"La gauche est toujours une morale"

Les calepins

Par | Penseur libre |
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Samedi 1er avril

 Après un tour d’horizon des différents canulars révélés par les médias, on comprend la position des journaux norvégiens et suédois qui ont décidé de ne plus diffuser une information sous la forme d’un « poisson d’avril » : plus rien, désormais, n’est perçu comme invraisemblable. Deux repères pour méditer toutefois cette constatation : en 1962, la télévision française avait bâti un reportage de poisson-d’avril en inventant que la circulation automobile serait limitée à Paris, en faveur d’un développement de la mobilité par la bicyclette. Tollé chez les habitants de la capitale. En 1967, cette même ORTF avait annoncé qu’il serait interdit de fumer dans les lieux publics. Autre tollé spectaculaire à l’antenne sur le thème de la privation de liberté.

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 Présidentielle française. Attention aux mirages ! Il y a toujours 50 % des électeurs qui savent qu’ils iront voter mais qui ne savent pas encore pour qui. Arithmétiquement, cela peut modifier tous les sondages et chambouler tous les pronostics.

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 Chaque semaine, Courrier international propose une revue de la presse étrangère observant la campagne française. On se retrouve souvent dans le tragi-comique. Ainsi, l’annonce de Valls signalant qu’il va voter pour Macron, vue par le  Süddeutsche Zeitung de Munich : « Ce câlin de plus semble écraser Macron. »

Dimanche 2 avril

 Le gouvernement espagnol ne s’opposera pas à la demande de l’Écosse si celle-ci, ayant acquis son indépendance, sollicitait son adhésion à l’Europe. On en conclut donc que Madrid ne craint pas l’effet-domino et ne sent pas la Catalogne embrayer vers la quête de l’autonomie. Il est vrai que l’indépendance écossaise ne résulterait pas d’une hypertrophie de revendications régionales mais, au contraire, d’un besoin de rejeter le divorce du Royaume-Uni d’avec l’Union européenne. L’Histoire n’est jamais écrite à l’avance.

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 Le Journal du Dimanche consacre ses trois premières pages à Jean-Luc Mélenchon, le seul intellectuel de tous les candidats, et cite Jean d’Ormesson : « Mélenchon recèle une poésie épique. Il est très cultivé et extraordinairement éloquent. Il est le seul candidat lettré de cette élection. Si vous discutez de Pascal, de Bossuet, ou d’Hugo avec lui, vous ne vous ennuyez jamais. » Diantre ! Jean d’O. serait-il devenu gaga ou virerait-il de bord au soir de sa vie ? Nenni. Il ajoute : « Mais je ne peux pas voter pour lui ; je ne partage aucune de ses opinons. » Ouf ! Au Figaro, on préparait déjà les mouchoirs…

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 Le JDD consacre aussi une page à Cédric Lewandowski, « omnipotent bras-droit de Jean-Yves Le Drian », ministre de la Défense, « le seul directeur de cabinet à avoir traversé le quinquennat ». Si le portrait que dresse François Clemenceau n’est pas exagéré, il n’y a pas de doute possible : en cas de victoire de Macron, cet homme occupera encore l’Hôtel de Brienne mais cette fois, en succédant à son patron.

Lundi 3 avril

 François Fillon a vraiment un problème avec l’argent. Le voilà qu’il confie aux journalistes de BFM-TV qu’ « il ne parvient pas à mettre de l’argent de côté » !

Aussitôt, Libération ironise sur son site en précisant qu’il touche en ce moment 23.000 euros par mois (tout à fait correctement, bien entendu). Cet homme, au demeurant compétent, qui défend un programme intelligemment charpenté, cultive l’art de se tirer des balles dans le pied. On murmure que Sarkozy est déjà en embuscade, et que c’est même lui qui l’aurait encouragé à poursuivre son chemin de candidat. Cette droite hautaine est diabolique.

Mardi 4 avril

 John Major, ancien Premier ministre britannique, estime que les eurosceptiques soutiennent Theresa May dans ses négociations de sortie de l’Union européenne mais qu’ils finiront par l’abandonner. C’est fort possible et même probable, une attitude caractéristique des élus d’extrême droite : du courage et de l’allant pour foutre le bordel, de la lâcheté pour en assumer les conséquences.

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 Et François Fillon continue, lors de chaque meeting quotidien, de rassembler des milliers d’enthousiasmes. Cahuzac sur scène il ne tiendrait pas 30 secondes avant que les tomates ne l’atteignent. Il ne faut pas se plaindre que l’on tolère plus de malhonnêtetés aux gens de droite qu’aux gens de gauche. C’est la preuve, quoi qu’on en dise, et malgré les brebis galeuses, que la gauche est toujours une morale.

Mercredi 5 avril

 L’ONU est en émoi. Son Conseil de Sécurité, très tendu, vacille sous la position de la Russie qui refuse de condamner Bachar al-Assad pour l’utilisation d’armes chimiques tuant une centaine de civils dans des douleurs atroces. Ce salaud a éliminé environ 300.000 personnes appartenant à son peuple et tout à coup, on voudrait l’exécuter. Certes, en termes statistiques, le chiffre est banal, mais la manière est pour le moins répréhensible. La représentante des Etats-Unis est virulente et menace d’intervenir, de faire elle-même la loi. Qu’elle n’oublie pas que dans cette même enceinte, il n’y a pas si longtemps, le porte-parole de George W. Bush essayait de faire croire à ses collègues que Saddam Hussein possédait des armes de destruction massive. Il ne les utilisait point, mais il les avait… En réalité, il ne les utilisait point parce qu’il n’en avait pas… Bachar, lui, il en a et donc il les utilise, avec la bénédiction de l’Iran et de la Russie.

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 De la pure politique-spectacle. Tout le monde est d’accord pour admettre que le débat des 11 candidats suivi par plus de six millions de téléspectateurs sur BFM-TV n’a rien apporté de transcendant. Comme ceux des primaires, les débats de ce type, sous le prétexte d’une action démocratique, faussent les échanges et diluent les objectifs de chacun. Ça suffit ! Il n’appartient pas à la télévision d’élire le président de la République. Le face-à-face des deux qualifiés pour le second tour ne doit pas être précédé d’autres joutes, déviant les enjeux.

Jeudi 6 avril

Donald Trump a donné l’ordre de détruire la base aérienne de Bachar al-Assad d’où sont partis les avions qui ont largué des bombes chimiques, tuant une centaine de personnes civiles dont de nombreux enfants de manière atroce. Amorce d’une guerre étendue aux grandes puissances ou simple coup de semonce ? C’est la question que le monde se pose, mais c’est d’abord la question que le Congrès américain se pose, disposé dans sa majorité à l’extrême prudence après l’échec irakien et les incertitudes qui planent sur le comportement du président.

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 On attendait Emmanuel Macron à la grande émission politique de France 2. Serait-il moins vague ? Tiendrait-il la distance ? Il accomplit une prestation remarquable, pleine d’assurance, de précision, de confiance et, on peut même le souligner, de courage. Pour autant, rien n’est gagné. Il le sait.

Vendredi 7 avril

 Le 21 août 2013, Bachar al-Assad avait déjà utilisé des armes chimiques afin d’éliminer des centaines d’habitants de la banlieue de Damas. Ce triste épisode de la guerre civile syrienne restera dans l’Histoire sous l’appellation "Massacre de la Ghouta". En ce temps-là, François Hollande avait pris l’initiative de l’empêcher de nuire davantage. David Cameron et Barack Obama, qui l’avaient suivi, se rétractèrent et le président français avait du même coup dû abandonner la riposte qu’il avait envisagée. On en connaîtra peut-être un jour la raison des volte-face britannique et américaine. Des milliers de vie auraient pu être épargnées tandis que le tyran aurait été mis hors d’état de nuire. Muselé par le prix Nobel de la Paix qui lui fut décerné au début de son premier mandat, Obama ne prit pas ses responsabilités, ne voulant pas apparaître comme ses prédécesseurs, le gendarme du monde. Trois ans et demi ont passé. Le gendarme du monde est, craint-on, désormais un Docteur Folamour ; la Russie, l’Iran et la Turquie ont occupé le terrain aux côtés du sanguinaire syrien, et le monde est plus instable. On ne se souviendra bientôt plus que François Hollande fut le plus prompt à interrompre le carnage et à éviter une éventuelle escalade, un embrasement toujours possible. Notons par exemple qu’à peine connue l’opération de bombardement déclenchée par Trump, Israël publia un communiqué pour s’en réjouir…

Samedi 8 avril

 Les parlementaires démocrates américains soutiennent la réaction de Trump. Sans doute regrettent-ils encore la reculade d’Obama en 2013. Par contre, beaucoup de parlementaires républicains n’approuvent pas leur président. Sans doute se souviennent-ils que l’un des principes fondamentaux de sa démarche de candidat se résumait dans l’expression « America first ! » Sans doute craignent-ils aussi la finalité du geste… Dans son très instructif livre L’Aveuglement. Une autre histoire de notre monde (éd. Taillandier, 2015), Marc Ferro relève : « Le 16 janvier 2012, aux primaires du parti républicain, en Caroline du Sud, un des candidats, Ron Paul, déclara ‘qu’il ne fallait pas que les Américains fassent aux autres ce qu’ils ne voudraient pas qu’on leur fasse à eux : les bombarder et se demander  pourquoi ils sont fâchés contre nous…’ Il se fit copieusement huer et fut pratiquement éliminé de la convention républicaine. »

Dimanche 9 avril

 Pour célébrer le 40e anniversaire de la mort de Jacques Prévert, Europe 1 lui rend hommage et diffuse En sortant de l’école interprété par les Frères Jacques. L’émission se terminera inévitablement par Yves Montand qui chante Les Feuilles mortes. Ce dimanche de printemps est annoncé estival. Difficile de savourer mieux le petit déjeuner.

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 Le risque d’enivrement causé par son raid aérien sur la Syrie est bien réel. Trump a ordonné qu’un porte-avion faisant route vers les mers australes soit dévié vers la péninsule coréenne afin d’intimider l’apprenti sorcier de la Corée du Nord qui n’attend que cela. On peut, afin de se tranquilliser, opter pour une autre explication : Trump aurait mené son attaque en Syrie pour permettre à Poutine de se débarrasser de Bachar devenu vraiment trop encombrant. L’Iran semble du reste inviter le tyran à s’effacer. Comme les loups, les diables ne se mangent pas entre eux.

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 L’ETA rend les armes. L’organisation terroriste basque semble abandonner la revendication armée. Elle indique à la police française huit caches d’armes dans les Pyrénées atlantiques. L’Espagne embraye et l’invite à se dissoudre. C’est mal connaître le sentiment régional qui nourrit la fierté d’appartenance là-bas. Bayonne fait la fête pour célébrer le retour à une vie apaisée, mais la foule ne renie pas pour autant ses origines.

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 Hier, on se rendait aux grands meetings pour prendre connaissance du message de l’orateur-vedette (Lamartine sur les marches de l’Hôtel de Ville de Paris, Jaurès au Pré-Saint-Gervais…) Aujourd’hui, le but est d’être présent, de montrer son soutien aux médias. C’est l’image qui fera le succès. Évidemment, si l’orateur peut lâcher une phrase, une expression qui fait mouche, il entrera dans l’Histoire avec la foule de ses supporteurs enthousiastes. Il y avait 70.000 personnes sur le Vieux port de Marseille pour encourager Jean-Luc Mélenchon ; il y en avait un peu plus de 20.000 à la Porte de Versailles pour applaudir François Fillon. Le talent d’orateur du premier le conduisit à la métaphore déjà utilisée par Jaurès à propos de la braise sous la cendre et que Dominique Strauss-Kahn avait du reste choisie pour bâtir le titre d’un de ses livres. Quant à Fillon, sa phrase qui restera dans l’Histoire fut : « Je ne vous demande pas de m’aimer mais de me soutenir ». On ne sait trop s’il s’agit là d’une supplique de désespoir ou l’expression d’une ultime volonté de rebondir coûte que coûte.

Lundi 10 avril

 Un à deux milliers d’hommes au service de Daech, installés dans un campement retiré au sein du désert du Sinaï, parviennent à déstabiliser l’Égypte pourtant fameusement équipée en forces armées. Deux églises coptes ont été l’objet d’attentats en plein office. Mais aujourd’hui, Daech a même réussi à toucher Israël avec une roquette. Le président al-Sissi décrète l’état d’urgence. Ce sont des symptômes comme ceux-là qui augurent d’une possibilité d’embrasement.

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En cette période de campagne présidentielle, les livres abondent sur le sujet, les acteurs et le lieu qu’ils ambitionnent d’occuper. Bernard Pivot commente L’Élysée, Histoire, Secrets, Mystères, de Patrice Duhamel et Jacques Santamaria (éd. Plon) : « C’est Historia, avec ses Conseils des ministres, ses cohabitations, ses menaces terroristes, ses remaniements, ses visiteurs du soir. Mais c’est aussi Paris Match avec ses arbres de Noël, sa salle des fêtes, ses garden-parties, ses premières dames, ses robes de haute couture, ses photos officielles, ses fastueuses réceptions, ses bourdes… ‘ Désignant le Prince de Galles, fils du roi, qui règnera à partir de 1910 sous le nom de George V, Marie-Louise Loubet demande avec candeur à Édouard VII : « Et ce grand garçon, qu’est-ce que vous allez en faire plus tard ?’ »                                               

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