« Petits Blancs, vous serez tous mangés »

Une édition originale

Par | Penseur libre |
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Mzee Laurent-désiré Kabila fut assassiné le 16 janvier 2001, quarante ans après l’assassinat de Patrice Emery Lumumba, le 17 janvier 1961. https://www.afrik.com/rdc-laurent-kabila-et-patrice-lumumba-les-congolai...

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Premier acte 1960

Mon expérience est celle du temps long, celui de la décolonisation, processus historique, non désiré ni anticipé par le colonisateur qu’il soit belge, français, anglais, portugais, ou hollandais. Colonisateur qui n’a jamais compris ou admis qu’il avait traité les colonisés comme des sous humains noirs, jaunes, métis…

Il ne s’agissait pas seulement de nier leurs identités mais de légitimer les pratiques coloniales les plus brutales d’apartheid généralisé, d’exploitation esclavagiste, de spoliation au nom de la supériorité de la race blanche et de ses intérêts. En échange, nous prétendions leur apporter les bienfaits de notre civilisation chrétienne, de les « libérer de l’Arabe esclavagiste » comme on peut encore le lire sur le fronton du monument aux pionniers belges au Congo dans le parc du Cinquantenaire de Bruxelles. (Le mot arabe à entretemps été effacé au burin !)

Je me rappelle du retour des colons en 1960. Ils se sentaient et se présentaient tous victimes et injustement spoliés de leurs bons droits et de leurs biens. Patrice Lumumba était un traitre et pour un grand nombre d’entre eux, il fallait soutenir la sécession katangaise. Mobutu, autoproclamé général allait très vite rassurer les Occidentaux dont les Belges, et ouvrir la voie au néocolonialisme bienfaiteur pour sa propre cassette. Les avoirs de Mobutu dans les banques du régime d’apartheid en Afrique du Sud ont été évalués par la commission des biens mal acquis à près de 15 milliards de $.  Car pour pouvoir poursuivre l’exploitation coloniale en l’absence de l’administration belge et sans l’omniprésence territoriale des colons, il fallait assassiner Lumumba et s’assurer de la mansuétude d’un pouvoir corrompu. Pour le vernis, « l’Œuvre coloniale », jusqu’alors assurée par les bons pères blancs, scheutistes ou jésuites, sera relayée par les ONG et l’envoi de coopérants. Nos jeunes allaient, en remplacement de leur service militaire, « consacrer » deux ans de leur vie à la coopération outre-mer pour, disait-on à l’époque, combler le retard de développement. Dès 1970, on chiffra même l’effort à consentir pour y parvenir. Il s’agissait de consacrer 0,75% du produit intérieur net des Etats du nord et on y arriverait. Mais voilà jamais, même pas aujourd’hui, on ne fit cet effort.

Remarquez que ce fut une chance dans la mesure ou très vite nombre de ces jeunes arrivés sur place ont ouvert les yeux sur le rôle qui leur avait été assigné, consistant à donner l’image de la bonne disposition occidentale vis-à-vis des Africains tandis que le business et l’exploitation reprenaient leurs droits. Ils rentrèrent en Europe et témoignèrent du mal développement dont étaient victimes les Africains, du racisme toujours omniprésent. Ils allaient très vite dénoncer le fait que pour chaque franc consacré par l’Etat à « l’aide au développement » il en remontait quatre vers les holdings et banques du Nord. Ils contribuèrent à montrer que le roi était nu et que les principales causes du sous-développement trouvaient leurs sources dans le Nord et la poursuite de l’exploitation néocoloniale.

Ce discours du 0,75 a les dents dures, notre gouvernement n’a-t-il pas inscrit dans sa déclaration de 2020 qu’en matière de coopération au développement, il allait tendre vers cet objectif. Nous sommes plus de 50 ans plus tard ! Mon ami congolais le professeur Yoka dirait en bruxellois, « en gei geluve dat ».

Trop d’ONG ont contribué à propager le discours fallacieux du « rattrapage » portant en lui le mythe de notre assistance permettant aux Africains de combler leur retard par rapport aux indicateurs de croissance économique occidentaux. Or, par un système bien rôdé de ce que l’on appelle « l’échange inégal », ce sont bien les Africains qui contribuent aujourd’hui encore à notre bien-être. Ne continue t’on pas à présenter le blanc qui se rend dans le Sud comme un coopérant et un noir qui vient en Belgique comme un immigrant.

Deuxième acte 1980

Les bailleurs de fonds confrontés  aux détournements de l’aide par les potentats locaux, jusqu’à récemment mis en place par nos services, et suite aux pressions et aux exigences de rompre les pratiques de donateurs qui liaient l’aide à de multiples conditions leurs assurant un « retour sur investissement » matériel ou politique, il fut confié aux Institution de Bretton Woods le soin d’intervenir en tant que régulateur. C’est ainsi que, début des années 1980, le FMI et la Banque Mondiale furent projetés à l’avant-scène internationale pour s’assurer que les prêts concédés au pays du Sud par la B.M. et les Etats prêteurs soient correctement gérés, c’est-à-dire gérés selon les lois du marché libéré de toutes entraves et surtout que les intérêts de la dette soient payées par priorité aux créanciers du Nord. Entendez par là, mettre fin à toute intervention de l’Etat bénéficiaire notamment pour assurer l’accès des populations aux produits de base nécessaires à leur survie par un contrôle des prix. Les politiques des institutions de Bretton Woods se déclinèrent sous la forme de politiques d’ajustements structurels pour la libéralisation et le respect du libre commerce concurrentiel. Les conséquences furent tragiques pour les plus démunis car les prix des denrées de base explosèrent avec l’endettement croissant de pays comme la RDC et le Rwanda, les contraignant à réduire l’ensemble des services de l’Etat dans les domaines de la santé, de l’éducation et des infrastructures. Conséquence, ces mêmes populations se révoltèrent comme en Tunisie, d’autres entrèrent en guerre, tels le Pérou et la Bolivie. Toutes les populations du Sud subirent une perte de leur bien-être sans précédent.

J’ai démontré avec mon collège le Professeur canadien Michel Chossudovsky que les ajustements structurels appliqués au Rwanda sont l’une des causes principales de la paupérisation des populations rwandaises, ce qui contribua à la mobilisation des Hutus contre les Tutsis. Il fallait bien désigner un coupable de ces coupes budgétaires et du mal-être des populations. Le génocide qui frappa les Tutsis en 1994 se préparait depuis 1990 et est aussi partiellement la conséquence de l’aveuglement des ONG, des bailleurs de fonds belges et internationaux qui s’obstinaient à soutenir le pouvoir gangrené du président rwandais Habyarimana. Ce génocide, le crime des crimes, s’est préparé et déroulé sous les yeux et avec la complicité de toute la communauté internationale mais elle refusa d’en tirer les leçons quant à ses manquements graves. Rien n’y fit, on relança la coopération - as usual - alors qu’elle s’était elle-même totalement discréditée aux yeux de nombre d’Africains. En Afrique Centrale, il en résulta une série de conflits régionaux les uns plus dramatiques que les autres. Même l’intervention de l’ONU et l’envoi de 15.000 casques bleus dans l’Est du Congo s’avéra un échec retentissant dont le bilan reste à faire alors que près 6 millions de femmes, enfants et vieillards y ont trouvé la mort depuis 1994.

Est-ce à dire que rien n’a été fait pour contrer cette descente aux enfers ?

Non, car des personnalités européennes comme Claude Cheysson et Edgard Pisani, responsables au sein de la Commission Européenne des relations avec les pays du Grand Sud, tentèrent avec le soutien de nombreuses ONG progressistes de presser l’Europe de revoir ses politiques de coopérations avec l’Afrique. E. Pisani obtient même que se tienne une assemblée générale spéciale des Nations Unies sur l’Afrique. Leurs propositions avant-gardistes qui donnaient priorité au respect de règles d’un développement endogène et rural ainsi qu’à la sauvegarde de la biodiversité, des forêts et du milieu, furent saluées par l’Afrique et l’ONU mais ne résistèrent pas aux appétits jamais assouvis des grandes entreprises extractives présentes au Congo, ni aux règles macroéconomiques imposées par la BM et le FMI.

Troisième acte 2000

On est à l’A.G. de l’ONU. Tous, je dis bien tous les Etats s’engagent à l’aube du nouveau millénium à faire un saut quantitatif et qualificatif pour aider les pays en voies de développement à réduire de moitié l’extrême pauvreté et la faim endéans les 15 années à venir. Ils s’engagent, dans le même temps, à assurer à tous les enfants, garçons et filles, un cycle complet d’études primaires, promouvoir l’égalité des sexes, assurer l’accès à l’eau potable et un environnement durable. L’effort est une fois de plus chiffré et il faut pour ce faire mobiliser 60 milliards de $ annuellement. Malheureusement, les promesses feront long feu et si la Chine et l’Inde n’avaient pas à elles deux fait de réels progrès, l’ONU et ses membres se seraient ridiculisés et une fois de plus rendus coupables de non-assistance à personnes en danger de mort. Par contre on trouvera, dans l’urgence en décembre 1989 aux Etats Unis et en Europe, les 4.000 milliards indispensables pour sauver le système bancaire international de la faillite suite aux malversations et manipulations autour de ce que l’on a appelé pudiquement la crise des Subprimes.

 Au même moment, au Congo, ce sont la Banque Mondiale, les tenants des fonds de pension, des grandes banques et des multinationales qui dictent leurs conditions aux acteurs politiques et économiques selon des conceptions ultra libérales portées par l’OMC, l’Organisation mondiale du Commerce, sous le contrôle du FMI. Le peuple congolais lui est resté au bord de la route.

 Ces mêmes conditionnalités seront imposées aux relations des Européens avec l’Afrique. Les ONG largement dépendantes des subventions publiques de la Belgique, de l’UE, de la B.M. se retrouvent donc elles-mêmes, petit à petit, assujetties à une conception mondialisée de la coopération. S’y ajoute depuis peu le fait que la Chine et la Russie sont entrées en concurrence avec les Occidentaux en Afrique et en particulier au Congo devenu un nouveau lieu de confrontation Est-Ouest.

Lorsqu‘en 1997, Laurent Désiré Kabila, le tombeur de Mobutu, prend le pouvoir, son ambition est de permettre aux Congolais d’assurer eux-mêmes leur développement. Pour ce faire, il crée un ministère du Plan et prône la décentralisation provinciale. Ils retissent aussitôt un réseau avec les pays africains amis en comptant sur ses bonnes relations avec les pays de l’Afrique Australe et du Sud où il est resté en contact avec de nombreux leaders anticoloniaux. Très vite, les Occidentaux et leurs complices comprirent le risque que cela représentait pour leurs intérêts. L.D. Kabila m’a averti en décembre 2000 que ses jours étaient comptés et le 16 janvier 2001, il tombait sous les balles d’un jeune kadogo. Il subissait le même sort que Salvador Allende, président du Chili, le 11 septembre 1973 et que Thomas Sankara, président du Burkina Faso le 15 octobre 1987, …. Et ce, pour les mêmes motifs :  dénoncer et déconstruire le néocolonialisme spoliateur et construire une société plus juste et redistributrice pour le peuple. Ces suppressions criminelles s’inscrivent en continuité de l’assassinat de Patrice Lumumba.

Quatrième acte 2022

On peut dès lors se poser la question de savoir si, en dehors des discours de repentance du Roi pour les crimes commis durant la période coloniale et les excuses du Premier ministre pour l’assassinat de Patrice Lumumba, il ne faut pas soutenir avec force les paroles du Docteur Mukwegue adressées au Roi Philippe de Belgique. Le docteur demanda au Roi et au Premier ministre De Croo que la Belgique intervienne pour « mettre fin à la crise entre la RDC et le Rwanda afin que le Rwanda arrête son soutien aux rebelles du groupe M23 qui provoque des massacres horribles, des déplacements forcés de populations, des viols et violences de toutes sortes ». Panser les plaies du passé, c’est bien ! Dira Mukwegue, mais c’est aux plaies du présent qu’il y a lieu de s’attaquer et la guerre est la pire des plaies à cette heure. La seule réponse connue à ce jour en Belgique est l’appel de la ministre de la Coopération à l’apaisement ! L’urgence pour les Congolais c’est que nous obtenions la fin de cette guerre dans l’Est du Congo qui épuise le pays tout entier. Tous nos moyens devraient être mobilisés pour y parvenir. (1)

Nos futures relations avec le Congo et l’Afrique seront jugées à l’aune de notre volonté de tout entreprendre pour mettre fin à ces massacres car la vie d’un Congolais vaut autant que celle d’un Ukrainien, disait encore Mukwegue. Osons et sachons y mettre les moyens. Acceptons que les Africains ont autant besoin que nous de la coexistence entre égaux, les mêmes droits à la paix et au bien-être, au partage des savoirs et à celui de pouvoir disposer des formidables ressources de leur pays pour assurer leur avenir et participer à celui de l’Afrique. Comprendre cela et l’appliquer nous permettra de réviser nos modèles désuets et iniques de coopération. C’est probablement aussi la seule manière de nous faire pardonner un passé auquel ressemble encore trop le présent.

Ce que j’observe aujourd’hui sur le continent africain, ce ne sont plus des attentes envers les donateurs du Nord, mais une profonde méfiance, voire une détestation de nos postures européennes hypocrites.

Ils savent et apprennent comme nous que la Méditerranée est devenue le plus grand cimetière du monde pour celles et ceux d’entre eux qui, pour nourrir leur famille, tentent de rejoindre l’Europe. Ils sont en relation avec celles et ceux qui en Afrique mais aussi en Inde, en Amérique latine ont compris que la croissance dont nous avons bénéficié s’est faite à leur dépens. Ce qui est en train de se générer, de se préparer, c’est une deuxième phase de la décolonisation, une rupture sans précédent avec nos représentations, nos modèles, nos prétentions. Il est trop tard pour dire nos regrets ou pour demander pardon, car nous aurons tôt ou tard à rendre des comptes et à accepter - ou pas - que le temps de la suprématie blanche est terminé ou vit ses dernières heures historiques. Il nous appartient donc de choisir si nous allons nous accrocher à nos privilèges, à la croyance en « Occident vaincra » promue par l’Otan et les marchands de canons ou si nous sommes capables de construire ce nouvel internationalisme pacifique que représente déjà l’altermondialisme, de soutenir et de nous associer aux remarquables mouvements populaires que sont les grands mouvements des paysanneries du Grand Sud, les mouvements de préservation des forêts primaires et des nappes phréatiques indispensables à leur survie comme de la nôtre, des mouvements populaires de femmes en révolte contre les discriminations et aliénations dont elles sont victimes, des mouvements antiguerres et de ceux qui se battent contre le racisme, le colonialisme et le capitalisme prédateur. Seule cette coopération-là est susceptible de construire un autre monde, celui du respect de la dignité de l’ensemble des membres de notre humanité et donc des Congolais et des Africains.

« Debout Congolais, unis par le sort, unis par l’effort pour l’indépendance. Dressons nos fronts longtemps courbés, et pour de bon prenons le plus bel élan pour la paix. » (2)

       (1) Lire ici la lettre adressée au Roi Philippe par les ONG progressistes congolaises à la veille de son arrivée à Kinshasa: https://www.entreleslignes.be/humeurs/les-indign%C3%A9s/pour-la-paix-et-...

(2) Extrait de la première strophe de l’hymne national congolais.

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- Le titre de cet article est celui d’un livre de Jean Chatenet, paru au Seuil en 1979. « Petits Blancs est devenu un classique de l’Afrique francophone, et reste le livre de chevet de bon nombre d’expatriés. », dit l’auteur au cours d’une interview.

 

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