La Voie selon Edgar Morin

Les calepins

Par | Penseur libre |
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Samedi 25 juillet

 Le jour (tant attendu mais impossible à fixer) où les terriens seront débarrassés du Covid n’ouvrira pas brusquement une autre ère. Laisser croire en l’après plus ou moins instantané est bête et même criminel. Il n’y aura pas révolution mais évolution. Insensiblement les façons de vivre changeront ; elles pourront être appréciées, commentées, décortiquées, analysées à souhaits. Et l’on parlera, quelques années plus tard, de l’après crise sanitaire comme on évoque aujourd’hui l’après-guerre.

 Du reste, certains aspects de l’évolution se sont déjà révélés. Ainsi en va-t-il de la pratique des potagers. Il y a ces temps-ci une telle recrudescence des volontés à s’aménager un jardin, y compris en ville, que les médias consacrent tous des pages ou des émissions à cette occupation. Le grand spécialiste Alain Baraton, qui vivait sa petite vie pépère, d’un sillon à une partie de sécateur, ne sait plus où donner de la binette. Il est consultant pour plusieurs stations de radio et il est courtisé par les éditeurs.  L’évolution concerne la création de potagers mais aussi la manière de le constituer. France Inter développe « Le jardin des paresseux », une émission de conseils à ceux qui ont envie de se lancer sans y consacrer trop de temps. En 2009, les éditions Flammarion avaient réédité « L’Essentiel », une sorte de grand almanach des jardins en version anastatique tel qu’il était utilisé dans les années 1920. Alain Baraton avait rédigé l’avant-propos de ce fort volume contenant les « Conseils de culture traditionnels et écologiques » répertoriant « Plus de 2000 plantes potagères, fruitières et ornementales ». En exergue, on trouvait une citation de Saint-Exupéry : « On n’hérite pas de la terre de nos parents, on l’emprunte à nos enfants. » Nul doute que si l’éditeur procède à un nouveau tirage, il en fera un succès de librairie.  

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 Des plages bondées, occupées par des vacanciers oubliant (se fichant ?) les consignes de distanciation physique. C’est la photo qui couvre la une de Libération avec ce titre : « Le Covid ne prend pas de vacances » Tout est dit, et il ne serait pas surprenant qu’un resserrement des règles survienne afin d’alerter les aoûtiens en quête de bronzage.

Dimanche 26 juillet  

 « Ce plan ne prépare pas l’avenir de l’Europe, il exploite un moment de panique pour sauver par effraction une idéologie périmée depuis longtemps. » Et vlan ! Qui parle ainsi à propos de l’accord européen obtenu aux forceps sous la direction de Charles Michel ? François-Xavier Bellamy, 34 ans, étoile montante de la droite française, qui conduisit la liste des Républicains aux élections européennes de l’an dernier, qui siège donc au sein du groupe PPE, la famille politique d’Angela Merkel (entre autres). Le parlement européen va examiner le projet de budget construit en un équilibre très fragile par les chefs d’État et de gouvernement. Il lui revient de le discuter ainsi que de procéder ensuite à un vote afin qu’adopté, ce budget puisse entrer en application. Il est important de noter que le parlement a le droit d’accepter ou de rejeter ledit    budget, pas de l’amender. La principale formation de droite serait-elle sur le point de faire capoter cette opération ? Cela paraît presque inimaginable. « Sauver par effraction une idéologie périmée ». On conçoit bien que la direction de l’Europe est actuellement surévaluée quant à la représentation d’un libéralisme à bout de souffle, mais qu’un jeune député siégeant aux côtés de vieux conservateurs s’exprime ainsi, c’est assez cocasse…

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 Une piteuse manifestation féministe organisée par deux conseillères municipales écolos de Paris (donc de la majorité…) pousse Christophe Girard, l’excellent adjoint d’Anne Hidalgo pour la Culture, à démissionner, écœuré par la bassesse des soupçons et des invectives. Cette triste querelle, qui ne grandit pas le courant féministe, annonce déjà celle qui dominera les dîners en ville l’an prochain, lorsque s’ouvrira le procès Matzneff. Car par-delà une mise en accusation de l’écrivain, c’est le procès moral du Tout-Paris post-’68 qui semble se dessiner. On en discutera beaucoup à la Brasserie Lipp, la cantine du grand Gabriel, mais pas seulement là…

Lundi 27 juillet   

 Trois citations puisées dans le numéro de juillet de Philosophie Magazine, à lire intégralement. Il n’y a rien à jeter :

  • Du philosophe et romancier espagnol Fernando Savater : « La solidarité est un égoïsme intelligent. »
  • De l’essayiste, poète, commissaire d’exposition spécialiste du surréalisme Annie Le Brun : « L’espoir vient des gens qui prennent leurs désirs pour des réalités, n’importe quel âge. Il s’agit de ne pas se laisser amoindrir. »
  • Du chanteur-compositeur Benjamin Biolay : « L’inspiration, c’est plein de fausses couches. »

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 Une page du cinéma hollywoodien s’est tournée. Á 104 ans, Olivia de Havilland s’est éteinte en son domicile parisien (3, rue Bénouville, 16e arr.) et les commentaires vont bon train en évoquant tous les mêmes étapes de sa vie d’actrice : les films avec Kirk Douglas, « Autant en emporte le vent », etc. Pas un seul ne pose la question : pourquoi, cette star américaine, n’est-elle pas retournée vivre en son pays le reste de son âge ? Pourquoi choisit-elle de vivre à Paris ? Parce que, dira-t-on, en 1956, elle épousa Pierre Galante, journaliste à Paris Match ? Ils divorcèrent en 1979… Parce que leur fille, Gisèle, y habitait ? Elle naquit en juillet 1956 et menait bien sa vie de journaliste (elle faillit épouser Johnny Hallyday…). Devant ces suppositions insuffisantes, on optera pour la parole gaullienne de Maurice Chevalier : Olivia de Havilland vécut sa longue retraite à Paris parce que Paris sera toujours Paris ! Oui !

Mardi 28 juillet

 L’Ours fait peau neuve. Pour son 500e numéro, la gazette mensuelle de l’Office universitaire de Recherche socialiste (OURS) a revu sa maquette et sa mise en pages. On y voyage désormais dans plus de clarté en sélectionnant les recensions bibliographiques par thèmes. C’est un document précieux, renseignant des ouvrages à diffusion parfois trop confidentielle, un outil d’approches pour des socialistes en réflexion. La rédaction propose aussi une rubrique « L’archive socialiste du mois », construite sans doute au départ d’une documentation considérable. Cette nouvelle proposition de lecture renseigne le premier discours de Léon Blum rentré de captivité. C’était le 20 mai 1945. L’ancien président du Conseil remettait l’idée socialiste à l’honneur : « (…) La justice sociale, qu’est-ce donc que l’instauration d’une société où les inégalités naturelles ne soient surchargées d’une inégalité supplémentaire, où chaque individu trouve sa juste place, sa place équitable, celle qui répond à sa vocation individuelle, celle où il peut rendre à la collectivité le plus de services et, par là-même, s’assurer à lui-même le plus de bien -être et de bonheur ? » « Surchargées d’une inégalité supplémentaire… ! » On a beau se gratter le crâne, on ne voit pas ce qu’il y a de ringard dans cette réflexion. Tôt ou tard, la social-démocratie va recouvrer sa fonction principale de première force politique en Europe. Le mensuel de l’Ours en aura été l’un des nombreux promoteurs de renaissance.

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 Olivia de Havilland devait posséder un élixir de jouvence. Elle était la deuxième actrice la plus âgée au monde, la première étant celle qui la doublait en français, Renée Simonot, qui est la maman de Catherine Deneuve, et qui fêtera le 10 septembre son 109e anniversaire.

Mercredi 29 juillet

 La pandémie reprend vigueur un peu partout en Europe, et des craintes -  pour ne pas dire des angoisses – naissent chez ceux qui ont quitté leur domicile pour s’en aller vivre deux ou trois semaines sous des cieux cléments et dans des paysages bucoliques. Mais l’évasion implique la détente ; et la promenade suscite la flânerie. Des vacances dénuées d’insouciance, sont-ce vraiment des vacances ?

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 Le pèlerinage de La Mecque s’ouvre avec l’impératif de ne rassembler que 10.000 fidèles tirés au sort au lieu de 2,5 millions comme il est de coutume. Aux règles habituelles (port du masque, distanciation physique…), on y ajoute l’interdiction de toucher le catafalque. Un pèlerinage sans communion collective, est-ce vraiment un pèlerinage ?

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 Plusieurs ONG dont Amnesty dénoncent des cas de tortures en Turquie, notamment à l’encontre de journalistes. « Ils inventent, ils mentent, ils affabulent ! » Erdogan n’a pas encore réagi mais quand il réagira, c’est ce qu’il dira.

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Il était temps qu’une femme de talent rabatte le caquet des hurleuses dont les sujets de vocifération imprécis donc injustifiés amoindrissent le combat  féministe. Mazarine Pingeot signe dans Le Monde une tribune où elle ne mâche pas ses mots, disqualifiant « les extrémistes de la médiocrité qui se complaisent dans la morale. » Il était temps. La macronie commençait à se laisser moisir en acceptant que le droit succombe à la morale. Mazarine ne néglige rien. Elle n’oublie pas que les mauvaises leçons de mœurs ont aussi rongé le domaine de la création : « Et l’art dans tout ça ? Des livrets de vertu qu’on distribuera au seuil des nouvelles églises ? » Il faut s’attendre à ce que les réseaux sociaux fassent de la soupe.

Jeudi 30 juillet

 L’auteur lui-même le précise : c’est un « petit essai », peut-être une commande. Mais Hubert Védrine est un homme sérieux, brillant analyste de géopolitique, un observateur avisé de la marche du monde. Quand il s’interroge sur la crise sanitaire en cours, il sait dégager les antécédents, connaît les statistiques, avance des éléments objectifs, parfaitement avérés, qui entretiennent les questions impossibles à résoudre, surtout lorsque cette période angoissante aura disparu. Contrairement à ce que pourrait laisser croire le titre de son opuscule, il ne prédit point, il se contente de prévoir et de laisser des balises élémentaires afin de recouvrer une sagesse d’humains habitant une planète dont ils ne sont pas devenus les maîtres, ne leur en déplaise (Hubert Védrine. « Et après ? », éd. Fayard).  Et puis, ce livre possède malgré lui une autre qualité : il pose et plante le décor pour une réflexion philosophique magistrale conduisant à quelques pistes concrètes qu’il sera essentiel, pour l’homme d’emprunter. Edgar Morin, 99 ans et toute sa tête, ne prédit pas non plus et il ne prévoit pas davantage. Il propose. Il suggère. Il explique comment il faudrait que la vie s’organise en société après avoir tiré les leçons de cette redoutable pandémie. Pour énoncer ses chemins d’avenir, il dispose de quelques outils, ceux qu’un siècle d’existence à chercher, à se battre, à s’engager au service de l’humanité lui ont fournis. De ces chemins d’avenir, pour celui qui souhaite participer à la res publica, voici la feuille de route. Reste à y calquer le programme politique propre à son idéologie, et voilà au moins trois décennies à planifier. Que tous les aspirants phares de la gestion démocratique en fassent donc leur livre de chevet (Edgar Morin, avec la collaboration de Salah Abouessalam. « Changeons de voie. Les leçons du coronavirus », éd. Denoël)

 Et pour le citoyen, plus question de s’évanouir dans des tribunes libres assommantes de bêtises où les futurologues de pacotille côtoient les vendeurs de panades à malices. Lire ces deux ouvrages lui épargnera de plonger dans les fadaises des penseurs qui remplissent les gazettes et occupent les plateaux de journaux télévisés. Méditer les derniers mots de Morin lui donnera aussi l capacité de vouloir que le plus beau reste à venir : « Je sais que, dans l’aventure du cosmos, l’humanité est de façon nouvelle sujet et objet de la relation inextricable entre d’une part ce qui unit (Éros) et d’autre part ce qui oppose (Polémos) ainsi que ce qui détruit (Thanatos). Le pari d’Éros est lui-même incertain, car il peut s’aveugler, et il demande de l’intelligence, encore de l’intelligence, comme de l’amour, encore de l’amour ».  

Vendredi 31 juillet

 Trump décide le retrait d’Allemagne de 12.000 GI. Soit. C’est une bizarrerie de plus… Mais il ne prévoit pas que ces soldats rentrent au pays ; non, il compte en déménager 6000 en Belgique et 6000 en Italie. L’État italien a-t-il été consulté ? No lo so. En tout cas, Philippe Goffin, le ministre belge des Affaires étrangères, n’en sait rien. Il apprit la décision par la presse. Certes, il lui arrive souvent de tomber des nues, mais quand même…

 Il faut attendre la 12e page du journal Le Soir pour en avoir l’écho. Certes, nous sommes à 95 jours de l’élection présidentielle. Si Trump n’est pas réélu, ce transfert ne s’effectuera pas. Mais quand même…

 Le Soir et Trump, encore. Se voyant mal parti dans les sondages, Donald-le-président lance l’idée de reporter l’élection, coronavirus oblige. Tous les médias reprennent l’information en précisant que Trump « évoque »… Le Soir titre « Trump menace de reporter »… Non ! Il ne menace point parce qu’il n’a pas la possibilité de menacer ici, car il n’a pas le pouvoir. C’est le Congrès, et lui seul, qui, constitutionnellement, peut modifier le calendrier électoral. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’en a pas l’envie… Certes, Trump est nul et il essaye tout. Mais Le Soir, quand même…

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  Dans Le Point, Michel Richard bouscule un peu François Baroin : « Il joue au Roi du silence mais à force d’être muet, ses meilleurs soutiens finissent par se demander s’il a quelque chose à leur dire. Le maire de Troyes, fils spirituel de Jacques Chirac, vient d’avoir 55 ans. S’il se décidait à être candidat pour 2022, la droite ferait bloc derrière lui. Mais on le dit paresseux… 

                                                                        *

 L’Exécutif des Musulmans de Belgique recommande la suppression de la prière du vendredi dans les mosquées de la province d’Anvers. Après les mesures limitant le pèlerinage de La Mecque, il faut se rendre à l’évidence : Allah tout puissant ne peut rien non plus contre le Covid-19.

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