Il n’est pas encore interdit de penser. Mais il est temps.

Humeurs d'un alterpubliciste

Par | Penseur libre |
le

extrait de pixelsurgery

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Lecture 7 min.

Pour Umberto Eco[1], il y a un fascisme primitif et éternel au sein de nos sociétés : l'Ur-fascisme. Il suffit qu’une de ses caractéristiques soit présente pour que le fascisme revive. Huit de ces caractéristiques sont ravivées par le net et Trump.

1.    Le culte de la tradition : chaque mouvement fasciste fait allusion à une vérité primitive énoncée qu'il ne s'agit plus d'interpréter. "Si vous regardez par curiosité les rayons de librairies… "new-age", vous y trouverez St Augustin, lequel, autant que je sache, n'était pas fasciste. Mais le fait  de réunir Saint-Augustin et Stonehenge, ça, c'est un  symptôme d'Ur-Fascisme[2]". Sur le web, une nouvelle tradition  émerge, celle de l’Oracle qui s’impose avec Google et facilite ce type d’associations historiques. Avec les faits alternatifs, les services de communication de la Maison-Blanche en rajoutent une couche. Le nationalisme n’étant pas la moindre des traditions.

2.    Favoriser l’ignorance. Steve Banon qui déjà réduit la circulation de l’info au sein de la Maison-Blanche au strict minimum, nous dit la revue Foreign Policy, est un adepte de la culture des natifs américains. Son site d’info, Breitbart, est le site des Gougnafiers ignorants, un concept qui identifiait les militants protestants il y a deux siècles qui disaient ne rien savoir quand on les interrogeait sur leurs exactions à l’encontre des migrants irlandais.  Eichman à Jérusalem pourrait être un autre exemple de gougnafier ignorant. Il faisait le mal, mais il ne savait pas.

3.    Le refus de la raison : Les nazis aiment la science qui sert leurs desseins. Pour eux, le siècle des Lumières marquait le début de la dépravation. Wikipedia, l'encyclopédie construite par des bénévoles s'oppose à l'encyclopédie Britannica. La dernière est plus juste, l’autre est plus consultée. Mon fils a été confronté à un  prof de bio qui pompait son cours sur Wikipedia et enseignait, de bonne foi, des choses fausses. Où est passée la raison ?  La technologie lui laisse moins de place. L’administration Trump encore moins. La science qui évoque les causes humaines du réchauffement climatique ne mérite pas le qualificatif de scientifique.

4.     Il n'est pas bon de penser : le fascisme est dans l'action. La remise en question, ça fait désordre. Mais que fait le web ? Quand je pose une question à Google, j'ai la réponse et j'attends cela de tout le monde. En fait d’homme d'action, je deviens un homme de réaction, aux pensées courtes. Or la pensée doit être longue et profonde. Trump a-t-il le temps de penser entre deux tweets ?

5.    Le désaccord est une trahison : la science progresse à force de remise en question. Pour Popper la science consiste à traquer le faux. Insupportable pour le fasciste. Le moteur de recherche de Google est un algorithme complexe qui vous livre des résultats adaptés à ce que vous cherchez d'habitude. Google veut vous satisfaire, pas vous surprendre. Achetez un livre sur Amazon et on vous listera les livres aimés par ceux qui ont acheté le même. On cherche des accords, du ton sur ton. C’est inhérent au web. Trump renforce la tendance. Il veut satisfaire son électorat en 4 ans en ne laissant planer aucun doute sur le fait qu’il est l’homme providentiel. Vous connaissez l’histoire du décès de Bush Obama et Trump. Ils arrivent devant Dieu qui leur demande en quoi ils croient. Bush croit au marché libre et à la grandeur des USA, Dieu impressionné, le place à sa gauche. Obama croit en la justice et plus de solidarité, Dieu le place à sa droite. « Et vous Mr Trump, que croyez-vous ? » - « Je crois que vous occupez mon fauteuil. »

6.    L'Ur-fascisme naît et se développe sur les frustrations des classes moyennes défavorisées par la crise. Elles s'expriment sur le web. La majorité se contente de faire passer, une opinion ou une image qu'ils ont aimée. Marre des patrons, marre des banques, marre des politiques, marre des cathos, marre des musulmans... Faites passer. Le web amplifie ces frustrations et comme il précède les médias qui précèdent souvent les politiques,…le ton est donné.  Il suffit de s’afficher comme un produit « anti-système » et l’électorat suit. D’autant plus qu’il ne pense plus.

7.     L'élitisme de masse: le pouvoir fasciste s'exerce par le biais d'une hiérarchie où chaque chef méprise ses subalternes qui, à leur tour, méprisent les leurs. Cela crée un élitisme de masse. Sur Facebook, en créant sa page, un néonazi qui s'y fait 1000 amis par rapport au milliard de membres Facebook, c'est anodin. Sauf pour lui et son mépris des autres. Je l’ai évoqué dans une chronique, ces trolls sur le web sont le vivier du fascisme et chacun d'eux devient une arme au service de l'échelon du dessus de cette hiérachie totalitaire.

8.    Un langage réduit. Les livres scolaires sous les régimes fascistes ont un lexique réduit et une syntaxe élémentaire. Il faut limiter les outils de raisonnement. Le web vous offre maximum 140 caractères sur Twitter, 6 secondes de Vidéo sur Vine après avoir imposé le SMS et le globish, l’anglais des citoyens du globe. Circuits courts ou courts-circuits de la pensée ? Parce qu’il ne faut pas oublier que l'intolérance existe avant toute doctrine et toute technologie. Un enfant a peur du différent. Il faudra lui apprendre la tolérance. Qui le fera ? Le législateur ? Le web ? À force de tout réglementer, le « politiquement correct » s’instituera comme un autre fondamentalisme. Les fondements théoriques de Mein Kampf sont démontables avec un peu d'argumentation. Leur succès repose sur cette intolérance sauvage, primitive et biologique qui vit en l’homme.

Ne sommes-nous pas entrés dans un monde où la technologie crée un sol aussi propice à la science et au savoir qu’au fascisme et au dogmatisme alors que la Science fait des progrès exponentiels et que le savoir est de plus en plus abondamment accessible.
Hannah Arendt a étudié le fascisme et mal. Elle nous rappelle que l’apparence est vitale pour l’homme. Quand on naît, on apparaît et quand on meurt on disparaît, nous rejoignons les chers  disparus. Et toute notre vie, nous pouvons décider de l’apparence que nous voulons donner. L’apparence est notre lien au monde. Nous avons la capacité de montrer ou cacher. De montrer le courage et cacher notre peur, par exemple. Elle précise que le fait de pouvoir dissimuler en même temps qu’on montre, le fait de se présenter, est donc la condition pour que «  l’être au monde » de l’homme ne soit pas subi, mais actif. Trump et d’autres dictateurs ont choisi la force et la compétence de l’homme de la situation. Mais nous, les électeurs que choisissons-nous ? Que voulons-nous montrer ou dissimuler ? Sommes-nous acteurs de la démocratie ou nous contentons-nous de la subir ?

C’est le défi de l’avenir. Il passe par l’éducation. Mais pourquoi est-elle en reste ? Parce que ça ne rapporte pas de voix. Et si ça ne rapporte pas de voix, le responsable, c’est qui, si ce n’est l’électeur.



[1] Eternal Fascism : Fourteen ways of looking at a blackshirt, Umberto Eco, New York Review of books, 22 june 1995, pp. 12-15

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[2] Cinq questions de morale, Umberto Eco, Grasset, 2000

 

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