Tunisie: exploration en démocratie

Zooms curieux

Par | Journaliste |
le

Souad Abderrahim, maire de Tunis, mène une campagne sur l’hygiène dans la ville. Photo © https://www.tunisienumerique.com/tunisie-photos-la-nouvelle-cheikha-de-t...

commentaires 0 Partager
Lecture 8 min.

La Tunisie ne se résume pas à une terre de tourisme aux plages magnifiques sous un soleil généreux. Elle est surtout un extraordinaire laboratoire où se concocte la démocratie du XXIème siècle, entre fin du colonialisme et participation populaire.

De nombreuses initiatives de discussions, de représentations politiques, d’expressions citoyennes ont fleuri après la « révolution du jasmin » en 2011. Il en est une qui, déjà avant cette révolte populaire devenue ensuite révolution toujours en cours (appelée aussi « transition » vers la démocratie), servait de creuset d’idées de rénovation politique et surtout syndicale. L’Association Mohamed Ali de la Culture Ouvrière (ACMACO) est devenue une instance de réflexion sur la société tunisienne confrontée au néolibéralisme économique, aux intégrismes divers et aux nombreuses corruptions.

Lors d’une récente Université d’été, les concepts, propositions, réalisations diverses ont été présentés, analysés, discutés, débattus avec intelligence et finesse. C’est que la mobilisation populaire, aussi riche et variée soit-elle, nécessite une réflexion sur les objectifs voulus par les démocrates : quel type de démocratie et donc d’expression populaire voulons-nous ? Quel type d’Etat et de participation des citoyens mettre en place? Quel est l’objectif d’une révolution sinon déterminer la mise en œuvre de politiques visant à l’émancipation sociale, économique et culturelle des citoyens ? Ce qui se discute à l’échelle tunisienne nous interpelle aussi, quel que soit le pays, car un peu partout dans le monde, la démocratie est en péril à cause de l’instauration de régimes forts (on parle de « démocrature » dans le cas de la Turquie, par exemple) ou par la généralisation de la corruption qui affaiblit le pouvoir politique au profit de l’hyper puissance de grandes multinationales prédatrices des matières premières et dont les profits ne bénéficient pas aux populations locales mais s’évadent dans des paradis fiscaux.

L’évolution économique est donc une des conditions indispensables pour que s’instaure un état de droit redistributeur des richesses créées. La Tunisie souffre du même mal que tant d’autres pays du monde : manque de moyens pour instaurer des politiques de développement économique local et régional, obligation de satisfaire à des ajustements structurels afin de bénéficier des prêts des grandes institutions comme le FMI ou la Banque Mondiale et donc, passage obligé sous les fourches caudines du néolibéralisme mondialisé. Car les aides à l’instauration de la démocratie, promises notamment par l’Union européenne après la chute du régime du président Ben Ali, ne sont jamais arrivées ou ont été conditionnées à la signature d’accords de libre-échange, ceux-là même dont le principe est contesté dans les pays européens par de très nombreux mouvements sociaux et citoyens dont les syndicats.

On comprend ainsi l’importance du combat syndical, le seul qui soit suffisamment fort pour devenir un interlocuteur dans un processus démocratique de négociation politique. En Tunisie, existe un syndicat dominant, l’UGTT (Union générale des travailleurs de Tunisie) qui fut d’ailleurs allié au régime de Ben Ali et qui, voyant le vent tourner en révolte populaire, est devenu un des interlocuteurs principaux de la transition démocratique. Il bloque la reconnaissance par l’Etat du syndicat minoritaire, la CGTT, constitué par des contestataires de l’UGTT au temps de sa connivence avec le pouvoir en place. « Le pluralisme syndical est un élément essentiel d’une véritable démocratie », clame sans relâche Habib Guiza, secrétaire général de la CGTT (Confédération générale tunisienne du travail) et initiateur des universités d’été de l’ACMACO. Le deuxième enjeu majeur pour le leader syndical est la revitalisation des services publics (transport, éducation, santé, habitat, culture, etc…) avec une priorité : l’éducation de la jeune génération aux défis de la démocratie et du développement. « Nous avons quantité de jeunes instruits qui subissent le chômage car il n’y a pas d’emplois créés dans les régions déshéritées par le pouvoir. Nous devons leur proposer des formations aux innovations technologiques et sociales.»

Enjeu majeur en effet car trop nombreux sont les jeunes qui, désespérés, tentent de migrer au péril de leur vie ou se jettent dans les bras des islamistes terroristes qui leur proposent de l’argent contre leur vie. Des fondamentalistes musulmans se cachent aussi derrière une apparence démocratique en Tunisie, à savoir le parti islamiste Ennahda qui vient de remporter 130 mairies, (dont celle de Tunis conquise par une femme sans foulard !) à l’issue des premières municipales démocratiques du pays. Le parti Nidaa Tounès fondé par le président en exercice, est rejeté en troisième position derrière les indépendants, preuve de la déception et de la méfiance des Tunisiens envers les responsables politiques actuels qui ne répondent pas aux exigences de la révolte populaire de 2011.

La difficulté essentielle de la Tunisie est bien ce pouvoir instable, partagé entre un président aux pouvoirs restreints et un parti islamiste aux objectifs fondamentalement différents de ceux de la révolution mais à la stratégie habile. Ainsi, Ennahda a déclaré qu’il était en faveur de la séparation de la religion et de l’Etat.

Reconstruire l’autorité mais sans autoritarisme, tel est le défi politique actuel, selon divers intervenants à ce colloque de l’ACMACO. Cela signifie lutter contre la corruption à tous les niveaux du pouvoir, contre les mafias qui organisent des réseaux de contrebande, contre l’utilisation criminelle des ressources et réguler l’économie informelle. Cela implique aussi la primauté de la justice qui doit, en toute indépendance, veiller à ce que les droits de tous soient respectés. A commencer par les droits des victimes de la précédente dictature et de la violente répression de la révolte de 2011.

Les atouts dont dispose la population tunisienne sont nombreux : c’est une des plus émancipée, des plus instruites du monde arabe. Depuis la révolution, elle bénéficie d’une grande liberté d’expression et d’information, le statut de la femme est un des meilleurs et en progrès : mixité dans les institutions, parité sur les listes électorales, extension du champ de l’égalité, et enfin, la liberté de conscience est inscrite dans la constitution où l’Etat se proclame civil, fondé sur la citoyenneté, la volonté du peuple et l’état de droit. Essentiel dans ce monde arabo-musulman où l’apostasie est encore punie de mort.

Problème : la Tunisie n’a toujours pas désigné les membres de la cour constitutionnelle qui doit pouvoir faire respecter cette constitution capable de bloquer les dérives de religieux fondamentalistes qui se trouveraient au pouvoir.

Enfin, autre enjeu majeur de la transformation de la société : la culture, si vivante en Tunisie mais qui manque cruellement de moyens. « Il faudrait un projet national basé sur le réseau de maisons de la culture et au service de la création nationale », dit un des intervenants qui s’exclame : « les artistes ont rêvé la révolution et les islamistes l’ont récupérée ». « Comme pour l’éducation et la santé, l’Etat doit financer la culture pour que tout ne soit pas privatisé », souligne-t-il. Heureusement, grâce au numérique, les jeunes peuvent créer à moindre frais et diffuser largement leurs œuvres.

La révolution parfumée au jasmin est aussi technologique et elle continue à rayonner.

Unissons-nous !

Le philosophe, helléniste et anthropologue du Coran tunisien Youssef Seddik se trouvera au festival Rencontres Inattendues à Tournai qui se tient du 31 août au 2 septembre et dont le thème est « Changer de mondes ? C’est possible ». Débat avec le public animé par Martin Legros le 2 septembre à 14 h dans « le canapé rouge : « le risque des certitudes, l’oubli du doute ». Entrée libre. https://lesinattendues.be/evenement/canape-rouge-risque-certitudes-loubli-doute/

Il semble que vous appréciez cet article

Notre site est gratuit, mais coûte de l’argent. Aidez-nous à maintenir notre indépendance avec un micropaiement.

Merci !

On peut découvrir son commentaire sur les événements qui ont bouleversé la Tunisie et son espoir en la force de changement portée par les jeunes dans le livre « Unissons-nous ! Des révolutions arabes aux indignés », entretiens avec Gilles Vanderpooten, préfacé par Stéphane Hessel. Aux éditions L’Aube, coll. Conversation pour l’avenir. Novembre 2011. (G.L.)

 

commentaires 0 Partager

Inscrivez-vous à notre infolettre pour rester informé.

Chaque samedi le meilleur de la semaine.

/ Du même auteur /

Toutes les billets

/ Commentaires /

Avant de commencer…

Bienvenue dans l'espace de discussion qu'Entreleslignes met à disposition.

Nous favorisons le débat ouvert et respectueux. Les contributions doivent respecter les limites de la liberté d'expression, sous peine de non-publication. Les propos tenus peuvent engager juridiquement. 

Pour en savoir plus, cliquez ici.

Cet espace nécessite de s’identifier

Créer votre compte J’ai déjà un compte