DU CÔTE DES AMIS DANOIS (première partie)

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Ecole publique de Virum

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En fait, le Seeland est une île du Danemark dans la Baltique, entre la Suède et la Fionie, baignée par le Sund, où se trouve Copenhague, groupant près de la moitié de la population de l’île. L’été, les génisses paissent dans les plaines, les moulins à vent tournent leurs larges ailes et de bois profonds surgissent des vélos insouciants.

En hiver, le vent glacé de l’Oresund souffle en rafales jusqu’à engourdir les os et obliger le visiteur à chercher la chaleur dans l’intimité douillette des habitations. Moment idéal pour devenir « ami » des danois et démentir le cliché trop facile d’un pays « amas de boue, de craie et d’eau », même si H.C Andersen estimait son peuple «bien adapté à ces îles marécageuses, vertes de moisissure».

Pendant cette saison, pas de baignade ni de siestes dans les hamacs. Il reste les promenades en forêt, les balades à vélo et surtout les visites aux amis.

Au pays de Kierkegaard, on a trop le sens du fragile, du précaire, de ce qui s'effondre, pour ne pas savourer les petits plaisirs du quotidien et Copenhague n'est qu'à 1h30 d'avion de Paris.

Marianne est bien au rendez-vous, pour parcourir ensemble la route côtière de la Seeland du Nord, de Helsingor à Copenhague, joliment nommée Route Margrethe en souvenir de cette grande souveraine du Moyen-Âge, qui institua la présence d’une auberge tous les 30 km pour assurer le gîte du voyageur.

Les bus réguliers ont remplacé les loueurs de chevaux et les maîtres de poste, pour relier les différentes étapes

Rêves de lumières

D’où vient dans la peinture danoise du XIXè siècle, cette inclinaison à une langueur diffuse ? Cette soif de luminosité et de simplicité est bien présente chez les impressionnistes qui avaient formé une communauté à Grez-sur-Loing, vers 1880, avant de capter à Skagen, petit port au nord du Danemark, « l’heure bleue », cet instant du crépuscule où la mer du Nord et la mer Baltique se rejoignent dans une même couleur lavande

Ce puissant état d’âme, nimbé d’angoisse, on le retrouve dans deux lieux complémentaires Louisiana et la Glypthothèque.

Louisiana est un lieu unique, en bord de mer, au nord de Copenhague, face aux rivages de la Scanie suédoise, pour rappeler que le Danemark s’est assuré depuis son âge d’or entre 1830 et 1850 une suprématie dans les arts plastiques. Maintenant, Il accueille bien volontiers les créations étrangères dans un décor où règne l’harmonie et en hiver, la neige immaculée donne un relief saisissant aux 60 sculptures, installées dans un grand parc d’arbres aux essences rares.

Dans le bâtiment aux vastes murs et aux planchers bruts, les œuvres du pop art et du néo expressionnisme sont là pour revigorer le regard. Ici on comprend pourquoi un surréaliste ajoute du rouge vif aux chevelures des femmes pour les rendre plus belles, comme pourrait le faire un Rubens. On peut prendre du temps aussi pour capter les iris aux couleurs tendres d’un Hockney ou les fleurs peintes comme des sexes de femme de Georgia O’Keeffe. Les portraits de proches, de familiers de Kossov résument bien l’esprit d’un espace muséal comme Louisiana : la proximité avec les œuvres, jusqu’à sentir la respiration de leurs créateurs. Ici, l’accueil est affable. Des petites bougies ont été installées à côté des toiles pour créer une ambiance intime.

Cette simplicité, proche du dépouillement, on la retrouve à la Glyptothèque de Copenhague, où le visiteur peut s’arrêter ou bouger à sa guise pour retrouver les lumières du sud. Même si Kierkegaard nous dit que l’apprentissage de l’angoisse est le suprême savoir, la peinture des impressionnistes est d’une aide indispensable pour égayer notre triste condition

Une partie de l’âme danoise se trouve en effet dans ce remarquable témoignage de l’architecture moderne scandinave. Carl Jacobsen, brasseur de son métier, rêvait d’accrocher aux cimaises de son musée les déjeuners sur l’herbe de Bonnard, les citronniers en fleurs de Monet et la peinture dépouillée de Van Gogh dans son paysage à Saint-Remy.

Dans le jardin d’hiver recouvert d’une grande verrière, le bruit d’une eau qui coule, quelques sculptures inoffensives, entourées de poissons rouges, des arbres exotiques inclinent le visiteur à chasser un instant cette douce et vague tristesse que les danois appellent Veemod, entouré de groupes de scolaires étonnement attentifs et disciplinés.

Fraternité de femmes à Virum

On peut facilement s’égarer à Virum, petite localité située dans une banlieue plutôt cossue du nord de Copenhague. Qu’importe !. Impossible de localiser la maison de Marianne. En remontant les rues, à un moment donné, la mémoire se bloque et les points de repère s’effacent. Pourtant tout est bien place, mais il manque un élément du puzzle. Finalement, les maisons même si elles se ressemblent s’ouvrent facilement et leurs occupants indiquent bien volontiers le chemin correct pour arriver enfin à destination.

Comme la Babette du fameux roman de Karen Blixen, Marianne Stürup a préparé un dîner, selon le grand art de la cuisine danoise. Ancienne professeur dans une école professionnelle, elle a composé un repas où les saveurs sucrées des plats s’allient à une touche d’acidité. Heureuse harmonie qui dissipe toute mélancolie et crée chez les convives un état de bonheur simple.

Marianne n’a pas oublié les années de jeune fille au pair pour apprendre le français, cette langue dit-elle, «m’a permis de décider, par moi-même, certains choix de ma vie». Et maintenant, la disciple de Simone de Beauvoir elle est devenue une véritable artiste du goût culinaire, capable d’enchanter les anges.

Proches de la maison de Marianne, des chemins de terre rejoignent le lac de Virum, où les promeneurs retrouvent la compagnie des poules d’eau et des canards facilement apprivoisés. Au loin, le soleil couchant illumine un manoir élégant, d’apparence isolé, où le monde chante, danse. Au bout d’un sentier poudré de blanc, de grands arbres dénudés laissent entrevoir un véritable pavillon de chasse du XVIIe siècle. Plusieurs familles y vivent et partagent ensemble une expérience de vie communautaire. Ainsi, les charges de location peuvent être équitablement partagées entre les co-locataires, qui tiennent à garder un esprit ouvert et tolérant. D’ailleurs, la cooptation entre eux est la règle.

Gunhild une amie de Marianne, accueille sans façon ses hôtes, autour d’une grande table ronde, dans une des pièces communes. La salle à manger a noble allure, avec ses carreaux rustiques et ses grandes fenêtres à croisillons laissant entrevoir une futaie sombre de bouleaux. Une lumière paisible se reflète dans cette pièce rustique et les bougies allumées pour la circonstance créent une douce quiétude.

Le thé ou le café ont un goût particulier et la préparation d’une collation répond quand même à un rituel précis. Ce sont les petits détails qui créent l’harmonie du moment. Et Gunhild parle brièvement de sa recherche d’un nouveau job pour avouer quand même que « toute seule, elle ne pourrait pas profiter d’un tel cadre ».

Cette complicité de femmes entre elle et Marianne autour d’un bouquet de myosotis rappelle quelque chose de beau. Ingmar Bergman parle de fraternité, d’un sentiment absolument neuf- ou peut-être extrêmement ancien qui lie les femmes entre elles, qu’importe leur âge et qui n’a pas d’équivalent parmi les hommes. La femme scandinave, fantasme de l’homme latin, avec sa compassion, son rôle de consolatrice, admirablement dépeint dans les films du grand cinéaste suédois.

On sent chez Marianne ou Gunhild une force qui peut intimider ceux qui croisent leurs yeux clairs. Froideur ? Assurément non. L’exubérance chez les danois est plutôt un sentiment intime. Et Marianne, en bonne native de Fionie, l’île proche de Seeland rappelle que « la nuit est à nous, les femmes, ne vous en mêlez pas ».

On quitte à regret cette demeure étrange et la balade s’achève par une visite chez le créateur d’un ensemble musical unique en son genre. Knud Wissum a consacré sa vie de musicien à préserver de l’oubli un vieux fonds de chants et de danses du Groenland. Peut-être, avait-il besoin, en prenant sa retraite de retrouver dans sa maison un décor de neige et de nuit au goût d’étoile fraîche pour écouter ces mélodies, inspirées des vieux mythes eskimos.

Tôt dans la matinée, Marianne propose de visiter l’école publique de Virum, où elle a enseigné les cours de cuisine. «Je vous donne les recettes, vous préparez les repas », suggère Marianne à un groupe d’adolescents de 15/16 ans. Beaucoup d’applications pratiques dans cet établissement, étendues aux soins dentaires et même à un étonnant atelier de couture où l’on retrouve des garçons pas du tout dépaysés.

« Il faut donner du temps aux enfants. Temps de jouer, de rêvasser, de s’épanouir. Le temps de vivre son enfance avant de devenir adulte » tient à préciser le jeune professeur de français, une autre Marianne.

La vision des petits français, le cartable lourdement chargé à la rentrée des classes ferait frémir tout parent danois. C’est vrai qu’ici, l’écolier peut se sentir gâté, bénéficiant d’un mobilier confortable,de plantes vertes, d’un terrain de jeux, d’équipements de sport, d’une salle de théâtre, d’une piscine, d’ateliers de photographie, de sculpture…
54% des jeunes danois choisissent la filière des écoles professionnelles. Et un danois sur trois ira aux cours du soir, car ce peuple dîne tôt et consacre de longues soirées aux activités culturelles

Avant de quitter Virum, rencontre avec Elizabeth Siemen. Bien sûr elle est blonde, grande, les yeux clairs et un sourire franc. Mais cette femme avenante de 47 ans, habillée en cuir tendance est surtout « le curé » de la paroisse. Elle revient d’un long séminaire dans une ville du Schleswig Holstein, où des théologiens comme elle ont conversé sur Shakespeare et René Girard

L’église au Danemark ouvre un horizon nouveau face aux églises en France glaciales et peu remplies. Avec Elizabeth, dans la chambre verte fraîchement repeinte du presbytère on cesse de parler de morale privée pour s’occuper de questions sociales et de s’impliquer davantage.

Les enquêtes au sein de l’église danoise indiquent que 85% des fidèles ne voient pas d’objection à la perspective de femmes évêques. Quiconque lit l’histoire de l’église ne peut pas ne pas être impressionné par l’apostolat des femmes chrétiennes tout au long des siècles.

Pourquoi l’Histoire s’arrêterait-elle ?

Thierry Quintrie Lamothe
Auteur / reportages

 

Glyptothèque à Copenhague

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Louisiana (Musée d'Art Contemporain)

La dernière tout en bas : Marianne et son amie Gunhild

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