Arts plastiques - Deux expos et un livre…

Une édition originale

Par | Penseur libre |
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Quentin Smolders –Sculptures et dessins 1980-2020. Editions du Scarabée

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La nouvelle exposition d’Angelo Vullo frappe encore une fois par un impact inattendu et néanmoins fidèle, donnant à son parcours déjà long une respectable cohérence.

On le sait, le peintre a été formé notamment à l’Ecole de Recherches Graphiques (ERG) de Bruxelles à l’époque où Pierre Sterckx et Roland Jadinon ouvraient les yeux, si l’on peut dire, à de jeunes étudiants avides de créativité à tout-va. Parfois un peu confusément puisque, quand on a dix-sept ans… on est pas toujours sérieux. Mais avec Sterckx on passait de Warhol à Vermeer et de Hergé à Uccello, tandis que Jadinon, quand il s’agissait de juger d’un rapport de couleur, demandait à son élève : « … As-tu mis tes yeux…? ».

Dès les années 80, Angelo Vullo entame donc un parcours en peinture aussi pointu qu’exigeant. Le motif, la paterne, la répétition et tout ce que cela engendre comme jeu perpétuel sur la vision font naître dans son atelier une suite de périodes toujours changeantes et évolutives. Un chemin rigoureux a été suivi et exploré faisant de chacune des œuvres de l’artiste une sorte d’instantané, fruit de la lumière, de ses multiples naissances et de ses mûrissements.

Des lignes à n’en plus finir – Un espace en perpétuel réagencement.

De gauche à droite, du zénith aux entrailles de la terre, les compositions en médiane se succèdent en mutations permanentes, en glissements dégradés, en couleurs confrontées et leurs résultantes infinies. Ces toiles ne sont ni matiéristes ni texturées mais la facture générale du tableau vibre du seul jeu chromatique et de son organisation.

Quelle est la surface d’une ligne ? Les bandes successives révélées par coupures et scansions de surfaces, les vibrations du spectre chromatique ne suffisent pas à faire comprendre le mystère des choix qui sont faits ici. Car Vullo ne crée pas d’accords séducteurs, les harmonies n’en sont pas, si l’on regarde la couleur pour ce qu’elle est. C’est la perception de l’ensemble qui allume la mécanique de l’œuvre. Á chacun de trouver son point de vue efficient, sa position à bonne distance comme disait Mallarmé. Tout recul pour percevoir l’émotion artistique étant personnelle et physiologique, quelque chose se passe alors et ne s’arrête plus.

Non, l’abstraction géométrique n’est pas froide. Comme le précisait Pierre Sterckx à propos de la peinture d’Angelo Vullo, « dans ces réseaux, c’est le sensible que l’on géométrise ». Les toiles de cette exposition proposent un nouvel état des lieux de cette recherche fondamentale qu’est, pour les peintres, le domaine de la couleur. Accrochage pertinent et beauté du lieu font de cette belle exposition un moment privilégié.

Bon sang mais c’est bien sûr : les « Constructions » et autres « Paysages » d’il y a quelques années continuent leurs « Variations » de leur juste cheminement.


Variations - peintures récentes d’Angelo Vullo

Jusqu’au 3 juillet - Galerie Marc Minjauw - Place du Jeu de Balle, 68 à 1000 Bruxelles


© Angelo Vullo Variations 2022


Le Prix Elisabeth Burdot, accueilli à la Galerie Marie-Ange Boucher, se veut un soutien à la jeune création. Ce nouveau Prix a été imaginé par l’ancienne journaliste décédée l’an dernier et dont cette première édition 2022 a été placée sous le signe d’œuvres picturales d’expression libre en peinture et en dessin.

Trois lauréats ont été sélectionnés par le jury. Qui a également octroyé une quatrième mention spéciale. Celle-ci a été attribuée à Aymeraude du Couëdic formée à la Cambre et qui présente de grands fusains à la technique éblouissante, montrant de jeunes amis et amies dans un réalisme photographique soutenu et virtuose. Ici et là dans les visages ou dans les corps, des manques du dessin, en guise d’absences momentanées et parcellaires, donnent aux œuvres une originalité accrue. Ces petits vides se révélant à l’occasion de véritables identités formelles.

Parmi les trois lauréats victorieux, Michiko Van de Velde a été remarquée pour un ensemble de paysages à l’huile faisant apparemment écho à un certain maniérisme de photographie pauvre, rencontré dans tout un pan de la peinture contemporaine, mais d’une sensibilité néanmoins particulière et prenante. Visions mélancoliques et douces-amères, ces peintures aux tons tristes peuvent évoquer la lenteur et l’immobilisme d’un certain cinéma Durassien.

Antoine Waterkein, depuis son Prix Godecharle 2019, a bien évolué dans la facture même de ses œuvres. Son travail, imprimé sur alu, a changé au filtre d’une transposition numérique de ses compositions, sans perdre en picturalité. Ses tableaux y gagnent notamment en précision, en brillance, en explosions allusives de l’image… Son pointillisme à la Seurat y devient forcené, chromatiquement violent et joliment fou. On se perd alors avec délices dans ces livres d’images où l’on retrouve des espaces habités de chevaux, de parasols, de Napoléon en sucre d’orge et autres pantins d’armées anciennes ou de contes surannés. Les œuvres, découpées sur panneaux, risquent parfois la peinturlure et le fatras forain mais peut-être, au fond, la chose est-elle assumée. Ne boudons donc pas notre plaisir car il y a ici de la joie créative, de l’invention débridée et toutes les protubérances d’une vitalité Rimbaldienne.
« J’aimais les peintures de dessus de portes ».

Enfin, force est de reconnaître l’exceptionnel apport de Peter Depelchin dans cette exposition. Formé à Gand en gravure, en lithographie et en dessin, cet artiste s’est perdu semble-il (mais n’est-ce pas le lot de tout artiste que de se perdre ?) dans les méandres iconographiques de l’Histoire. Une Histoire de l’Art à la fois rupestre, ésotérique et baroque. Il y a fréquenté l’immense univers des graphies des temps anciens et modernes. On y croise Dürer et Moëbius. Ses compositions souvent solennelles, comme taillées sous le manteau d’une presse illégitime, voire scandaleuse, étonnent et détonnent. Dans ce Théâtre mental, s’entrelacent la mort, la naissance, le corps et le vif-argent, joués par des figures médiévales ou des animaux de légendes. L’œuvre au Noir, au rouge, au bleu, …mais en plein jour. L’artiste intervient partout à la surface d’un format monumental avec un trait changeant, précis, scalpellisé et parfois absurde dans ses errances. Des rehauts de tons clairs à la manière des enluminures du XIème siècle participent à cette audace permanente. Et le dessin plonge alors dans le présent, encombré d’imaginaires oubliés et qui n’ont plus de sens.
Une œuvre que l’on voudrait toucher du bout des doigts et caresser à contre-pli, un travail audacieux qui nous emporte, consentant ou non, irrémédiablement étonné du contenu presque infernal de notre patrimoine émotif.

Longue vie au Prix Elisabeth Burdot qui montre, s’il le fallait encore, que la jeune génération est également présente sur la scène artistique en Belgique et pas seulement dans les académiques émanations du trop souvent conformiste street art.


Prix Elisabeth Burdot
jusqu’au 26 juin
Galerie Marie-Ange Boucher
5, avenue du Grand Forestier, 1170 Watermael-Boitsfort


© Aymeraude du Couëdic - détail


© Michiko Van de Velde - huile sur toile


© Antoine Waterkein Impression sur aluminium - Détail


© Peter Depelchin - détail


Signalons enfin la parution aux éditions du Scarabée d’un bel ouvrage sur le travail de sculpture de Quentin Smolders. Edité à l’occasion de sa dernière exposition à la galerie ABC de Bruxelles, le livre reprend 40 années de travail de la pierre bleue ou blanche, granit ou marbre, mais également du bois dans tous ses états. Bonheur précieux, le livre regorge de dessins. Judicieux rappel de l’importance révélatrice des dessins de sculpteurs. Car rapides, effrénés, interrogatifs, ceux-ci témoignent toujours d’une urgence visuelle en quête de solutions multiples du corps de l’œuvre et de l’arrivée cruciale de la lumière sur elle.

L’artiste, fils du sculpteur Michel Smolders, est aussi peintre et graveur et se passionne pour toutes les métamorphoses du vivant. Le monde des insectes et ses étrangetés l’ont rendu chercheur et collectionneur des insondables mystères liés à la vie et à ce qui concerne l’évolution constante des êtres et des choses.
Á lire, ce court chapitre Morphogenèse où Quentin Smolders évoque son intérêt pour le lien étroit et déjà ancien entre les sciences et les arts ; dans ces lignes, il s’y dévoile encore en évoquant Roger Caillois, l’homme des pierres. Théodore Monod n’est pas loin et l’on se souvient avec émotion du vieil homme se penchant sur un caillou perdu et y lisant comme à ciel ouvert l’origine de l’humble galet, le lieu probable de sa pétrification et ce qu’était son paysage avant lui…

Quentin Smolders s’inscrit dans la mémoire et le respect de l’histoire de la sculpture. Frottée parfois de cubisme ou d’abstraction, chaque pièce pourtant semble nouvelle à nos yeux. Pas de tabula rasa, chère à certains artistes contemporains; mais bien la résonnance d’une modernité qui perdure dans ses désirs de scruter les identités tangibles de ce qui fait notre monde.

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Vie et mort de la forme, mouvement des forces du vivant, spécificités animales, ses sculptures disent notre monde depuis qu’il est monde en devenir.

Boris Almayer

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