L’allocation universelle : une « illusion dangereuse »

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Une caricature illustrant la loi de Speenhamland.

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L’idée est revenue en force à l’occasion de la campagne électorale française et l’avènement de Benoît Hamon,  wonder boy du socialisme vert : « Parce qu’il est trop souvent synonyme de souffrance et de perte de sens, nous voulons refonder notre rapport au travail. Nous défendons un travail choisi et non plus subi, un travail partagé et dont la valeur dépasse la seule contribution au PIB. C’est ainsi que nous répondrons au défi de la raréfaction du travail et de la révolution numérique. Nous voulons en finir avec la précarité, et donner la possibilité à tous de s’émanciper et de s’engager librement dans l’activité qui répond à ses aspirations. C’est pourquoi nous créerons le Revenu Universel d’Existence, protection sociale du XXIème siècle. »

La belle utopie que voilà. Séduisante, joliment libertaire, simple comme tout. Mais voilà : une utopie qui contrairement à ce que croit Benoît Hamon fait le jeu du capitalisme libéral débridé dont nous subissons aujourd’hui les exactions.

Au fil des publications très nombreuses qui accompagnent ce débat, voici une plongée dans l’histoire qui nous ramène aux fondements de la réflexion sur le travail : la souffrance des travailleurs et des pauvres.

L’histoire se déroule, en Grande-Bretagne, entre 1795 et 1834. Face à la montée de l’économie marchande, la pauvreté des populations agricoles croissait. Les notables imaginèrent une sorte de « droit de vivre » à savoir  un revenu minimum aux pauvres, indépendamment de leur travail. Ils devenaient des « salariés » par leur paroisse, et exclusivement à cet endroit. C’est la loi de Speenhamland qui établit cette allocation, indexée sur le prix du pain (ou du blé) et sur la taille de la famille à prendre en charge. Il complétait le salaire lorsque celui-ci ne suffisait pas à assurer l'existence du travailleur. C’était donc un système de secours qui permettait aux travailleurs de ne pas mourir de faim et surtout, aux propriétaires terriens de bénéficier de main d’œuvre suffisante au moment voulu. Que firent donc les employeurs ? Ils baissèrent les salaires puisque les fonds publics compensaient le risque de misère des travailleurs. De plus, ils n’employaient pas les autres travailleurs qui avaient un peu de ressources et donc ne bénéficiaient pas de cette allocation. Sans travail, Ils sombraient à leur tour dans la misère.

Une catastrophe sociale qui inspira Karl Marx et Friedrich Engels dans leurs analyses de l’économie capitaliste industrielle et l’apparition du salariat britannique dans les conditions terribles que l’on connaît.

"L'abolition de Speenhamland fut le vrai acte de naissance de la classe ouvrière moderne ... quoi que leur réservât l'avenir, ce fut ensemble que classe ouvrière et économie de marché apparurent dans l'histoire", résume l’économiste Polanyi, en 1944. Ce fut aussi l’apparition du rôle de l’Etat-Nation qui gère le salariat et donc la perpétuation de l’économie capitaliste.

L’histoire est éclairante ! A cette lumière, on comprend mieux l’argumentation très fouillée des auteurs du livre « Contre l’allocation universelle » : Matéo Alaluf, professeur de sociologie à l’ULB, Daniel Zamora, postdoctorant en sociologie à Cambridge et à l’ULB, Jean-Marie Harribey, économiste à l’Université Bordeaux IV, membre d’Attac et des Economistes atterrés et Seth Ackerman, doctorant en histoire à l’Université Cornell.

Quatre analyses, quatre réflexions passionnantes sur l’histoire et la genèse de cette idée néolibérale, que l’on présente comme une solution au chômage et qui nous obligent à repenser la notion de travail, de valeur et les revenus. En réalité, cette utopie constitue un adieu à l’Etat social, la perte des droits des individus. Citons Matéo Alaluf : « Remplacer le droit à l’emploi par un droit à un revenu aurait pour effet d’institutionnaliser l’exclusion d’une fraction de la population de la sphère du travail. » « Il signerait aussi l’abandon d’une tendance séculaire à la diminution collective du temps de travail au profit d’une illusion dangereuse qui légitimerait une régression sociale considérable. L’allocation universelle conduit à confier les fonctions collectives (protection sociale, régulation des rapports de travail et services publics) au marché. »

« Il revient maintenant et de manière urgente à la gauche d’imaginer l’Etat social au temps de la mondialisation », conclut Matéo Alaluf.

 

Solidarité, disent les associations citoyennes

Voici les 8 revendications portées par un collectif français des associations citoyennes et qui pourraient inspirer la gauche, en France mais aussi en Belgique:

- L’accès de tous à un travail décent et digne, correctement payé. C’est la lutte contre les inégalités. Le recul de la précarité et de la pauvreté nécessite l’abrogation de la loi travail et des dispositions multiples qui ont fait reculer le droit du travail, pour aller vers des droits universels étendus sur le plan du travail, de l’emploi, de la protection sociale et de l’égalité entre les femmes et les hommes.

- La revalorisation des salaires et la suppression des inégalités salariales envers les femmes dont le salaire est encore 27% inférieur en moyenne à celui de leurs collègues masculins à qualification égale, et la diminution du temps de travail pour dégager du temps pour participer à la vie de la cité.

- La revalorisation des minima sociaux, versés sans démarches vexatoires à ceux qui en ont besoin, avec des accompagnements sociaux pour réduire fortement le pourcentage de ceux qui renoncent à bénéficier des aides auxquelles ils ont droit.

- Le remboursement à 100 % par la Sécurité Sociale des frais maladie implique un débat avec les mutuelles sur leur rôle dans ce cadre. Il s’agit de s’engager vers l’universalité de la protection sociale.

- L’urgence à engager une transition écologique et sociale qui, selon l’économiste Jean Gadrey, permettrait de créer chaque année des centaines de milliers d’emplois ayant du sens, en quittant le productivisme et en prenant soin des humains, de la nature et du lien social, à l’opposé du rêve de certains d’une robotisation généralisée.

- Une réforme en profondeur de la fiscalité est centrale pour inverser la tendance actuelle à l’accroissement des inégalités, en incluant dans celle-ci à la fois la taxation de toutes les formes de revenus du travail du capital et la lutte contre l’évasion fiscale, qui représente 80 milliards par an.

- Cela n’exclut pas la perspective d’un revenu qui serait conçu comme le droit pour chacun de bénéficier des fruits de la terre et du travail commun, dans une perspective de mutualisation. Ce droit serait en particulier inaliénable pour ceux qui ne disposent pas de revenus suffisants, qui ne peuvent pas ou ne peuvent plus travailler, qui remplissent des tâches nécessaires à la société mais non rémunérées. Cette perspective est déjà celle de la République depuis 200 ans. Elle a guidé le principe de l’impôt progressif, des retraites par répartition, des allocations familiales, de l’allocation handicap, etc.

- Les associations jouent un rôle essentiel dans le domaine social sur le plan des services aux personnes, de la gestion d’établissements, du travail social, du lien social, de la défense des droits, de l’éducation populaire. Leur financement, la préservation de leur indépendance vis à vis du marché et des puissances financière sont essentielles. Il faut revoir les politiques de diminutions des subventions et des aides. Celles-ci ne représentent pas des coûts mais des investissements sociaux sur le moyen et long terme.

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