L'Escaut, de la source à l'embouchure

Une édition originale

Par | Penseur libre |
le

L'Escaut à Gand
"Ces fleuves qui nous unissent"
© Ons Erfdeel vzw

commentaires 0 Partager
Lecture 6 min.

 

L’été dernier, la consigne était simple : descendre un fleuve de sa source à son embouchure. La lecture d’un livre « Ces fleuves qui nous unissent » m’a conduit à suivre le courant de l’Escaut, de sa source à Gouy, humble village dans l’Aisne, jusqu’à son embouchure néerlandaise, au large de Flessingue.

Comme l’auteur du récit de voyage, Luc Devoldere, je me suis posté sur les berges de l’Escaut. Son mérite est plus grand, puisqu’il lui a fallu trois péniches avec chaque fois un capitaine, pour partir d’une eau stagnante et aborder l’imposant fleuve si magnifiquement chanté par Brel.

La source de l’Escaut se résume à un bassin de quelques mètres carrés où les facétieux peuvent tremper chaussures et chaussettes. À côté, se trouve une petite stèle, représentant un enfant jouant avec un dauphin. Comment imaginer que ce filet d’eau perdu dans un modeste pâturage puisse donner naissance à un puissant bassin hydrographique de 21 000 kilomètres carrés.

À Escaudoeuvres, le port fluvial berce déjà de grandes péniches, pendant qu’un train s’engouffre dans un immense silo. Un marinier rencontré avoue qu’il aime bien naviguer en France, « l’on est à l’aise, dit-il, alors qu’en Belgique et aux Pays-Bas, je passe la vitesse supérieure, j’ai davantage le feu aux fesses ».

Après l’écluse de Fresnes, le fleuve semble l’emporter sur le canal. Ensuite, on navigue entouré par la verdure du Parc naturel régional de la plaine de la Scarpe et de l’Escaut.

Le fleuve touche Tournai, la vieille ville française de Belgique. Un pont des Trous se soulève et vient couronner le passage. Il suffisait, jadis, d’abaisser une porte d'eau pour barrer le fleuve.

À Gand,
la ville aux vingt-six îles et aux quatre-vingt-dix ponts, l'Escaut ne cesse de gagner en largeur et ne se laisse plus canaliser. Ses rives deviennent fangeuses, plus boisées. L'influence des marées et des courants augmente.

Après Termonde,
à mi-chemin entre Gand et Anvers, le cours d'eau devient définitivement fleuve. L’Escaut avance majestueusement parmi la vaste étendue de prés verts. On croise des usines à l’abandon et d’autres aussi fortement polluantes, avant d’arriver à Anvers.

Avec Blaise Cendrars,
il y avait de l’amitié et de la rigolade dans ses bourlingues. Que reste-t-il de son quartier de marins, si bien évoqué, quand il allait retrouver les filles dans le bordel du grand port, à la recherche du chaud giron d’une femme ?

Le périple se poursuit.
À Doel, attention ! Sables mouvants. Les maisons sont désertes. D’autres portent des drapeaux noirs. Des graffitis impérieux « Doel doit rester ! Pas de déportation ! L’Eglise n’est pas un musée ». Au large, on voit passer des géants des mers comme s’ils voguaient droit sur le village. « Des millions de conteneurs, voilà ce que l’avenir va apporter » écrit Chris de Stoop, dans son livre « agriculteurs en guerre contre les conteneurs et les oiseaux ».  

Que reste-t-il des fermes, des hameaux, du cimetière, des polders ? Un incinérateur géant, une centrale nucléaire, le poison de Bayer, un Etat Polder « puisque dans le nouvel Etat-Providence, ce n’est plus le bifteck qui est le paramètre du bien-être et de la prospérité, mais l’ordinateur » ajoute Chris de Stoop.

À l’entrée des Pays-Bas, l’estuaire s’élargit. Le fleuve sent la vase, le brouillard, les relents d’anguille vivante, les vapeurs de soufre, les lointains fours à brique et les odeurs de goudron.

Les fermiers du pays de Waas flamand,
attaqués de front par les mafias portuaires, se sentent également menacés par les jeunes Verts néerlandais. Le béton d’un côté, le marais de l’autre : ils sont pris en tenaille entre l’économie et l’écologie.

À Terneuzen,
mettons nos pas dans ceux de Chateaubriand « les barques de Gand glissent, écrit-il, sur d’étroits canaux, obligées de traverser dix à douze lieues de prairies pour arriver à la mer, elles ont l’air de voguer sur l’herbe ». Aujourd’hui, au milieu du fleuve, les suceuses continuent à cracher leur sable sur une plate-forme.

Immensité du ciel et de l’eau

En face apparaît Flessingue.
Devant la cité historique s’étale la mer la plus fréquentée du monde. Les bateaux deviennent de plus en plus grands, des vaisseaux de guerre, des navires-citernes, des transports de voitures et au milieu des remous, zigzaguent quelques plaisanciers égarés. Avant le grand large, le port récupère ses pilotes venus d’Anvers. L’eau de l’Escaut devient verte et la lumière plus vive.

Il est temps de voir enfin l’embouchure, après un périple de quatre cent cinquante kilomètres, de tremper la main et le pied à l’endroit où les eaux se mêlent. Seuls, des migrateurs, au cri âpre et monotone, occupent les bancs de sable des bouches de l’Escaut et survolent les vastes polders littoraux de la Flandre zélandaise. Le fleuve se perd en mer sous la surveillance des radars, dans un décor de remorqueurs et de bateaux pressés d’atteindre le grand large.

Le soir, je regarde par la fenêtre de ma chambre d’hôtel l’immensité de l’Escaut. Je pense aux dernières images de Vacances Prolongées, l’œuvre ultime et bouleversante du cinéaste Van der Keuken. Le film se clôt sur une grandiose et longue séquence d’un fleuve hollandais, où le ballet industriel des gros bateaux s’estompe lentement dans un souffle scintillant.

Qu’est-ce que ce voyage sur l’Escaut, de sa source à son embouchure, sinon ce battement miroitant entre mort et vie ?

Thierry Quintrie Lamothe

Il semble que vous appréciez cet article

Notre site est gratuit, mais coûte de l’argent. Aidez-nous à maintenir notre indépendance avec un micropaiement.

Merci !

Auteur / Reporter

L'Escaut à Anvers
"Ces fleuves qui nous unissent"
© Ons Erfdeel vzw

commentaires 0 Partager

Inscrivez-vous à notre infolettre pour rester informé.

Chaque samedi le meilleur de la semaine.

/ Du même auteur /

Toutes les billets

/ Commentaires /

Avant de commencer…

Bienvenue dans l'espace de discussion qu'Entreleslignes met à disposition.

Nous favorisons le débat ouvert et respectueux. Les contributions doivent respecter les limites de la liberté d'expression, sous peine de non-publication. Les propos tenus peuvent engager juridiquement. 

Pour en savoir plus, cliquez ici.

Cet espace nécessite de s’identifier

Créer votre compte J’ai déjà un compte