La drogue, défi à la démocratie

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Par | Journaliste |
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Equateur : une saisie de drogue destinée au porte d’Anvers, en octobre 2021. © Container Controle Programme(UNODC WCO)

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Lecture 7 min.

Le trafic de drogue, qui fait rage jusque dans nos quartiers anversois, bruxellois et autres, est-il un défi lancé aux systèmes démocratiques ? Si l’on en juge par ce qu’il se passe en Equateur et au Salvador, la question s’impose.

Dans Médiapart, le journaliste Romaric Godin décrit la manière dont le jeune président Nayib Bukele a instauré au Salvador un système militaire et policier véritablement autocratique pour réprimer par la force les puissants gangs de trafiquants de drogue qui terrorisent le pays tout entier. La population apprécie puisque le nombre de morts a drastiquement baissé (le taux d’homicide était le plus élevé au monde) et les prisons sont pleines à craquer. Le président a réussi à se faire réélire (avec plus de 82 % des voix) alors que la Constitution lui interdisait tout nouveau mandat. Depuis le 4 février, l’état policier instauré par Bukele fait régner une autre terreur parmi la population, celle des nombreuses arrestations arbitraires. (1)

En Equateur, la situation est différente et la victime de la politique présidentielle contre les narcotrafiquants serait la forêt amazonienne. Le président Daniel Noboa, pourtant favorable à l’arrêt de l’exploitation du pétrole dans la réserve naturelle Yasuni, a désespérément besoin de moyens financiers pour contrer la puissance de ces gangs criminels. Car, situé entre la Colombie et le Pérou, les plus gros producteurs de cocaïne, l’Equateur est devenu une plaque tournante de ce trafic qui empoisonne le monde entier. Il faudrait à l’Equateur un milliard de dollars pour financer cette lutte essentielle pour le pays mais aussi pour nous. (2)

Car toute l’Europe subit la recrudescence du trafic de drogue. En Belgique, les journaux décrivent depuis des années les tentatives de la police et de la Justice de contrer l’expansion des narcotrafiquants, dans le port d’Anvers notamment, et l’installation d’une toxicomanie de plus en plus diffuse dans la société.

« De grâce », « Code Kanun »

Ce qui frappe l’opinion publique, c’est l’extrême violence de ces gangs internationaux où des trafiquants marocains sont liés à des latino-américains, des Italiens, des Albanais, et autres issus des anciens pays de l’Est. Les méthodes utilisées par ces gangs sont celles de la terreur, la torture, le chantage, la corruption… La série télévisée « De grâce » qui vient d’être diffusée par Arte, illustre parfaitement la complexité de cette dramatique situation dans les docks du Havre en France.

Michel Claise, alors juge d’instruction spécialisé dans la criminalité financière, publiait son livre « Crime d’initiés », où il romançait la réalité brutale du trafic de drogue dans les docks anversois. Une manière pédagogique d’initier le public aux réalités complexes et aux quelques victoires de la lutte policière contre cet empire qu’est le narcotrafic. (3)

Récemment, il a publié « Code Kanun », dans lequel il décrit plus particulièrement l’ultraviolence et la soif d’argent des gangs albanais, réputés les plus cruels, les plus implacables trafiquants non seulement de drogue mais aussi d’êtres humains à savoir la prostitution forcée de milliers de jeunes femmes, albanaises mais aussi d’autres nationalités européennes. Le récit est d’autant plus terrifiant qu’il est basé sur des faits réels traités par la justice belge et romancés pour nous rendre accessible cet enjeu fondamental de nos démocraties : protéger les plus vulnérables, leur rendre la dignité.

Drogue et prostitution sont deux fléaux dont sont victimes des jeunes, principalement des femmes dont le sort tragique avait été décrit longuement par la journaliste Hermine Bokhorst, il y a vingt ans déjà. Dans son livre « Femmes dans les griffes des aigles », elle nous expliquait les filières albanaises de la prostitution et nous livrait les témoignages des policiers et des associations belges qui tentaient de venir en aide à ces victimes. (4)

Ce qui est glaçant en relisant ces pages, c’est que la situation semble, depuis, avoir empiré. Nos politiques européennes et internationales anti-drogue et contre le trafic des êtres humains sont toujours en échec face à des groupes super armés. A ce sujet, soulignons les enquêtes qui démontrent qu’une grande partie des armes de guerre livrées à l’Ukraine a été détournée par les gangs actuels, dont ceux qui sévissent dans les rues de Bruxelles. (5)

L’argent, cause du drame et solution

Nos sociétés sont donc confrontées à cette avidité criminelle pour l’argent, à la violence urbaine qui s’accroît, à la traite et l’exploitation d’êtres humains, de plus en plus cruelle.

Pour contrer cela, il nous faut non seulement plus de forces de l’ordre, régies dans le respect des droits humains mais aussi un renforcement des moyens dévolus à la Justice, afin de faire respecter les règles de la démocratie. Financer cela est possible, clame depuis des années le dorénavant ex-magistrat Michel Claise et candidat DéFI pour les prochaines élections fédérales belges. Sur le site de ce parti, il annonce : « De plus, je veux aussi m’engager par rapport à la perte de la démocratie sociale face aux différents impacts des organisations criminelles, la cybercriminalité, le dérèglement climatique, les narcotrafiquants, la contrefaçon, l’escroquerie, le trafic d’êtres humains… »

Si l’on parvient à confisquer l’argent du crime, ainsi que celui de l’évasion fiscale et du blanchiment d’argent, cela permettrait de financer la lutte contre les narcotrafiquants et la traite des êtres humains.

Si toute l’Europe s’attelait à ce défi, au lieu de dépenser encore plus d’argent dans une course à l’armement particulièrement absurde, elle pourrait contrer les filières internationales du crime et aider les pays d’origine des trafics de drogue à y mettre fin. On attend donc une politique d’aide au développement et à la protection de l’environnement plus adaptée aux enjeux de survie de notre planète, à la protection des jeunes et particulièrement des femmes en détresse, capturées dans de cruels réseaux de prostitution.

(1) https://www.mediapart.fr/journal/international/200124/salvador-dans-l-etat-policier-de-nayib-bukele-la-democratie-videe-de-son-contenu

https://www.lemonde.fr/international/article/2024/02/10/salvador-la-large-reelection-du-president-nayib-bukele-officialisee_6215804_3210.html

(2) https://www.novethic.fr/environnement/climat/equateur-pour-lutter-contre-le-narcotrafic-et-les-gangs-le-petrole-pourrait-finalement-ne-pas-rester-sous-terre

(3) https://www.entreleslignes.be/humeurs/anvers-quand-la-drogue-engendre-le-crime/?highlight=Michel%20Claise

(4) Hermine Bokhorst. « Femmes dans les griffes des aigles ». Ed. Labor. Coll.La Noria. 2003.

(5) https://www.grip.org/lukraine-une-nouvelle-source-pour-le-trafic-darmes/

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https://www.lemonde.fr/international/article/2022/07/28/ukraine-les-occidentaux-s-inquietent-de-la-dissemination-des-armes_6136481_3210.html

 

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