Les mots de sagesse du 'nègre'

Les calepins

Par | Penseur libre |
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Où il n'est nulle part question de 'nègres'.

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Samedi 10 octobre  

Retour à Emmanuel Pierrat (suite de la recension du 9 octobre). Dans son livre « Nouvelles morales, nouvelles censures » dont le colophon indique septembre 2018, il y a un chapitre intitulé « Cachez ces mots » où il est beaucoup question des substantifs nègre et négresse, dont voici un extrait : « S’il n’appartient pas à la langue d’assurer l’égalité dans la société, le changement des mentalités passe bien par le langage qui détermine notre vision du monde. Il convient néanmoins de ne pas sombrer dans la proscription la plus stérile. Plutôt que le bannissement à tout va, prendre du recul semble plus sage. Cela implique de chercher à comprendre les contextes, historiques ou dénonciateurs, qui ont pu permettre, par le passé, l’utilisation du mot ‘nègre’. De la même façon, il nous appartient de faire la différence entre une insulte raciste et des mots communs qui désignent d’autres réalités. Il serait en effet regrettable de devoir biffer, du jour au lendemain, les titres du savoureux « Dix petits nègres » d’Agatha Christie ou du surprenant « Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer » de Dany Laferrière (…) »

 Le 25 août 2020, James Prichard, arrière-petit-fils de la grande Agatha, annonçait sur RTL que le titre « Dix petits nègres » (titre original : « The Little Niggers », 1938, 100 millions d’exemplaires vendus dans le monde) serait changé « pour ne pas blesser », remplacé par « Ils étaient dix ».

  Ce fut aussi un 25 août, mais 11 ans plus tôt, que les éditions Zulma avaient fait paraître le premier livre de Laferrière « Comment faire l’amour… » Elles viennent de procéder à un nouveau tirage et l’auteur, qui croule sous les décorations, devenu Docteur honoris causa dans huit universités de par le monde et qui fut reçu à l’Académie française en 2013, ne cesse de fréquenter les studios afin de promouvoir ce livre. Bien entendu, il est souvent interrogé sur l’utilisation du mot « nègre ». Il donne chaque fois sa version, logique, raisonnée, posée, humaniste, assortie parfois de comparaisons inattendues, comme : « Si l’on enlève les méchancetés de la bouche d’un méchant, il y aura une perte de drame. » On aurait tort de négliger les mots de sagesse du nègre, construits sur le bon sens.   

Dimanche 11 octobre

 Le cessez-le-feu fragile obtenu par Moscou entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie à propos du Haut Karabakh a tenu quelques minutes. Des bombardements ont repris et les deux camps s’accusent d’avoir violé l’accord. Air connu. L’état de guerre est son contrôle.

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 L’Union européenne a demandé à Erdogan de recueillir les réfugiés syriens qui fuyaient la guerre civile. Elle l’a rémunéré pour cette mission humanitaire, se préservant ainsi d’un trop important lot de migrants à ses frontières. Du même coup, elle transforma Erdogan en parfait maître-chanteur. Il ne se prive pas de ce rôle, il ne s’en lasse pas, il en jouit d’autant plus qu’entretemps, il s’est installé en Libye, un pays qui donne l’impression de se déchiqueter de jour en jour, et qui pourrait aussi contrarier l’Europe dont les rivages ne sont pas très éloignés pour les pauvres victimes du chaos intégral. Il est vraiment nécessaire que l’Union européenne se dote d’une armée, un véritable système de protection, une défense organisée. Ce besoin est de plus en plus prégnant afin que la grande puissance économique « s’émancipe de son papa », comme dirait Éric Orsenna, qui sait de quoi il parle, en ayant passé autrefois quelques mois à l’Élysée sous Mitterrand et quelques autres avec Roland Dumas au Quai d’Orsay.   

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 La célèbre École nationale d’administration (ENA) qui forme des hauts fonctionnaires d’où émergent souvent des ministres ou des chefs d’État, l’ENA donc a transmis des renseignements sur sa promotion 2019-2020 afin de satisfaire une question parlementaire. On apprend que cette année comporte 82 élèves et que parmi eux, un seul possède un père ouvrier. Ce type de statistique a nourri les combats de la gauche dès les années soixante. Cela n’a désormais plus aucun intérêt. Le monde ouvrier n’est plus la masse active génératrice d’un changement de société d’une part ; il est d’ailleurs de plus en plus réduit d’autre part. Peut-être serait-il intéressant de répertorier plutôt le nombre d’enfants de chômeurs. Mais il y a tellement d’autres chiffres beaucoup plus éloquents qui reflètent l’accroissement des inégalités creusant des tranchées entre les classes sociales !

Lundi 12 octobre

 Lorsque la Hongrie s’est libérée du joug soviétique, son Premier ministre Viktor Orban faisait partie des jeunes combattants. Trente ans plus tard, il en est toujours marqué. Tous ceux qui ne pensent pas comme lui sont des communistes, au point qu’il laisse souvent traîner une opinion selon laquelle le siège des institutions européennes de Bruxelles serait dirigé par des gauchistes. Dans sa famille politique, la même que celle d’Ursula von der Leyen, il y dénote aussi des « libéraux loufoques » instrumentalisés par lesdits gauchistes. Longtemps, ceux qui, en Belgique, en France, avaient atteint l’âge adulte à l’époque de la Seconde Guerre mondiale, continuaient à considérer les Allemands comme des Boches. Peut-on comparer les réactions épidermiques des uns et des autres afin de tenter de comprendre Orban ? Ce n’est en tout cas pas en le marginalisant de l’Union européenne qu’on améliorera le partenariat. La Hongrie a sa place en Europe ; pas à n’importe quel prix, certes, mais au prix d’une diplomatie intelligemment conduite.

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 Un homme, une pensée, un objet. L’an dernier, Michel Onfray s’est livré à l’exercice d’expliquer l’histoire de la philosophie par un symbole s’apparentant à la personnalité d’un maître. Dans « Le Crocodile d’Aristote » (éd. Albin Michel) tous ses chapitres reflètent la dualité en étude : Le Crâne d’Épicure, Le Luth de Montaigne, La Toque de Rousseau, etc. En 2013, Antoine Laurain publia un gentil petit roman intitulé « Le Chapeau de Mitterrand » (éd. J’ai lu). Á un demi-siècle de distance, il serait temps qu’une bonne plume s’empare du soulier de Nikita Khrouchtchev.  

12 octobre 1960. Assemblée générale de l’ONU. « Le délégué américain et le délégué philippin ayant parlé de la nécessité de libérer tous les peuples asservis y compris ceux qui étaient dans la mouvance soviétique, M. ‘K’ se leva d’abord de son siège, frappa du poing et traita l’orateur de fou. Puis, soudain, au comble de la fureur, il enleva son soulier marron, le posa sur la table, se mit à frapper de la semelle le plastique vert de son bureau. Á peine était-il calmé qu’un nouvel incident burlesque faisait rebondit cette incroyable séance : le président, pour rétablir l’ordre, frappa trop fort et cassa son marteau (Paris-Match) » (Cité par Michel Winock in « Chronique des années soixante », éd. du Seuil, coll. Points – Histoire, 1990) 

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 Cédric Dutilleul, l’affable et prévenant patron du bar à vins « Le Griffonnier » ( 8, rue des Saussaies, Paris 8e ), recommande : « Ceux qui boivent pour oublier son priés de régler par avance ». Sage précaution. Il faut aussi tenir compte de ceux qui, atteints par le triste mal d’Alzheimer, ont oublié avoir déjà réglé… Mais le maître des lieux est honnête homme, il ne profiterait pas de la situation.

Mardi 13 octobre

  Une histoire de poignées de mains. Ce serait un beau titre qui démontrerait les jeux dangereux, les regards soi-disant complices et les sourires hypocrites des grands despotes qui ont bousculé le monde. Il y eut la poignée de mains entre Hitler et Pétain, prémisse d’un incendie planétaire que Churchill parvint à éteindre et de Gaulle à récupérer ; il y eut la poignée de mains entre Mao et Nixon qui ouvrit de nouvelles voies utiles mais contrariantes pour l’équilibre du monde, et que l’on ressent parfois aujourd’hui avec inquiétude. Mais il y en eut tant d’autres ! Avis aux agences de presse. La poignée de mains à observer ces temps-ci, elle nous vient des grands espaces et des siècles de jadis. Ivan le Terrible et Mehmet Pacha sont incarnés par Vladimir Poutine et Recep Erdogan. Comme dans un roman de Toni Morrison, la poignée de mains est auréolée de sourires et de regards complices. Elle identifie les deux hommes. En fait, ils se toisent en pensant au Caucase, à la région du Haut Karabakh, ou à d’autres steppes. Un jour, ils pourraient s’étriper. On imagine bien la réaction immédiate : eh bien qu’ils s’étripent !... Certes… Oui mais… Revient alors l’argument qui fonctionne à contresens : la Turquie fait partie de l’OTAN, ce traité qui instaure la solidarité entre ses membres si l’un d’entre était menacé.

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 Greta Thunberg appelle à voter Joe Biden. La question est de savoir si cette recommandation aura un effet bénéfique ou si l’inverse pourrait être renforcé. En tout cas, elle ne pourra pas lui donner sa voix puisqu’elle ne pourra pas voter. Elle ne pourrait d’ailleurs pas voter non plus si l’élection avait lieu dans son pays…

Mercredi 14 octobre

 L’ultraconservateur polonais Jaroslaw Kaczynski a réintégré le gouvernement depuis 8 jours. Il en est le Vice-Premier ministre. Il vient de déclarer que « si le budget européen était lié à l’État de droit, la Pologne userait de son veto » afin, donc, que ledit budget ne soit pas voté. On suppose qu’’il se devait de prononcer une déclaration virulente pour mettre en évidence son retour aux affaires. « Jaroslaw is back ! » Si ce n’était pas le cas et qu’il maintenait son avertissement, si (on ne sait jamais, il ne faut jurer de rien) le renfrogné permanent n’avait pas souhaité transmettre à ses collègues un trait d’humour noir, reste alors à souhaiter que le chef de l’État le fasse interner dans un asile psychiatrique. 

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 Argentan est une commune de Normandie, département de l’Orne, qui compte un peu moins de 14.000 habitants. La famille paternelle de Charlotte Corday, qui assassinat Jean-Paul Marat le 13 juillet 1793, y vécut. En 1995, un groupe de rock s’y constitua sous le nom de Madame Guillotine. C’est aussi là que naquit Michel Onfray, le 1er janvier 1959.

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 C’était la règle au Tour de France, ce l’est aussi au Tour d’Italie : si un coureur est testé positif au Covid-19, toute l’équipe doit quitter la course. Deux d’entre elles ont déjà dû abandonner l’épreuve. Á ce rythme-là, l’arrivée du Giro le 25 octobre à Milan pourrait être annulée, faute de combattants. Tous ces genres de scènes cocasses comme en en trouve dans les mauvaises comédies ne feront bientôt plus rire. Quand les emplois seront supprimés ça et là et que l’économie s’effondrera…

Jeudi 15 octobre

 Macron a donc parlé hier soir. Sur un ton grave mais combattif, il annonça un couvre-feu de 21 heures à 6 heures du matin en région parisienne et dans les grandes villes. C’est un choc, motivé sûrement par les informations que les experts lui transmettent quant à la propagation du virus. Il n’est peut-être que le premier en Europe à opter pour une mesure aussi contraignante. Car il pourrait bien avoir déclenché une nouvelle méthode pour lutter contre le virus. L’attitude présidentielle est responsable et courageuse. Il faut espérer qu’elle portera ses fruits. Ceux qui sont prêts à hurler contre la privation des libertés ainsi que la violation de l’état de droit sont aux aguets.  

 Sur le site du Figaro, en-dessous du compte rendu de la prestation présidentielle, ce titre avant commentaires : « Greta Thunberg appelle Emmanuel Macron à tenir ses promesses ». On n’en voudra pas au metteur en page pour cette troublante proximité. Mais quand même ! Au cours de la semaine dernière, tous les jours, le jury Nobel annonça des récompenses pour des scientifiques, médecins, chimistes, physiciens, qui ont consacré leur vie, passionnément, à la recherche, qui sont parvenus à des inventions faisant progresser l’histoire de l’humanité. Aucun de leurs noms n’est conservé en mémoire. Ainsi en va-t-il chaque année où seuls, les noms du Prix Nobel de Littérature et du Prix Nobel de la Paix ont quelque chance de pénétrer les esprits. Et puis Greta Thunberg, dont un long métrage lui consacré va bientôt envahir les salles noires. Bien sûr que son action est plus que sympathique ; elle est formidable… Bien sûr qu’elle draine des milliers sinon des millions de jeunes gens qui interpellent les générations précédentes en les responsabilisant sur l’héritage qui leur est laissé quant à la santé de la nature. Et que ces protestations ne peuvent qu’augurer dynamisme et prise de conscience chez celles et ceux qui auront la charge du monde dans deux ou trois décennies. C’est prometteur et rassurant. Mais franchement, y a -t-il encore un média qui oserait braver les compliments et se demander si l’on ne devrait pas inculquer un peu de modestie à cette jeune fille qui s’en va haranguer l’assemblée de l’ONU (« Je veux que vous… ») hier et contraindre aujourd’hui le président de la République française à « tenir ses promesses » au moment où ledit président annonce à son peuple des mesures de restrictions exceptionnelles mettant la démocratie en danger, donc, sa position, dans la foulée… Tout de même … Greta, nous dit-on, c’est la nouvelle Jeanne d’Arc. La Pucelle fut brûlée. Personne ne songe à faire subir le même sort à la petite suédoise. Elle n’a qu’un seul véritable ennemi : elle-même. Et un démon : Icare.

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 Pour tous eux qui, obligés de glisser une citation dans un discours conditionné par le virus, cette réflexion de l’éminent juriste français René de Lacharrière (1915 – 1992) : « Tout est prévu, naturellement, sauf ce qui va se passer ».   

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 Voir ou revoir sa vie et la régler, quand le pronostic médical vous donne encore trois mois à vivre. Les enfants, c’est si important ! Veiller à les avertir en douceur et rythmer les relations dans le bonheur simple des contacts agréables. Et l’amour ? Embourbé dans l’habitude et les habitudes, le voilà qu’il revit, qu’il renaît ! « Hope ». Si ce film de Maria Sødahl était une fiction, il risquerait de n’être qu’un mélodrame se terminant par un happy end. Mais sa véracité le rend puissant, déconcertant de pudeur, poignant même, lors de moments décisifs, supposés définitifs. Cette histoire est celle de la réalisatrice. Elle a pris du recul avant de construire la narration et elle fit bien : c’est une réussite.

Vendredi 16 octobre

Le dossier du financement libyen place Nicolas Sarkozy pour la quatrième fois dans une mise en examen. Désormais, c’est pour « association de malfaiteurs » qu’il est poursuivi. Réaction de l’ancien président : « Une fois encore, mon innocence est bafouée ». De deux choses l’une : ou bien la Justice en fait son bouc émissaire, ou bien elle est convaincue que Sarkozy est impliqué dans cette affaire mais elle ne parvient pas à le coincer. On se garde bien de trancher mais on ne peut pas non plus se défaire la mémoire de la présence de Kadhafi, tel qu’en lui-même c’est-à-dire vulgaire, sur le perron de l’Élysée, tandis qu’il avait planté sa tente bédouine dans la cour voisine, celle de l’Hôtel Marigny, où il reçut, du 10 au 15 décembre 2007 assisté de ses nymphes.

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 Ursula von der Leyen connaît bien le Bauhaus, ce mouvement artistique pluridisciplinaire créé en 1919 par l’architecte Walter Gropius. C’était une extraordinaire entreprise culturelle prônant la modernité, dont les nazis arrêtèrent les activités dès 1933 ; un signe qui ne trompe pas pour évaluer la qualité du mouvement et son influence. La présidente de la Commission veut s’en inspirer, elle en avive sa référence lorsqu’elle présente son Plan vert pour l’Europe. C’est une belle ambition mue par une volonté d’instigatrice intelligemment élaborée. Pour elle également il importe de souhaiter que le virus ne perdure pas trop afin de ne pas enrayer le projet.

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 Le Liban s’enfonce dans un désastre sociétal. La classe moyenne disparaît, laissant la population composée de très riches et de très pauvres. Comme les réfugiés syriens, des malheureux quittent le port de Tripoli sur des embarcations de fortune afin de gagner les côtes de Chypre, les plus proches, situées à 160 km de leur pays. Et comme les réfugiés syriens, certains achèvent leur vie sur les eaux méditerranéennes. Mais à la différence de la Syrie, si le Liban était vraiment à prendre ou à occuper, le conflit qui en naîtrait s’épancherait très vite sur toute la région au point de déstabiliser le monde.

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