Et l’on rêve avec Platon d’un vivre ensemble d’où émergent  la raison, la sagesse, l’harmonie : une nouvelle civilisation des villes, de la démocratie, de religion universelle, bref, d’une société parfaite.

Une société de liberté individuelle et d’égalité entre les humains donc de bonheur collectif est décrite par les peintres de la Renaissance, rêvant de la ville idéale qui inspirera les architectes. Liberté et égalité qui donneraient naissance aux pensées libérales et communistes. Mais il faut d’abord évoquer quelques siècles de civilisation marqués par l’Utopie de Thomas More, puis les Lumières qui envisagent une ville du progrès lié à l’humanité et l’éthique dans le monde. On pense universel, cosmopolite, on bouillonne d’expériences utopiques dans les fournaises capitalistes des villes industrielles du XIXème siècle : avec Charles Fourier, Jean-Baptiste Godin, Robert Owen et leurs phalanstères, familistères, cités-jardins, cités ouvrières avec écoles et services communs. On balance entre ruraliser la ville et urbaniser la campagne. Concilier développement et bonheur dans les sociétés industrielles et urbaines tout en cherchant plus de justice sociale, tel est le rêve d’Ebenezer Howard et de Kasimir Malevitch.

La cité post-industrialisée et mondialisée

Pour cela, il faut la paix et alors que grondent les guerres qui vont s’avérer mondiales, sombres prémisses d’une mondialisation violente, s’élèvent les voix prophétiques d’Henri La Fontaine et de Paul Otlet qui, inspirés par Kant, imaginent la Cité Mondiale de la Paix et un temple de la connaissance universelle : le Mundaneum. Ils inspirèrent ainsi quantité d’architectes. 

Dans les ruines des Etats-nations, naît le rêve européen. Et nous voilà dans l’ère post-industrielle, où les limites techniques sont poussées au plus loin, au détriment de l’humain, c’est l’ère des ingénieurs, des méga-structuralistes, bousculés heureusement par Mai 68 et les utopies sociétales et culturelles à l’échelle des villes mondialisées… Et altermondialisées grâce à ces mouvements qui prônent une société plus égalitaire, plus démocratique, plus écologique, dans une vision de paix et de solidarité nouvelle avec les exclus, les dominés, les colonisés en lutte pour l’indépendance.

Autant de brèches dans le dogme du libre marché mondialisé. Et, significatif d’une mondialisation de la solidarité : l’union de la Croix-Rouge et du Croissant rouge. Le combat culturel contre la cité des promoteurs, des politiques, des fonctionnalistes et des capitalistes a été mené d’abord par l’Internationale situationniste, rappelle Jean de Salle, où l’on revendique un changement urbain et social, un  nouvel environnement pour l’humain, post-industriel et artistique. La ville devient le lieu où réinventer la vie quotidienne, la ville promenade. C’est notre droit à la ville, théorise Henri Lefebvre. Une ville qui est plaisir et art, qui est espace politique à révolutionner, à reconquérir notamment par la rénovation.

Il ouvrait ainsi la voie aux visions contemporaines d’architectes qui cherchent à ramener le bonheur de vivre en ville en garantissant à la fois la liberté individuelle et la gestion des communs, la reconstruction des projets locaux, la promotion des savoir-faire des artisans, des intellectuels mais aussi la mise en réseau de ville à ville, la création des écopolis telles qu’illustrées par Luc Schuiten.

Un parlement mondial des villes

Le cadre de l’avenir urbain est déjà tracé par l’Europe : la Charte urbaine européenne existe bel et bien. Mais nombreux sont ceux qui proposent une « Charte mondiale du droit à la ville », comme un nouveau Droit de l’Homme, comme une étape indispensable vers un gouvernement mondial véritablement démocratique. Eric Corijn, directeur de la Brussels Academy, raconte l’évolution de cette pensée de Benjamin Barber : « si les maires gouvernaient le monde », ce serait la souveraineté de l’humanité puisque déjà les trois quarts de la population mondiale vivent en ville. Ce serait la fin des Etats-nations et l’émergence de l’urbanité comme forme de vivre-ensemble.

Utopie magnifique, héritière de la Cité Mondiale de la Paix, forgée dans les guerres nationalistes et capitalistes afin de créer un autre monde parfaitement possible que quantité de mouvements sociaux et citoyens modèlent déjà maintenant. Du local au global. Grâce au partage des connaissances, des apprentissages, de la créativité et de l’humour comme le prouve notre « zinneke parade » bruxelloise, explique Sophie Vermeulen qui analyse comment les Utopies urbaines peuvent devenir des vecteurs pour la mobilisation civile.

Un programme enthousiasmant !

http://www.coe.int/t/congress/files/topics/urban-charter/default_FR.asp

http://www.hic-gs.org/content/Charte_Droits_a_la_ville_2005.pdf

https://brusselsacademyblog.files.wordpress.com/2016/10/villes-idc3a9ales.pdf

Quelle utopie bruxelloise ?

L’architecte Jean de Salle l’a analysée dans une étude de la Région bruxelloise et sa zone métropolitaine qui, reliée à d’autres villes flamandes et wallonnes, pourraient constituer un pôle de développement économique, urbain, culturel à l’échelle internationale et mondiale. En harmonisant ce type de développement avec les échelles communales et de quartiers, on peut créer une nouvelle urbanité basée sur la qualité de vie et la solidarité : « l’urbanité est le savoir faire la ville pour savoir vivre en ville », souligne l’auteur. « Verrons-nous émerger et s’épanouir un réseau de villes « Cœur d’Europe » qui s’appuie sur les idées et les propositions énoncées dans cet « essai » de réflexion visionnaire que nous avons nommé « Espace Europolis Bruxelles ». N’est-ce pas là retrouver « un projet politique au sens initial du mot » ?

  • Europolis Bruxelles. Jean de Salle, Cooparch-RU, Région de Bruxelles-Capitale, 2009.
  • Dans le même ordre d’idées, rappelons le livre de Paul Vermeylen « Le temps de la métropole » qu’il voit agile, créative, solidaire, durable et dont il décrit diverses évolutions et expérimentations dans de nombreuses villes européennes. Ed. L’Harmattan, 2014

 

 

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