Climat : la catastrophe néolibérale

Zooms curieux

Par | Journaliste |
le

L'illustration de l'affiche du Colloque de la Laïcité 2024 a été réalisée par Bruxelles Laïque.

commentaires 0 Partager
Lecture 10 min.

Ce que nous vivons pour l’instant est une catastrophe pour l’humanité mais pas pour la biosphère qui s’adapte, avec ou sans nous, les humains. Sauf si nous imposons la sobriété et la justice climatique.

Ainsi, pouvons-nous résumer le discours de Charles Susanne, docteur en sciences et anthropologue, membre actif du groupe de réflexion humaniste Darwin. (1)

C’était une entrée en matière percutante pour le 35è Colloque de la Laïcité, ce 16 mars 2024 à Molenbeek. (2) Avec l’anthropocène, la capacité de charge de la biosphère est dépassée depuis plus de trente ans. Ainsi que le disait l’ancien président français Jacques Chirac, « notre maison brûle ». Malgré les nombreuses réunions internationales, mondiales même, genre protocole de Kyoto et les COP pourtant très médiatisées, la température de la planète augmente plus que les prévisions l’annonçaient et l’on estime à 7° le dépassement prévu pour 2100. Selon les estimations du GIEC (Groupe d’expertise et de conseil intergouvernemental sur l’évolution du climat), on assiste déjà, même dans nos pays réputés pluvieux, à une succession de périodes de sécheresse et de pluies intenses, qui provoquent de dégâts énormes (incendies, inondations, tempêtes…).

On confond désirs et besoins

« Le village global est en danger », martèle Charles Susanne. A cause de la croissance économique à tout prix où « désirs et besoins sont confondus » dans la publicité qui façonne nos esprits. Et malgré les promesses faites lors des COP successives, jamais on n’a investi autant dans les énergies fossiles : 20 nouvelles méga exploitations ont été commencées, véritables « bombes carbone » mais gros profits pour les industries pétrogazières. « Le monde est dans l’impasse » car il ne faut pas croire en une « hypothétique révolution technologique » qui nous sauverait, pas plus qu’en une évolution sociale, culturelle et sociétale. Il n’y a pas de « solutionnisme » quand les causes sont politiques et que les sociétés sont de plus en plus inégalitaires, que l’ascenseur social est en panne, décrit le conférencier.

Il appelle à un humanisme non dominant, une reconnaissance des droits de tous les humains, des générations futures et l’impérative protection de l’environnement. C’est le concept de « terre patrie », d’Edgar Morin, celle de la fraternité et de la solidarité qui bâtissent les droits « généreux » de l’humanité.

Même les plus riches sont prêts à payer plus d’impôts, rappelle Charles Susanne, si l’on en croit une lettre ouverte signée par plusieurs multimilliardaires à Davos, ces mêmes riches qui constituent 1 % de la population mondiale mais produisent 70 % des gaz à effets de serre.

Sobriété et justice climatique

On ne peut protéger la biodiversité si l’on ne résout les inégalités sociales : éradiquer la pauvreté est urgent. Les pénuries et les pollutions de l’eau sont la menace la plus grave pour l’humanité. L’équilibre de la biodiversité est notre meilleure protection contre les agents pathogènes qui se répartissent dans la multiplicité des espèces vivantes.

Il faut donc appliquer ce fameux « green deal » de la politique européenne, même s’il s’agit d’une transition coûteuse (1.000 milliards d’euros en 10 ans) vers la nécessaire sobriété dans nos modes de vie. Fini le dogme de la croissance, les démocraties devront gérer les pénuries et répartir les ressources encore disponibles dans des sociétés encore trop inégalitaires.

Sobriété et justice climatique sont les maître mots de cette conférence. Charles Susanne souligne les actions de désobéissance civile qui se multiplient dans le monde, notamment contre les multinationales prédatrices. Elles sont la conséquence des critiques du capitalisme y compris vert auquel les jeunes ne croient plus et qu’ils assimilent à du greenwashing.

Bref, « l’écologie bouscule l’humanisme ». Il nous faut « dépasser l’anthropocentrisme qui place l’humain au-dessus de la nature », même s’il s’agit d’un jardin à protéger en passant par dieu, selon les catholiques. « Pour sauver la biosphère, il nous faut changer profondément notre société, notre organisation politique, économique et sociale. Or, pour l’instant, nous colonisons l’avenir, nous privons les générations futures de leur liberté et de leur santé, nous dévalisons nos enfants », insiste Charles Susanne. Il nous faut élaborer une Déclaration universelle des Droits humains intergénérationnelle, pour sauver les générations futures », conclut-il.

Le capitalisme détruit la démocratie

Pierre-Paul Maeter, codirecteur scientifique de ce colloque et ancien président du Service public fédéral Emploi, Travail et Concertation sociale, n’a pu présenter lui-même son analyse du grand coupable de la crise climatique : le néolibéralisme. De son texte, lu en séance, retenons cette accusation : « le capitalisme exploite les femmes, les hommes, la nature au profit des capitaux. Le socialisme réel fait de même au profit d’une bureaucratie dirigeante. » On constate 150 ans de surdité des États, de discrédit, de déni, de disqualification des alertes écologiques et sanitaires. A présent, les pollueurs triomphent, même le « green deal » européen est affaibli, signe du mépris de la droite néolibérale pour l’écologie, ce qui détruit notre démocratie au profit de l’extrême-droite.

Pire ! On a assisté au détournement des colères populaires, notamment celle des agriculteurs étranglés par les dettes, et l’on a vu la violence grandir contre l’écologie et la justice sociale et ce, partout dans le monde. L’Amérique latine, l’Afrique, l’Asie… Partout les défenseurs de l’environnement sont poursuivis, tués même par ceux qui protègent à tout prix le dogme de la croissance, résume Pierre-Paul Maeter.

Rénover la démocratie

Les accords de libre-échange sont hors de portée des démocraties (voyons les remous actuels autour de l’accord Mercosur, et même du Ceta…). La démocratie est une responsabilité citoyenne collective (et non pas de petits gestes genre Colibri). Il nous faut gérer la nature comme un « commun », à savoir des citoyens qui délibèrent pour un retour au collectif grâce à des assemblées citoyennes bien informées. Il nous faut retrouver le sens du travail, de sa qualité, de son organisation, du bien-être du travailleur et arriver à une extension de la démocratie à l’économie et au social. Or, à présent, nous assistons à une subordination du travailleur à l’employeur.

L’État doit accepter la réduction de son pouvoir en garantissant le travail citoyen et le contrôle accru sur les élus dans les intervalles électoraux. Ceux-ci devraient être obligés de rendre des comptes et pourraient être révoqués ou voir limités le nombre de leurs mandats.

Le conférencier rappelle qu’après la guerre, la gestion de la sécurité sociale a été confiée aux interlocuteurs sociaux, que les conventions collectives du travail obligent au dialogue entre travailleurs et employeurs. L’État doit reprendre en main son rôle de contrôle de la finance, veiller à la redistribution au profit de la sécurité sociale, des écoles, des systèmes de soins, de la culture…

Sinon, place à la désobéissance civique, à savoir les citoyens qui prennent soin en commun, face à l’incurie de l’État et qui créent des « zones à défendre » du néolibéralisme.

Une justice « épistémique »

On espère, avec la professeure de philosophie Isabelle Jespers, les citoyens mieux informés. Cela nécessite une « justice épistémique » qui consisterait en un accès équitable de tous à l’information, à l’éducation et à la vulgarisation scientifique. Mais pour acquérir cet esprit critique et éclairé, il est indispensable de rénover le service public que sont nos écoles. Là où les générations futures forgent « les meilleurs outils pour résister aux sirènes de tout dogme liberticide visant à affaiblir la visée démocratique et émancipatrice de l’école. »

(1) « L’aventure humaine. De la spiritualité des premiers mythes aux défis de l’anthropocène ». Ouvrage collectif sous la direction de Charles Susanne et Jacques Vanaise. Groupe de réflexion Darwin. Éditions MeMograMes. 592 p. Arquennes. 2021.

(2) 35e Colloque de la Laïcité. « La crise climatique est-elle soluble dans le néolibéralisme ? ». 16 mars 2024 au Château du Karreveld à Molenbeek. Deux textes de conférenciers sont publiés dans « Molenbeek Laïque », magazine de liaison des Amis de la Morale Laïque de Molenbeek. N° 281, janvier-février 2024.

Pour compléter :

- Le dernier rapport du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) confirme que les inégalités mondiales sont reparties à la hausse. On y constate un affaiblissement structurel de la tendance de développement mondial et une stagnation probable pendant quatre ans.

Les inégalités entre pays riches et pays pauvres seraient revenues au niveau de 2015.

Les pays membres de l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) ont retrouvé en 2023 leur niveau d’IDH (indice de développement humain) de 2019, ce n’est pas le cas de 51 % des pays les moins avancés.

https://hdr.undp.org/system/files/documents/global-report-document/hdr2023-24snapshotfr.pdf

- « Cahier de revendications et propositions pour sortir du maldéveloppement : une première tentative de feuille de route par et pour les mouvements sociaux pour sortir du maldéveloppement.».

https://www.cetim.ch/maldeveloppement-cahier-de-revendications-et-propositions/

Et :

« Le droit au développement ». Une brochure qui présente la Déclaration sur le droit au développement. Accessible sur le site du CETIM :

Il semble que vous appréciez cet article

Notre site est gratuit, mais coûte de l’argent. Aidez-nous à maintenir notre indépendance avec un micropaiement.

Merci !

https://www.cetim.ch/product/le-droit-au-developpement/

commentaires 0 Partager

Inscrivez-vous à notre infolettre pour rester informé.

Chaque samedi le meilleur de la semaine.

/ Du même auteur /

Toutes les billets

/ Commentaires /

Avant de commencer…

Bienvenue dans l'espace de discussion qu'Entreleslignes met à disposition.

Nous favorisons le débat ouvert et respectueux. Les contributions doivent respecter les limites de la liberté d'expression, sous peine de non-publication. Les propos tenus peuvent engager juridiquement. 

Pour en savoir plus, cliquez ici.

Cet espace nécessite de s’identifier

Créer votre compte J’ai déjà un compte