L’Histoire, une œuvre d’art

Les calepins

Par | Penseur libre |
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Dans son livre « Changeons de voie », Edgar Morin balise l’Histoire. Photo © Par Lisaetwikipedia. Travail personnel, CC BY-SA 4.0

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Mardi 16 juin

 Trump a quelques soucis. Il a dès lors délaissé un peu son ami Kim Jong-un. Ce type de gosse, dès que l’on a le dos tourné, ça joue avec les allumettes. La Corée du Nord fait exploser le bâtiment de liaison avec la Corée du Sud. Ces bureaux communs avaient été inaugurés en grandes pompes en 2018 et semblaient symboliser l’amorce d’un début d’embryon de conciliation. Tout est à refaire, et l’oncle Donald ne semble pas s’en préoccuper…

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 Pour la première fois depuis 1945, le meurtre d’une personnalité politique par un nazi a été commis en Allemagne le 2 juin 2019. Le député conservateur Walter Lübcke avait pris position en faveur de l’accueil des réfugiés décrété par la chancelière. Le procès de son assassin – qui a reconnu très vite son geste - s’est ouvert. Sa médiatisation sera grave et suivie par un peuple dont une grande majorité souhaite une condamnation exemplaire, afin, espère-t-on de ne pas réveiller les vieux démons.

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 Plusieurs études sur les risques et les dangers de l’intelligence artificielle faisaient débat depuis quelques années. Des mesures découlant de la crise monétaire vont permettre aux Gafa d’accumuler des renseignements sur la santé de tout un chacun. Á terme, on craignait que les données deviendraient prégnantes dans les opérations d’embauche. La crise sanitaire a renforcé le pouvoir de ces géants du web (Google, Amazone, Facebook, Apple). Le domaine de la vie privée s’est encore rétréci à la suite de la crise sanitaire.

Mercredi 17 juin

 Au journal Le Soir, l’excellent chroniqueur William Bourton a pris contact avec l’historien et biographe Éric Roussel afin d’évoquer le mythe que dégage la personnalité de Charles de Gaulle. Presqu’autant que le portrait de l’Homme du 18-juin, le propos de Roussel est une charge contre Mitterrand.

 Notre époque, placée sous le signe de fausses informations, elles-mêmes débordées à présent par les destructivistes et des activistes en déboulonnage de statues, nourrit des paradoxes et des forfanteries. On pensait néanmoins pouvoir s’instruire du cours des choses en se reliant de préférence aux historiens, gardiens de la réalité des faits. L’éminent biographe Éric Roussel nous démontre que cette caution n’est pas sûre.

 Ce professeur déverse une bile insupportable sur Mitterrand qui, l’entraînant d’abord vers des considérations très subjectives, le conduit ensuite à des fautes pour enfin l’amener à des accusations délirantes, donc malhonnêtes.

 Il commence par s’attaquer au « Coup d’État permanent » (éd. Plon, 1964) qu’avec le temps, observateurs et critiques de tous bords reconnaissent qu’il s’agit d’un pamphlet remarquablement élaboré, parfaitement documenté, intelligemment argumenté. On peut ne pas être d’accord avec son auteur, on ne peut pas lui reprocher des comparaisons douteuses qu’il n’a pas utilisées. Ainsi, jamais Mitterrand n’attaque de Gaulle médiocrement voire lâchement dans sa plaidoirie. Jamais il n’est désobligeant ; et quand il cite Hitler et Franco, c’est justement pour préciser que si l’on soupçonne le Général d’être arrivé au pouvoir par la force, on ne peut cependant pas « s’abaisser à le classer dans une rubrique où ma génération s’est habituée à ranger pêle-mêle Hitler, Franco… Staline… »

 Roussel est pour le moins maladroit, utilisant Franco pour enfoncer Mitterrand, car on sait que de Gaulle entretenait de l’estime pour le Caudillo, ce qui embarrassait souvent ses compagnons. Pendant ses années de présidence, il se garda bien de nouer des contacts étroits avec lui, se doutant qu’il provoquerait de la grogne (et plus peut-être) dans son pays. Quand il ne fut plus aux affaires, il s’empressa de lui rendre visite. Celle-ci (le 8 juin 1970) fut certes privée mais quelques traces photographiques montrent l’aspect chaleureux de la rencontre, ce qui créa un malaise dans sa famille politique et chez son successeur, Georges Pompidou.

 Et puis l’historien délire : « Jusqu’à sa mort, il l’a poursuivi de sa haine… » Tout d’abord, Mitterrand ne haïssait pas de Gaulle ; il lui reconnaissait le rôle historique exceptionnel qu’il joua pour la France. Ensuite, à partir de son élection en 1981 jusqu’à son propre décès, il évita d’évoquer de Gaulle puisqu’il s’était paré des habits de la Ve République et que ceux-ci lui convenaient bien.

 Enfin le mensonge. Il faut bien appeler ainsi cette affirmation : « … ce qui ne l’a pas empêché de ratifier la Constitution de 1958 » Son argument est fallacieux, injustifiable de la part d’un homme de sa qualité. La Constitution de la Ve République fut approuvée par référendum à une très large majorité (plus de 80 %) le 28 septembre 1958 ; une grande partie de la gauche vota en faveur de l’adoption ; deux personnalités de ce camp-là votèrent contre : Pierre Mendès France et François Mitterrand.

 Mitterrand a ratifié la Constitution dit Roussel. S’il veut dire par là qu’il l’avalisa, c’est bien le moins. Mitterrand était un démocrate, il se soumit donc naturellement au verdict du suffrage universel.  

 Charles de Gaulle est un géant. Il n’a pas besoin que l’on invente des histoires pour démontrer l’œuvre cruciale qu’il accomplit pour l’Histoire et pour la France.

 Dire que cet Éric Roussel a été président de l’Institut Mendès France de 2007 à 2012 et qu’il est membre de l’Académie des Sciences morales ! Morales…

Jeudi 18 juin    

 La Hongrie risque de se voir infliger des sanctions financières par la Cour de Justice européenne qui dénonce une loi restreignant les dons étrangers aux ONG. La Fondation Georges Soros, qui vient en aide aux réfugiés, est de nouveau dans le collimateur des acolytes du grand Viktor Orbán. Celui-ci ne dispose plus des pleins pouvoirs puisque la crise sanitaire s’est estompée mais il conserve une forte majorité d’affidés au parlement. On peut donc considérer que Viktor Orbán dispose des pleins pouvoirs à Budapest.

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 Le Haut-Commissariat des Réfugiés (HCR), organe appartenant à l’ONU, a remis son rapport annuel. Il relève un record : en 2019, 80 millions de personnes ont dû fuir de chez eux. Cela représente 1 % de la population mondiale. Du jamais vu. Autre statistique surprenante : parmi ces personnes forcées à l’exode, 73 % choisissent de passer dans le pays voisin plutôt que de tenter l’aventure dans les pays riches. C’est dire qu’ils nourrissent avant tout l’espoir de regagner leur lieu de vie ou de naissance. Á méditer dans les analyses concernant les migrations.

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 Benjamin Stora, historien, professeur émérite des universités, sur France Inter, à propos des gestes de Marine Le Pen touchant à la mémoire du général de Gaulle : « L’extrême droite voulait tuer de Gaulle. Il ne faudra jamais l’oublier ». C’est un fait plus important à souligner que les petits coups de bazookas contre Mitterrand actionnés sans vergogne par Éric Roussel…

Vendredi 19 juin 

 Si l’armée israélienne ouvre la voie vers l’annexion de la Cisjordanie dans une douzaine de jours, la communauté internationale ne s’y opposera qu’en paroles. Mais voilà que des pays arabes réputés loin des conflits belliqueux annoncent solennellement leur disconvenance avec ce projet. C’est pour le moins inattendu ; c’est aussi la preuve qu’au Proche-Orient, les ardeurs de Netanyahou, trop, c’est trop. Pour tous les voisins de l’État hébreu, mais pas pour Benny Gantz, Benny-la-honte.

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 Ancien conseiller à la sécurité de Donald Trump, John Bolton fait partie de la bonne cinquantaine de collaborateurs qui se sont fait virer par le dingue, ou qui ont démissionné avant de lui laisser ce caprice jouissif. Il publie un livre qualifié de terrifiant sur les bêtises et les carences de Trump. Qu’on n’en tire pas de conséquence sur la popularité du président : la crédibilité de Bolton est quasiment nulle dans son pays tant il dégage la capacité de se faire des ennemis.

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 « Á la marge ». C’est la vision d’Alain Minc, le conseiller en tout qui n’entreprend rien. Rien qui dure. Sa prévision pour l’après-Covid. « On va corriger un peu de choses à la marge mais tout va continuer comme avant… » Les médias qui souhaitent conserver une crédibilité feraient bien de placer Alain Minc à la marge.

Samedi 20 juin

 Un coup d’arrêt aux projets de taxation numérique est décrété par Trump. L’interruption des travaux de l’OCDE permet ainsi aux Gafa de crouler un peu plus sous les rentrées financières et oblige l’Europe à chercher d’autres pistes d’imposition. Elle en trouvera. Elle se doit d’en trouver, ne fût-ce que pour démontrer à Trump qu’elle ne marche pas selon sa baguette.

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 Le sommet européen d’hier soir par vidéoconférence est positif. Plus personne ne remet en cause le principe de mutualisation européenne liée aux dettes causées par le virus. On n’est d’accord sur rien quant aux modalités de relance, mais c’est là le travail à réaliser pour préparer le sommet de juillet, décisif. Bien entendu, les quatre membres frugaux/radins n’ont pas donné l’impression de désarmer, question d’honneur. Mark Rutte, le jeune Premier ministre libéral hollandais devrait toutefois un peu modérer ses ardeurs. Quant à Angela Merkel, elle est de plus en plus appréciée dans son pays donc suivie à Bruxelles. Et l’Allemagne dirigera l’Union à partit du 1er juillet. Il lui faut un acte fort afin de laisser sa trace dans l’Histoire. Un grand discours rassembleur à la manière de Mitterrand le 17 janvier 1995 n’est pas suffisant. Elle a besoin d’un fait inexorable, représentatif d’une avancée effective gravée dans le marbre. Elle y pense sûrement déjà depuis un bout de temps, et plus encore depuis ce matin, moment que ses futurs biographes ne pourront pas omettre.  

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 « Vacances : Et si on profitait de l’été pour ‘cultiver son jardin’ ? » Tel est le titre d’une page du Figaro, annonçant un article de Bérénice Debras, avec en sous-titre : « La bronzette, les pieds en éventail, c’était hier. Aujourd’hui, la mode est aux ateliers et aux stages pour se reconnecter à la terre et apprendre un savoir-faire ». Á la veille du solstice, ces affirmations pourraient marquer un tournant pas encore très perceptible. Rendez-vous à l’équinoxe pour prendre connaissance des statistiques concernant les stations balnéaires.  

Dimanche 21 juin

 Dans quel état Trump va-t-il laisser son pays ? La question pourrait dominer les commentaires au fur et à mesure que l’on avance dans la campagne présidentielle. On pourrait du reste étendre le champ de cette interrogation peu ou prou angoissante : dans quel état Trump va-t-il laisser le monde ? Il a retiré son pays de trois accords qui ne pèsent pas, certes, sur la vie quotidienne de ses concitoyens, mais qui montrent combien l’aura et l’influence des États-Unis peuvent en être affectées : l’accord sur le nucléaire iranien, l’accord sur les missiles de moyenne portée, et l’accord Open Skies qui vérifie les mouvements militaires. Il est difficile d’évaluer comment ces retraits modifieront les rapports de force, mais ces gestes demeureront une balise qui comptera un jour. Vouloir s’occuper du monde en gendarme tout en clamant le « America first », c’est mettre la planète en péril. (Nombre d’ogives nucléaires - en janvier 2019 - : Russie 6500 ; États-Unis 6185 ; France 300 ; Chine 290 ; Royaume-Uni 200).

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 C’est au tour de La Fête de la Musique de subir les restrictions imposées par le  virus. Dommage, elle tombait cette année un dimanche et le temps est magnifique. Comme chaque année, Jack Lang (Mirecourt, 2 septembre 1939) s’est transformé en piéton de Paris bien que moins de coins de rues résonnent ; et comme chaque année, personne n’ose lui apprendre qu’il n’est plus ministre de la Culture.

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 Le célèbre artiste du Barreau Éric Dupond-Moretti (surnommé par ses confrères Acquitator) va occuper chaque matin l’antenne d’Europe 1 pendant deux minutes et demie à 7 heures 50. « Je ne m’interdirai aucun sujet, surtout pas ceux qui sont tabous - … Il y aura des coups de cœur et des coups de griffes ». Espérons qu’il ne tombera point dans les travers du vedettariat.

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 Castigat ridendo mores (Elle corrige les mœurs en riant). Cette formule était la devise de Molière. Notre époque aurait bien besoin de la considérer.

Lundi 22 juin

 Comme dans beaucoup d’autres institutions internationales, les États-Unis occupent une position de premier plan. Ils sont ainsi les principaux donateurs de l’OMS (Organisation mondiale de la Santé), apportant 15,18 % des fonds tandis que la Commission européenne cotise pour 3,05 % (l’Allemagne seule verse 5,33 %). Si Trump claque aussi la porte de l’OMS comme il l’a indiqué, le principal bâilleur sera la Fondation Bill et Melinda Gates (donateur à 12,12 % en 2019). C’est-à-dire que cette grande et si essentielle organisation internationale serait dépendante de fonds privés. Une donnée que l’Union européenne ne peut négliger…

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 Après les manifestations contre le racisme et les violences policières dans de nombreuses capitales européennes, la Fête de la Musique a conduit des milliers de personnes à s’épivarder sans respecter la distanciation physique à Paris principalement, mais aussi dans d’autres villes de province. Par les manifestations touchant à la liberté d’expression et l’égalité entre les citoyens, on pouvait encore considérer que le relâchement avait été supplanté par la colère, le besoin de solidarité. Cette fois, ce serait plutôt le souhait de s’amuser qui motiverait la négligence. Mais à découvrir les images de plages en Italie et en Espagne, on doit bien admettre que les instructions de simple prudence sont désormais totalement piétinées. Seul un véritable rebond pourrait frelater les comportements. 

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 Le 12 juillet 1963, Charles Trenet fut arrêté à la terrasse d’un restaurant d’Aix-en-Provence, accusé de relations homosexuelles avec des mineurs de moins de vingt ans, et tombant ainsi sous le coup d’une loi de 1942 prise sous le régime de Pétain et reconduite en 1945, toujours en vigueur. Le poète passera près d’un mois en prison. Olivier Charneux a rédigé le journal du détenu à partir de faits et de paroles, parfois de quelques écrits (« Le Prix de la joie. Été 1963. L’affaire Trenet », éd. Séguier). Tantôt abrupt, tantôt mièvre, le récit ne captive pas, mais il démontre l’absurdité d’une législation figée à une époque particulière, et qui n’avait pas été actualisée en fonction de l’évolution des mœurs. Il fallut, en 1981, l’arrivée de Mitterrand pour que le ministre de la Justice, Robert Badinter fasse revoir la loi et permette à Jack Lang, son collègue ministre de la Culture, de promouvoir Trenet vers de nouveaux succès, après avoir été, d’abord vilipendé par une presse à sensation, pendant deux décennies boudé par le public, les maisons de disques et surtout par la plupart de ses semblables dans le métier. En 1995, Robert Badinter s’était intéressé à l’incarcération d’Oscar Wilde pour des raisons équivalentes. Il en avait tiré une pièce de théâtre (« C. 3.3. ou Oscar Wilde et l’injustice », éd. Actes-Sud) qui ne reçut peut-être pas le succès envisagé. Est-ce pour cette raison qu’il ne se lança point dans un travail identique à propos de Charles Trenet ? Olivier Charneux, qui est aussi dramaturge, est le mieux placé pour se lancer dans le projet.   

Mardi 23 juin

 La voilà la dirigeante porte-drapeau dont l’opposition algérienne avait besoin ! Amira Baroui, gynécologue à Alger, fille d’un haut-fonctionnaire du régime, surnommée « l’accoucheuse de la démocratie algérienne ». Dotée d’un bagout insolent, cette citoyenne révolutionnaire n’a peur de rien. Elle voudrait que le rêve des jeunes Algériens ne soit plus d’obtenir un visa mais de construire un nouveau pays, nourri de libertés démocratiques. Le confinement a tranquillisé le régime, mais la braise reste bien rouge sous la cendre. Les contestations de rues vont reprendre avec d’autant plus d’ardeur qu’Amira Baroui vient d’être condamnée à un an de prison ferme pour avoir posté sur Facebook des messages défavorables au gouvernement et au président de la République. Elle a 44 ans. Cette séquestration va contribuer à lui bâtir un destin.

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 Jean-François Kahn consacre sa chronique bimensuelle du Soir à l’Appel du 18 juin 1940. Quel contraste avec les paroles éparses et fautives d’Éric Roussel au même endroit, il y a cinq jours (voir recension du mercredi 17 juin ci-dessus) ! Kahn décrit le climat de la déroute en analysant le contraste entre la position des réalistes autour de Pétain et celle, d’un réalisme aussi, mais un réalisme futuriste du général de Gaulle, une position qui pouvait relever de la folie, celle-là même qui « sculpte indéfiniment cette œuvre d’art qui s’appelle   l’Histoire ». La principale caractéristique du talent de Jean-François Kahn, c’est de projeter dans le présent la réflexion que procure un commentaire analytique sur une période du passé. « De Gaulle du 18 juin 1940 a un monde d’avance. Il ne se résout pas à ce qui se déconstruit, il anticipe tous les composants de ce qui va se reconstruire ».

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 Afin d’attirer le tourisme, la région d’Emilie-Romagne, très touchée par la crise sanitaire, habille ses routes d’imposants panneaux d’affichage en jouant sur la séduction par des messages grand format : « Des terres friables comme notre amour », ou encore « Une mer ouverte comme nos bras »… Quand la poésie vient au secours de l’économie…

Mercredi 24 juin

 L’Allemagne a dû reconfiner deux cantons et isoler du même coup 600.000 personnes. Cas spécifique sans conséquence ou première alerte sérieuse sous la forme d’amorce ? Personne ne peut répondre. En revanche, tout le monde peut constater que l’on déconfine, que l’on voyage, que l’on se rassemble plus qu’il ne faut, que l’on se prépare à grossir les lieux de vacances en sachant que le virus n’a pas été éradiqué, qu’il est toujours bien là.

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 Souweïda ne se trouve qu’à une centaine de kilomètres au sud-est de Damas. Des gens y meurent de faim et de fatigue. La rue gronde. Il s’agit pourtant d’une région supposée sous le contrôle de Bachar al-Assad. La fin du règne du dictateur sanguinaire ? En neuf années de guerre civile, on a souvent prédit sa perte. On finissait par le croire invulnérable.

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 Comme le comédien, comme l’acteur, l’écrivain connaît plusieurs vies. Établir une radioscopie de ses faits, gestes, rêves, phantasmes ou simples actes de la vie ordinaire peut dès lors contrarier le portrait jusqu’à conduire l’observateur dans un jeu de facettes prismatiques déroutantes. Mais l’auteur, Luc Dellisse, ne s’égare pas. En une bonne douzaine de constats, il s’explore, il s’apprend, il se disperse sans s’égarer. C’est un acrobate des mots. On est dans l’autoréférence sans biographie. Existe-t-il une introspection plus échafaudée que celle où l’on se partage entre des « je » qui ressemblent à des « ils » et des « il » qui ne sont pas si loin du « je » ? C’est à la fois instructif et astucieux. La lecture achevée, on se demande ce que Luc Dellisse  a voulu faire. Réponse : le point. Ce livre, il n’aurait pas pu l’écrire plus tôt dans sa vie. En rédigeant « Un sang d’écrivain » et en le publiant (éd. La Lettre volée), il a écrit son « Ce que je crois ».

Jeudi 25 juin

 Le 75e anniversaire de la victoire des Russes sur le nazisme aurait dû être célébré au jour dit, à savoir le 9 mai. Mais dans l’expression « victoire des Russes », la contraction des mots donne « virus »… Mauvais présage… Poutine voulait néanmoins s’appuyer sur l’événement pour en faire son principal outil de propagande électorale. Il l’a donc programmé coûte que coûte. Hier, sur la Place rouge, pas un seul masque ne venait entacher la parade grandiose digne de la belle époque stalinienne. Il est toujours parvenu à réécrire l’Histoire pour servir ses intérêts. Il fut ici au sommet de son art. Le référendum de modification de la Constitution aura lieu à partir de demain. Les bureaux de vote seront ouverts jusqu’au 1er juillet. Et malgré cette longue période d’appel au civisme, malgré l’intense propagande que le pouvoir a développée dans tout le pays, le seul chiffre qui méritera d’être analysé, s’il n’est pas trafiqué, ce sera celui de la participation. Pour le reste, il n’est pas probable que Poutine gagne son coup de maître, c’est chose acquise d’ores et déjà. Dès lors, il sera en possibilité de gouverner jusqu’en 2036. Il aurait alors 84 ans. Un an plus tôt, il aurait organisé une grande fête dans toute la Russie pour célébrer le 90e anniversaire de la victoire sur le nazisme. Celui lui aura permis de mesurer sa popularité afin, peut-être, de solliciter un rabiot pour solliciter un nouveau mandat.

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 L’ONU met en garde et supplie. 1000 parlementaires européens signent une requête. Les Palestiniens et leurs alliés arabes protestent et s’indignent. D’autres pays arabes, pas spécialement amis des Palestiniens, avertissent et menacent. Si, le 1er juillet, Netanyahou et Gantz entament l’appropriation d’un tiers du territoire de la Cisjordanie comme le prévoit le scénario Trump, c’en est fini d’un plan de paix à deux États. Un élément d’opposition au projet, plus fort encore que toutes les positions officielles de récrimination et d’écœurement, pourrait contenir les ardeurs des deux nouveaux compères : le peuple israélien lui-même, qui est descendu dans la rue afin de dénoncer cette folie. Car c’en est une, effectivement.

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 Aïe ! Il ne faudrait pas qu’Hubert Védrine ait commis un livre inconsistant. Tandis qu’il faut s’attendre à des témoignages de confinés les plus désopilants et surtout des théories sur l’après souvent irréalistes et pompeuses, le voici qu’il précède le flot avec « Et après » (éd. Fayard). Il était ce soir l’invité d’Élisabeth Quin au 28 minutes d’Arte. Il n’a pas convaincu. Dans Le Figaro, Éric Zemmour, qui a peut-être senti la faiblesse du propos, signe une tribune intitulée « Encore un effort M. Védrine ». Attendre et lire. 

 Et à la matinale de France Inter, Nicolas Demorand et Léa Salamé recevaient Edgar Morin (99 ans le 8 juillet prochain). Analyse toujours aussi nette, aussi claire, aussi pédagogique, avec comme toujours le regard vers les leçons de l’Histoire. Lui aussi a publié un livre, « Changeons de voie. Les leçons du coronavirus », avec la collaboration de Sabah Abouessalam (éd. Denoël). L’avoir lu, l’avoir médité, l’avoir relu, et se dire qu’il ne faut plus attendre autre chose dans ce qui va remplir les librairies eu égard à « L’Après ». Tout est là, tout est dit. 

Vendredi 26 juin

 Les bruissements de remaniement ministériel se faisant de plus en plus assourdissants dans une France qui se cherche un déconfinement digne et respecté, les pronostics fleurissent de partout dans les gazettes. Noms livrés en pâture, noms portés au pinacle, c’est évidemment sans intérêt. Un argument étonne cependant : de quelque organe de presse que vienne la référence, l’appartenance à un gouvernement de François Hollande semble être une garantie de qualité. On trouve partout des remarques du type : « Comme Le Drian, il (ou elle) a fait partie du gouvernement de Jean-Marc Ayrault (ou de Manuel Valls) du temps de François Hollande… » Au fond, c’est donc qu’ils n’étaient pas si mauvais que cela les gouvernements de François Hollande…

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 Dans Le Point, Patrick Besson consacre son éditorial au cher Woody Allen et à ses déboires médiatiques de l’autre côté de l’Atlantique. Le jeu de mots du titre est déjà prometteur (« Poor Woody Allen ») et de fait, le texte est magistral. On épinglera un théorème tellement exact qu’il conviendrait de le placer en sous-titre de toutes les appellations de journaux (et pas seulement ceux à ragots ou à sensation ; ceux-là, après tout, on sait à quoi s’attendre quand on les compulse…) : « De son vivant, le scandale tient la plus grande place dans la vie d’un artiste. Après sa mort, c’est l’inverse, l’œuvre prend le dessus ».

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