Au fil de l’Autre

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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« C’est pas parce que tu t’arrêtes de pédaler que ton vélo va s’arrêter » : spectacle musicale drôle et émouvant de Forsiti’a, présenté en illustration du cycle d’activités de la Ligue des droits de l’Homme. © G.L.

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C’est mon voisin, c’est le travailleur dans son chantier, c’est la commerçante et la ménagère, c’est le conducteur de bus, c’est le SDF dans un  couloir de métro… L’Autre, c’est le thème choisi cette année par la Ligue des Droits de l’Homme qui a organisé un cycle d’activités sur les stéréotypes et les discriminations.

C’est aussi le fil conducteur du rapport annuel 2015-2016 « l’Etat des droits de l’Homme en Belgique ». Un résumé inquiétant des dérives sécuritaires et de l’accroissement des inégalités de nos gouvernants actuels.

« Représenter l’autre : le nœud gordien des médias », ainsi Laura Calabrese, chargée de cours à l’ULB, titre son article sur la place des médias dans la représentation de l’autre : comment ils rendent visibles certains sujets, comment ils présentent les informations et les analysent. Bien entendu, on trouve tout et son contraire dans les médias qui façonnent ou servent de miroir aux opinions qui traversent les sociétés européennes. Surtout lorsqu’il s’agit de migrants et de réfugiés, mais aussi lorsqu’on parle de genre et de menaces sur des droits péniblement conquis comme le droit à l’avortement ou à l’euthanasie.

Dans la déontologie des journalistes

Le monde des médias en Belgique n’est évidemment pas absent de la discussion sur ce thème de la représentation de l’autre. Signalons donc que le Conseil de déontologie journalistique (CDJ) a adopté en mai une « Recommandation pour l’information relative aux personnes étrangères ou d’origine étrangère, et aux thèmes assimilés ». Il s’agit d’une actualisation d’une recommandation datant de 1994 et qui servait de guide aux journalistes. Mais la situation a changé, a pris de l’ampleur avec la « crise migratoire » et le contexte sociologique et politique s’est transformé. Les recommandations déontologiques sont simples : « ne mentionner les caractéristiques personnelles ou collectives dont la nationalité, le pays d’origine, l’appartenance ethnique, la couleur de la peau, la religion, l’opinion philosophique ou la culture que si ces informations sont pertinentes au regard de l’intérêt général ». Il s’agit en réalité de faire la balance entre le fait de donner des informations personnelles et le dommage que l’on causerait à la personne dont on parle.

« Eviter les généralisations abusives, les amalgames et le manichéisme ». « Eviter de dramatiser des problèmes ». « Utiliser des termes Adéquats ».
Et pour cela, le CDJ accompagne ses recommandations d’un lexique très fourni. « Se méfier de la désinformation ». Et oui, comme toujours, il faut vérifier ses sources, distinguer rumeurs et informations. « Modérer les propos du public » : voilà un sujet brûlant qui concerne le public dans son ensemble, vu les propos xénophobes, les incitations à la haine et à la discrimination qui circulent sur les sites et espaces de discussion des médias, même les plus honorables ! Enfin, les journalistes sont priés de refléter la diversité de la société.

Les journalistes aussi bien professionnels qu’amateurs peuvent s’inspirer de ces recommandations mais aussi de « Réfugiés & étrangers. Petit guide anti-préjugés » publié par le CIRE (Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers). De bonnes réponses aux horreurs qui circulent notamment sur les réseaux sociaux et dans de nombreuses conversations en live !

Sud-Presse et « l’invasion de migrants »

Les journalistes et les apprentis journalistes pourront dès lors méditer à loisir sur deux plaintes déclarées fondées par le CDJ. La première visait une Une de SudPresse du 24 février dernier qui évoquait une invasion de migrants menaçant la côte belge. « Dans son avis, le CDJ a constaté que cette Une ne respectait pas la vérité et confondait faits et opinions : d’une part la Une ne renvoie à aucun fait établi puisqu’il n’y a ni invasion, ni menace ; d’autre part, en rendant compte – sans la créditer – de la crainte du ministre de l’Intérieur, elle présente comme un fait avéré ce qui n’est qu’une opinion. Le CDJ a également estimé que cette Une qui procédait par généralisation et dramatisation excessive stigmatisait particulièrement les migrants en les assimilant de manière générale à un danger. Il a en conséquence considéré que le média a manqué au principe de responsabilité sociale. Le CDJ avait reçu 1.008 plaintes relatives à cette Une. »

Et c’est une bonne chose que cette réaction citoyenne de tant de gens: cela prouve que le lectorat est plus exigeant sur les valeurs de notre société que ne le pensent certains patrons de presse.  

La deuxième plainte concerne la Dernière Heure. Le CDJ conclut également à un défaut de responsabilité sociale dans le chef du média. « Le CDJ a en effet estimé que la Une contestée, qui était consacrée à l’augmentation des vols de cartes d’identité belges et à leur utilisation par les migrants et les terroristes, déformait les faits tels qu’ils étaient rapportés dans l’article en pages intérieures et assimilant de ce fait migrants et terroristes. Il a également considéré que la photo qui illustrait l’article auquel renvoyait la Une trompait le public sur le sens de l’information principale et induisait une lecture dramatisante et stigmatisante de cette information. »

On a l’information que l’on souhaite recevoir : aux citoyens d’exiger des médias la rigueur dans le travail journalistique et d’admettre que cela prend plus de temps. Le temps de la vérification, du recoupement, de l’analyse aussi : une méthode qui s’appelle le journalisme.

Grâce à ce travail « citoyen » se dessine une image de l’autre, plus proche de la réalité, favorisant la compréhension, la convivialité, les échanges culturels féconds. Et la mise en œuvre d’un programme commun : celui de la défense des droits humains.

Infos : www.liguedh.be; www.lecdj.be ; www.cire.be

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Exposition : « Zoos humains. L’invention du sauvage », jusqu'au 23 décembre à La Cité Miroir à Liège. www.zooshumains.be

Conférence : « Que faire de nos différences. Intégration, radicalisation, communautarisme, exclusion… », le jeudi 17 novembre 2016 de 8 h 30 à 16 h au Centre culturel de Seraing. Inscription sur le site www.centrecultureldeseraing.be.

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