« Love » n’est pas « like »

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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« L’important, c’est la rose… » Saint-Valentin ou pas. Photo © Gabrielle Lefèvre

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Reçu dans ma boîte à lettres: «L’amour, c’est… partager ton amour pour McDonald’s». «Et ce qui donne des ailes à l’amour, c’est quand tu reçois 10€ de réduction sur ta commande McDelivery» via Uber Eats. Code MCDLOVE»

Quel beau portrait de l’amour ! D’abord, qu’est-ce que McDonald’s sinon une (mauvaise, mais tout est question de goût) caricature de la restauration rapide qui nous force à nous adapter aux rythmes insensés imposés par le « management » du travail piloté par des gestionnaires de « ressources humaines » qui ne connaissent même plus leur personnel forcé de travailler chez lui en rotation les uns avec les autres. Mais pas de problème : cette restauration peut être livrée directement chez nous par commande numérique sur des plateformes utilisant de pauvres forçats du travail, dont beaucoup sont sans papiers et exploités par des « ayant papiers » un peu moins pauvres au profit de managers de plateformes qui, eux, ne sont pas pauvres du tout, certains, d'ailleurs, font s’évader leurs confortables revenus dans des paradis fiscaux bien connus de tous et tolérés par nos gouvernants mondiaux.

Pourtant, il n’est pas très « lovely » ce spectacle de cyclistes Uber ou Delivero sur les pavés glissants du centre-ville dans une pluie glacée, pour quelques maigres euros… On se retrouve aux 18ème et 19ème siècle avec les gamins miséreux chargés de toutes sortes de petites besognes pour quelques pièces qui les empêchaient de mourir de faim mais pas d’alimenter les bandes de pauvres se servant sur la bête de la révolution industrielle (relisons Charles Dickens). Il n’y a plus de bandes de pauvres agressant les riches dans nos rues, mais un bataillon de pauvres enroulés dans des couvertures, vaguement protégés par des cartons ou des tentes en nylon pour les plus débrouillards d’entre eux. Des pauvres exclus du système qui n’ont même pas un logement, un ordinateur ni même un compte en banque. D’ailleurs, l’argent liquide n’existe presque plus, les banques nous veulent tous « numérisés » donc sous leur contrôle total (Voyez ou revoyez le magazine Investigation de la RTBF, dernier en date).

Voilà donc des milliers de personnes qui n’existent plus aux yeux de cette société du « love » où le plus important c’est la Saint-Valentin et ses artifices amoureux sans oublier de fêter ce jour- là notre chien ou notre chat adoré. So lovely, so cute… Si, si : c’est une vraie pub qui circule sur nos ondes radio. Le Valentin ainsi sanctifié par le commerce à la mode anglo-saxonne doit se retourner dans sa tombe, mais a-t-il réellement existé ? En effet, la Saint-valentin n’est plus reprise dans le calendrier liturgique des fêtes religieuses. C’est un pur produit commercial venu de Grande-Bretagne et des Etats-Unis (comme Halloween, d’ailleurs).

Dans ce contexte, on comprend mieux les propos du président du PS, Paul Magnette, qui veut mettre fin au commerce numérique créateur de précarité et tueur du petit commerce de proximité. Il défend ce petit monde de magasins, de bistrots, de restaurants, de boutiques, qui tente de vivre dans la réalité de tous les jours, dans les relations humaines véritables, dans le respect des droits des travailleurs. Aux communications individuelles, il oppose l’esprit de « communauté », non pas fermée sur elle-même mais ouverte aux différences existant dans les quartiers où l’on se connaît, où l’on bavarde, où les amoureux s’embrassent sous l’arbre dans un parc tandis que les enfants reviennent de l’école et que les promeneurs âgés se reposent sur un banc.

Le commerce numérisé n’a qu’à payer ses travailleurs au juste tarif pour leur labeur. Soutenons donc les luttes syndicales car leur combat est celui de nous tous pour notre protection à tous. Les amoureux se posent-ils la question des conditions de travail imposées à ceux qui cueillent et conditionnent pour nous les millions de bouquets de roses rouges envoyés à grand frais d’Afrique vers la Hollande et qui sont achetés par les amoureux pour leurs amoureuses ?  Il est piquant (!) de souligner que la rose rouge au poing est l’emblème du socialisme.  

Que nous disent ces pubs de plus en plus bêtes, infantilisantes, envahissantes et qui séduisent tant les plus jeunes ? Que les mots n’ont plus aucun sens ou du moins plus leur sens réel, que le plaisir fugace et factice est de l’amour, que mon plaisir prime sur le bien-être des autres, que la liberté est le mienne et tant pis pour celle des autres car « je le vaux bien ! »…

Le mot « liberté » étant ainsi galvaudé, il devient le slogan des plus égoïstes, égocentriques, communautaristes et sectaires tendance extrême-droite ou libertariens à l’américaine, qui ont bloqué les rues d’Ottawa récemment mais aussi les rues de Bruxelles certains dimanches. Leur philosophie ? Chacun pour soi. En oubliant qu’on ne vit sur cette terre que par et avec les autres, ceux qui cultivent la terre, qui bâtissent les villes, pavent nos rues, fabriquent nos vélos et nos chemins de fer, entretiennent la distribution de l’eau et de l’énergie, nous soignent dans les hôpitaux, enseignent dans les écoles pour tous, conduisent nos bus et nos trams, etc.

Ma liberté de vivre c’est à eux que je le dois. C’est avec eux que je dois gérer notre « vivre ensemble », base de ma survie. C’est cela la démocratie.

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Love, ce n’est pas « like ». Love c’est créer la solidarité, c’est respecter les différences mais avant tout respecter notre socle commun des droits humains.

  • Toujours dans ma boîte à lettres : « La nourriture coûte de plus en plus cher. La pauvreté augmente. Mais en soutenant les banques alimentaires. Vous soulagez la faim. » Appel à un don de 25 € (le prix d’un beau bouquet de roses…) par la Fédération Belge des Banques Alimentaires dont le slogan est « nourrir la solidarité ». www.foodbanks.be
  • Et encore : « La lèpre résiste. Abigaëlle aussi ! Ensemble pour un monde sans lèpre. Par Action Damien. www.actiondamien.be
  • Et cette demande de soutien à des réfugiés afghans que la Belgique ne veut pas reconnaître alors qu’ils sont demandeurs d’asile depuis des années et travailleurs chez nous. Et bien d’autres demandes d’aide qui nous rappellent les inégalités existant dans le monde. La réponse ne peut pas être uniquement la charité mais bien la solidarité dans le combat pour les droits humains.

 

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