"Terroriste", répète le perroquet

Par Théophraste !

Par | Journaliste |
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Ce livre nous propose quelques pistes de réflexion sur notre fragilité face à aux propagandes et fausses informations.

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Lecture 13 min.

Malgré les grilles et murs emprisonnant la population de Gaza, des combattants du Hamas accompagnés de djihadistes ont effectué une incursion meurtrière visant à prendre un maximum d’Israéliens en otage. Immédiatement, le mot d’ordre était lancé par Israël : « terrorisme ».

Un mot qui a pour but de gommer dans l’esprit des publics divers le contexte historique et dramatique de cette action guerrière qui a fait, selon le dernier décompte, 1.200 victimes civiles et militaires et 3.300 blessés israéliens. Plus de 239 soldats et civils sont retenus en otage par le Hamas (chiffres de Haaretz, 16/11/2023). Les bombardements intensifs menés par l’armée israélienne ont provoqué la mort de 11.240 Palestiniens, en majorité des enfants et des femmes, selon le ministère de la Santé de Gaza, dirigé par le Hamas. Plus d’un million de Gazaouis ont été forcés de se déplacer dans l’étroite enclave de Gaza et toutes les infrastructures permettant de disposer d’eau, d’énergie, de services d’épuration, de soins sont détruites.

Malgré ce bilan considérable et la destruction progressive de tout un peuple, quasi en direct sous nos yeux, la propagande israélienne prend de plus en plus d’ampleur et vise nos parlementaires, nos ministres, nos journalistes afin de bloquer toute velléité de rétorsions vis-à-vis du gouvernement israélien dont plusieurs membres affirment sans crainte leur volonté d’éradiquer le Hamas et d’occuper le territoire de Gaza.

C’est ainsi que le terme « terroriste » est repris systématiquement par des journalistes dans toutes les langues, relayant comme des perroquets la propagande israélienne et étatsunienne (souvenons-nous de l’axe du bien et du mal...) ce qui crée la confusion entre un mouvement de libération d’un peuple et les actions terroristes des djihadistes de Daesh visant à opprimer des peuples au nom d’une religion totalitaire.

Le mensonge des bébés tués

Dès le début de la riposte israélienne, a circulé en boucle dans le monde entier l’horrible histoire d’un bébé qui aurait été tué dans un four et d’un autre qui aurait été décapité par des membres du Hamas lors de leur attaque du 7 octobre. Une histoire atroce qui n’a jamais été ni illustrée ni prouvée et qui est à présent reconnues comme une fake news perverse lancée par le gouvernement israélien. Effectuant l’analyse des corps et l’identification des victimes, les légistes israéliens n’ont pas dénombré de bébés mais bien quelques enfants dont le plus jeune avait 4 ans. Ce fait a été relevé par la presse israélienne elle-même, et notamment dans Haaretz. Voilà ce qu'en dit TF1:

https://www.tf1info.fr/international/guerre-en-israel-que-sait-on-de-la-rumeur-selon-laquelle-un-bebe-israelien-a-ete-retrouve-brule-tue-dans-un-four-par-le-hamas-2274742.html

Et voilà ce qu’on trouve sur le fil twitter de Fakereporter (en hébreu) : « Durant ces heures, un témoignage horrifiant sur le corps d'un bébé retrouvé dans un four circule sur les réseaux. Des millions, et peut-être des dizaines de millions, y ont déjà été exposés en anglais et en hébreu. Bien entendu, nous recevons beaucoup de rapports et nous continuons à vérifier. Voici ce que nous savons à ce jour :

- Le témoignage est attribué au président de l'Union du Salut Eli Bir et aurait été cité pour la première fois par le journaliste et propriétaire du journal @NewYorkSun, Dovid Efune. Nous n'avons trouvé aucune autre référence à elle qui s'appuie sur d'autres sources.

- Nous avons contacté Eli Bir lui-même et d'autres acteurs du syndicat de secours, mais nous n'avons pas encore reçu de réponse.

-Le journaliste Yishai Cohen a déclaré avoir contacté des responsables des camps de Tsahal, de Zaka et de Shura, qui ont déclaré ne pas être au courant de l'incident.

-Le journaliste Haim Levinson a rapporté qu'il avait vérifié l'histoire et n'en avait trouvé aucun fondement. Selon lui, le témoignage s'appuie sur un volontaire qui a vu dans le camp un bébé avec des "marques de poêle".

- Contrairement à ce qui a été affirmé, le porte-parole de Tsahal n'a pas présenté un tel événement lors de la projection à huis clos des documents destinés aux journalistes étrangers. Si vous avez plus d'informations, veuillez nous contacter. Il est important pour nous de dire dès ce stade : Il existe des témoignages horribles et inimaginables du massacre dans la bande de Gaza, et encore aujourd'hui, certains doutent de leur crédibilité, et ils le font en profitant de témoignages spécifiques qui n'ont aucun fondement. Nier le massacre est dans l’intérêt des partisans du Hamas et d’autres éléments hostiles opérant sur les réseaux sociaux. Si vous voyez un témoignage sans source ni confirmation officielle, évitez de le diffuser. Un témoignage inexact peut potentiellement causer de graves dommages. »

Il ne s’agit pas ici de « nier le massacre » ni d’être « partisan du Hamas » mais simplement d’être journaliste qui entend échapper aux opérations de propagande qui sont légions surtout depuis le développement mondial des réseaux sociaux. Or, le gouvernement israélien consacre des millions à la propagande de guerre, ainsi que le démontre cette enquête de Pivot :

https://pivot.quebec/2023/10/31/conflit-israelo-palestinien-entre-desinformation-et-propagande/

Crimes de guerre, persécution, terrorisme d’Etat

Il est clair que s’en prendre à des civils désarmés et les prendre en otage est un crime de guerre mais il n’est pas évident qu’il s’agisse de terrorisme (au sens d’une action visant des civils dans le but de répandre la terreur). Cette qualification n’est pas reconnue en droit international au contraire des crimes de guerre et crimes contre l’humanité.

Ceux que l’on qualifie de « terroristes du Hamas » sont des combattants, des résistants à une occupation illégale de leurs terres par des colons et à leur emprisonnement tout aussi illégal dans l’enclave de Gaza. Parmi eux, il y a des criminels de guerre qui ont commis des actes de terrorisme. On ne peut pas non plus qualifier de « terroriste » les administratifs du Hamas qui géraient le fonctionnement de l’enclave, avec parmi eux des ministres, des directeurs, des cadres, des médecins, des fonctionnaires, etc.

En face d’eux, il y a une armée qui pilonne un territoire surpeuplé, tout en le privant d’eau, d’électricité, de nourriture, des médicaments. En Cisjordanie occupée, nombre de colons répandent là aussi la terreur, dans les villages palestiniens. Et ce, sous la protection des soldats israéliens qui ne les empêchent pas de tirer, de blesser, de torturer, d’arracher des arbres, de voler le bétail, de détruire des maisons, des commerces, des écoles. L’armée israélienne n’hésite pas à répandre la terreur dans des camps de réfugiés, tirant sur des civils, des enfants, des journalistes et arrachant à leur famille des hommes, des enfants et même des femmes sous prétexte de lutte contre le terrorisme, en les enfermant dans des prisons, sans jugement bien souvent. On peut parler ici de terrorisme étatique mais aussi du crime de persécution, voire de crimes contre l’humanité. Il appartient à la Cour Pénale Internationale de qualifier ce qu’il se passe à Gaza et en territoires occupés.

Le terrorisme n’est pas une qualification juridique, c’est un terme utilisé politiquement. Les journalistes devaient se montrer particulièrement prudents lorsqu’ils l’utilisent. Considérons l’exemple de la BBC qui ne qualifie pas le Hamas de terroriste. Son rédacteur en chef du service international John Simpson, explique ainsi cette position :

« Le terrorisme est un mot chargé, que les gens utilisent pour désigner un groupe qu’ils désapprouvent moralement. Ce n’est pas le rôle de la BBC de dire aux gens qui soutenir et qui condamner – qui sont les bons et qui sont les méchants. Nous soulignons régulièrement le fait que le gouvernement britannique et d’autres ont condamné le Hamas comme une organisation terroriste, mais c’est leur affaire. Nous organisons également des entretiens avec des invités et citons des contributeurs qui qualifient le Hamas de terroriste. »

La RTBF, elle, explique ne pas craindre d’utiliser ce mot « terroriste » en se basant sur une autre interprétation des faits : "À la RTBF, nous avons choisi d’utiliser ce terme", ajoute Jean-Pierre Jacqmin. "On parle d’une attaque de civils dans une rave party en Israël. Il s’agit d’actes de terreur. Lors des attentats de Paris, nous n’avons pas hésité à utiliser ce mot. Mettre les mots exacts sur les choses, cela permet au public de comparer les choses. La volonté des combattants du Hamas qui ont attaqué ce week-end était de semer la terreur."

Or, d’après les déclarations du Hamas, l’opération visait essentiellement à détruire quelques bases militaires et à capturer des otages afin d’exiger la libération de milliers de prisonniers palestiniens.

Encore une fois, il ne s’agit pas ici de trancher sur ce qui est vrai et faux, mais de prudence par rapport à l’usage de certains termes surtout s’ils sont quasi imposés par des gouvernements qui trouvent leur intérêt à manipuler les émotions des citoyens.

https://www.rtbf.be/article/guerre-israel-gaza-quels-termes-et-quelles-images-la-rtbf-choisit-elle-d-utiliser-11269746

« Fake news. Désinformation : un enjeu démocratique »

Fort heureusement, les journalistes restent en général attentifs aux fake news et propagandes diverses même si dans l’audiovisuel notamment on entend encore trop d’affirmations manifestement fabriquées et diffusées par des sources étatiques, militaires, para militaires, services secrets et autres. Surtout en cas de guerre. L’exemple de la désinformation et des fake news sur la guerre en Ukraine reste encore à analyser en profondeur.

 

François Debras, docteur en sciences politiques et sociales à l’université de Liège notamment, s’est livré au délicat exercice de vulgariser auprès du grand public les analyses et recherches sur le sujet. Son livre nous propose des définitions claires et des exemples quotidiens de ce que sont les fake news, « créées avec l’intention de tromper et de manipuler un ou des individus. » Et comment on les utilise afin de capter l’attention du public et de le convaincre, y compris en orientant ses choix de vote ainsi que l’a démontré le scandale de Cambridge Analytica.

L’entreprise est d’autant plus facile actuellement que les GAFAM et les réseaux sociaux ne pratiquent pas ou très peu les sélections critiques et analyses que font (ou devraient faire) les médias professionnels. L’auteur explique l’importance de contrôle et de surveillance des algorithmes qui organisent nos échanges sur les réseaux sociaux. Une vigilance d’autant plus essentielle que les IA prennent une grande importance dans l’élaboration de l’information.

Ce qui est fort intéressant dans ce livre c’est la description des techniques de manipulation mentale et la description des biais cognitifs qui aveuglent notre esprit critique.

Comment lutter contre la désinformation ? Ravivons notre esprit critique, notre doute permanent, vérifions les sources, propageons l’éducation aux médias, discutons et participons à des débats constructifs et non polémiques… Ce livre nous y aidera.

- François Debras. « Fake News. Désinformation : un enjeu démocratique ». Coll. Liberté J’écris ton nom. Une édition du Centre d’Action Laïque. https://www.laicite.be/publication/fake-news/

La propagande de guerre

Et pour nous aider à décoder l’information venant de sources « officielles », rappelons-nous les 10 règles de la propagande de guerre, décrites par Anne Morelli :

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- Nous subissons très peu de pertes, les pertes de l'ennemi sont énormes
- Les artistes et les intellectuels soutiennent notre cause
- Notre cause a un caractère sacré
- Ceux qui mettent en doute la propagande sont des traîtres


- Anne Morelli, Principes élémentaires de propagande de guerre, éd. Labor, Bruxelles, 2001, 2006.

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