Créer du commun : quels droits pour qui ?

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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La plus belle déclaration d’amour à l’humanité, dessinée par Pascal Lemaître.

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Lecture 6 min.

Au moment même où des bombes sont larguées sur des populations civiles, où des femmes et des enfants périssent par milliers à Gaza et dans l’est du Congo, où les drones tuent de part et d’autre de la frontière ukrainienne avec la Russie, où les pays européens décident de s’armer au lieu de profiter de leur puissance économique et politique pour négocier la paix… En ces temps « difficiles » ainsi qu’on le qualifie avec hypocrisie, il est essentiel et vital de reparler des droits humains.

Les Européens et les Etatsuniens se gargarisent de leurs « valeurs » démocratiques. Mais trop peu les protègent, les appliquent, les questionnent pour les améliorer. Dans la société civile , heureusement, quantité d’initiatives émergent afin de remettre à jour certaines de ces valeurs, d’en inventer d’autres pour répondre aux défis actuels (par exemple l’écocide).

Sur notre espace-temps actuel on innove et on se souvient.

Voilà pourquoi le livre signé par le journaliste Eddy Caekelberghs vient particulièrement à la bonne heure : « Créer du commun », signifie la richesse du nouveau socle de valeurs que tant d’êtres humains sont en train de bâtir. Le sous-titre : « Histoire comparée des sources des droits de l’Homme », nous rappelle l’histoire de notre humanité. Le livre est édité par la Fondation Henri La Fontaine, symbole d’un héritage de pensée pacifiste qui a valu à ce Belge le Prix Nobel de la Paix en 1913, à la veille de la première guerre mondiale. Les souffrances énormes vécues par les populations n’ont pas empêché la catastrophe indicible que fut la deuxième guerre mondiale et l‘horreur absolue que fut le génocide des Juifs, des tziganes, des handicapés, des homosexuels par les nazis.

C’est avec stupéfaction, horreur et incompréhension que nous assistons aujourd’hui à d’autres massacres de type génocidaire, à des crimes contre l’humanité, à des crimes de guerre et qu’une guerre nucléaire se profile à l’horizon… Comme si l’histoire était oubliée. Comme si l’appel des plus grands penseurs de l’humanité, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) n’était plus qu’un chiffon de papier englouti dans le raz de marée électronique et inconsistant des réseaux dits sociaux, de plus en plus asociaux .

L’auteur de ce livre a accompli une belle œuvre d’explication et de compréhension de ce qui fut à l’origine de nos systèmes de droit et de morale collective. Depuis la plus haute antiquité, il y a eu des rois, des philosophes, des créateurs de lois communes qui ont élaboré petit à petit un système de pensée reconnaissant les droits humains, collectifs d’abord, individuels aussi, dans des civilisations très différentes. Le cylindre de Cyrus, le code de lois d’Hammurabi, la Charte du Manden dans l’ancien Mali, la Grande Loi iroquoise, tous ces systèmes organisant la coexistence d’êtres humains démontrent que les droits humains sont véritablement une aspiration universelle même s’ils peuvent se décliner de manière différente.

De plus, cette exigence de droits se perpétue, se modernise en fonction de l’évolution des sociétés. L’auteur cite Stéphane Hessel, juif, résistant, emprisonné pendant la dernière guerre mondiale, et qui fut un artisan de l’élaboration de la DUDH aux Nations Unies en 1948, devenu ambassadeur de France. La DUDH est un programme, disait-il. A nous de l’appliquer, de la perfectionner, de la moderniser. Il s’agit d’une référence majeure pour toutes les indignations humanistes. Voilà pourquoi il écrivit « Indignez-vous » suivi de « Engagez-vous ».

La DUDH consacre aussi l’« habeas corpus », né aux XIVe siècle en Grande-Bretagne, à savoir la reconnaissance des droits individuels à côté des droits collectifs. L’être humain est reconnu comme titulaire de son corps, formidable émancipation par rapport aux servages, esclavages, traites et exploitations des êtres humains. L’humain a enfin le droit à disposer de son propre corps. C’est la conquête de la dignité, y compris dans la fin de vie, du droit au bonheur garanti par les gouvernants.

Donc, les droits des humains évoluent au fil des temps mais le socle des valeurs reste le même. Par exemple « liberté, égalité, fraternité » dans leurs interprétations variées (le conseil constitutionnel français a reconnu le devoir de fraternité par rapport aux migrants), droits des femmes, droits des enfants.

Et il nous faut à présent imaginer les droits de la nature (contre la destruction climatique), des animaux encore considérés comme des choses et pas des êtres sensibles, et même, les droits de la « personne électronique » que peuvent devenir les « intelligences artificielles »…

En attendant, il nous faut, en tant que personnes humaines, nous protéger des avancées fulgurantes des contrôles électroniques (caméras de reconnaissance faciale, puces électroniques implantées, systèmes de points selon le comportement des citoyens, contrôle accru des transactions financières, etc.)

Le champs de nos droits est vaste mais il est encore trop ravagé par les guerres, les cupidités humaines, le racisme. Que disent les chasseurs maliens dans la Charte du Manden : « une vie n’est pas plus ancienne, plus respectable qu’une autre vie. » Donc, « Tout tort causé à une vie exige réparation » et « tout pays, toute terre qui verrait les hommes disparaître de sa surface deviendrait aussitôt nostalgique. »

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- « Créer du commun ». « Histoire comparée des sources des droits de l’Homme ». Eddy Caekelberghs. Edition de la Fondation Henri La Fontaine. Mons. 2024. www.henrilafontaine.be

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