Pour déjouer la propagande de guerre

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Léonid Brejnev et Gerald Ford lors de la signature du Traité d'Helsinki le 1er août 1975. C'était l'acte final de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe. Photo © Vladimir Moussaelyan/TASS

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Rien de tel que de bons livres d’analyse pour comprendre le phénomène complexe qu’est la propagande. Surtout ces derniers mois qui ont vu déferler dans nos journaux et sur nos antennes un étonnant ramassis de fausses nouvelles, de faits déformés, de supputations présentées comme des événements qui vont certainement se produire… Un festival de propagande moderne amplifiée encore par les réseaux sociaux et toutes les ressources de la communication numérique mondialisée. 

« La propagande est une tentative d’influencer l’opinion et la conduite de la société de telle sorte que les personnes adoptent une position et une conduite déterminée. » ; cela c’est la définition de Bartlett dans « Political propaganda », citée par Jean-Marie Domenach dans son opuscule « La propagande politique » paru aux PUF en 1969… Ce qui ne nous rajeunit pas mais nous rappelle les énormes mensonges proférés par les autorités américaines (Henry Kissinger en tête) en pleine guerre du Vietnam. 

Mais de cela, Jean-Marie Domenach ne parle pas, il se concentre sur la propagande de type léniniste et de type hitlérien. Il raconte l’origine de ces propagandes de plus en plus sophistiquées : l’évolution de la publicité aux Etats-Unis principalement qui, d’informative, est devenue suggestive car elle se base sur les récentes découvertes en matière de physiologie, de psychologie et même de psychanalyse. « On mise sur l’obsession, sur l’instinct sexuel, etc. » Avec de bien beaux résultats comme « celui de faire naître le besoin » chez le consommateur hypnotisé par la pub.

« Formidable découverte qui sera décisive pour les ingénieurs modernes de la propagande : l’homme moyen est un être essentiellement influençable ; il est possible de lui suggérer des opinions qu’il tiendra pour siennes, de lui ‘changer les idées’ au sens propre. » Du commercial, nos propagandistes ont fait merveille en politique ce qui a créé l’assentiment de peuples entiers aux crimes contre l ’humanité que furent les massacres hitlériens et staliniens. Et un des outils primordiaux de cette propagande de guerre fut la presse (écrite et déjà la radio). Jean-Marie Domenach explique avec quelle remarquable perspicacité et efficacité, Goebbels a manipulé la presse pour obtenir l’adhésion de la population à la guerre d’abord, au génocide des Juifs, des tziganes, des homosexuels, des handicapés ensuite.

Les techniques mises au point par Goebbels sont toujours d’actualité. Car elles reposent sur des principes élémentaires que nous résume Anne Morelli dans la plus récente édition des « Principes élémentaires de propagande de guerre. Utilisables en cas de guerre froide, chaude ou tiède… »

Précipitez-vous sur ce livre, il est bien d’actualité ! On résume les dix principes auxquels vous pouvez associer vous-mêmes des éléments de ce qui se passe dans le monde :

1.  Nous ne voulons pas la guerre

2. Le camp adverse est seul responsable de la guerre

3. L’ennemi a le visage du diable (ou « l’affreux de service »)

4. C’est une cause noble que nous défendons et non des intérêts particuliers

5. L’ennemi provoque sciemment des atrocités ; si nous commettons des bavures, c’est involontairement

6. L’ennemi utilise des armes non autorisées

7. Nous subissons très peu de pertes, les pertes de l’ennemi sont énormes

8. Les artistes et intellectuels soutiennent notre cause

9. Notre cause a un caractère sacré

10. Ceux qui mettent en doute la propagande sont des traîtres

Anne Morelli nous détaille, entre autres, un exemple particulièrement cruel de lynchage médiatique d’artistes, d‘intellectuels et de journalistes lors de la guerre contre la Yougoslavie, contestant les informations qui circulaient dans une opinion publique superbement manipulée par le porte-parole de l’OTAN Jamie Shea.

23 ans après, nous en sommes au même point de désinformation et de propagande avec l’actuelle guerre « tiède » entre les Etats-Unis et la Russie.

Les mensonges des Etats-Unis

Voici quelques exemples collectés dans les archives historiques :

  • en 1964, les USA affirmaient que l'armée nord-vietnamienne avait attaqué un destroyer US dans le Golfe du Tonkin, ce qui a permis au président Johnson de prendre les pleins pouvoirs pour engager son pays dans la guerre du Vietnam. La résolution était préparée depuis plusieurs mois.
  • 14 octobre 1990 : l’accusation de couveuses débranchées par l'armée irakienne a été lancée devant le congrès US par la fille de l'ambassadeur du Koweit aux Etats-Unis, en sanglots et déguisée en infirmière ; cela a largement provoqué le soutien de l'opinion en faveur de la première guerre contre l'Irak.
  • 1999 : les USA mettent en scène un « massacre délibéré de civils par les forces serbes » à Racak pour provoquer la guerre du Kosovo. Il s'agissait en réalité d'une opération de l'armée yougoslave contre les terroristes de l'UCK, - opération où avait été conviée la presse internationale. L'équipe médico-légale de l'Union européenne, dirigée par Helena Ranta fut pressée par son propre gouvernement (Finlande) et par William Walker (diplomate américain) de déclarer que Račak était effectivement un massacre de civils et un crime contre l'humanité, ce qu'elle accepta finalement de déclarer, alors qu'elle n'avait encore jamais enquêté sur les lieux du crime. Ensuite, Helena Ranta n'a cessé de se rétracter et de se plaindre des pressions politiques exercées contre elle pendant son travail. Dans sa biographie publiée en Finlande en 2008, elle explique7 : « Walker voulait que je déclare que les Serbes étaient derrière [le massacre de Račak] afin que la guerre puisse commencer ». https://fr.wikipedia.org/wiki/Massacre_de_Ra%C4%8Dak
  • 2003 : Brandissant une petite fiole d’anthrax, Colin Powell a tenté de prouver devant les Nations Unies l’existence d’armes de destruction massive aux mains des Irakiens. Il a reconnu après avoir été trompé par les services secrets US.
  • 2011 : Les insurgés libyens soutenus par l'Otan affirment sans preuve que le gouvernement libyen a bombardé les manifestants pacifiques et provoqué des milliers de morts civils, et les pays de l'Otan agitent la perspective d'un massacre imminent pour lancer la guerre (en arrachant l'abstention honteuse de la Russie au Conseil de Sécurité).
  • 2013, attaque chimique de la Ghouta en Syrie plus que probablement mise en scène par les islamistes mêmes dans l'espoir déçu d'une implication directe des USA, puisqu'ils l'avaient promis en cas d'attaque chimique. Des experts US en armements ont depuis catégoriquement réfuté que l'armée syrienne puisse matériellement en être responsable :  https://www.documentcloud.org/documents/1006045-possible-implications-of-bad-intelligence.html

https://www.lepoint.fr/monde/attaque-chimique-en-syrie-le-rapport-qui-derange-19-02-2014-1793755_24.php

https://www.investigaction.net/fr/des-lanceurs-dalerte-de-loiac-denoncent-le-rapport-lattaque-chimique-de-douma-en-syrie-a-ete-mise-en-scene/

En mai 2019, un inspecteur de l’OIAC a déclaré que la direction de l’OIAC avait supprimé une évaluation technique interne contredisant l’affirmation selon laquelle la bouteille de gaz serait tombée du ciel. En novembre 2019, un deuxième lanceur d’alerte de l’OIAC a présenté des affirmations supplémentaires selon lesquelles la direction de l’OIAC avait manipulé les conclusions de ses propres inspecteurs après avoir subi les pressions de responsables américains.

La fabrication de la crise ukrainienne

« Nous serons attentifs à ces opérations où la Russie fabrique un événement dramatique pour justifier une attaque, un jeu que nous avons vu se dérouler dans le passé … », déclare le secrétaire américain à la Défense Lloyd Austin à propos de l’Ukraine. Un « jeu » dans lequel les étatsuniens sont passés maîtres : la crise actuelle trouve ses racines en 1990, dans les promesses faites à l’URSS de ne pas étendre l’OTAN à l’Est. Sur le site « Les crises.fr » vous trouverez une longue analyse illustrée de documents authentiques démontrant que les USA avaient même promis à la Russie d’intégrer l’OTAN. Ensuite, l’administration Clinton annonce vouloir étendre l’OTAN aux pays de l’Est, ce qui provoque la réaction ferme de Boris Yeltsine indiquant que c’était contraire aux accords de 1990. En 1993 le secrétaire d’Etat Christopher assure qu’il n’y aura pas d’élargissement de l’OTAN mais bien un « partenariat pour la paix ».

Au fil des années, les USA ont maintenu leur projet d’extension de l’OTAN aux pays de l’Est. A présent, devant la réaction du président russe Poutine, amassant des forces aux frontières de l’Ukraine, les Américains accusent à l'avance les Russes de créer l’incident grave qui mettrait le feu à la poudrière. Mais ils ouvrent ainsi la porte aux exactions des milices d’extrême-droite ukrainiennes Azov et autres qui brûlent de reprendre le Donbass par la force en mettant aux orties les accords de Minsk.

Et voilà comment les Etats-Unis incitent à la guerre, sur un territoire qui n’est pas le leur, à leur seul profit et au détriment de la sécurité des Européens. Comment, aussi, ils contournent les instruments déjà existants comme l'Organisation de la sécurité et de la coopération en Europe (OSCE) parfaitement outillée pour gérer ce genre de conflits. Non, c'est l'OTAN qui sonne la trompette de guerre. A quand un sommet pour la paix aux Nations Unies? Et certainement pas au Conseil de sécurité qui porte bien mal son nom...

 https://www.les-crises.fr/expansion-de-l-otan-comment-on-a-fabrique-la-plus-grave-crise-depuis-la-fin-de-la-guerre-froide/

https://www.csotan.org/

  • La propagande politique. Jean-Marie Domenach. Presses Universitaires de France. Que sais-je ? n° 448. 1969.
  • Principes élémentaires de propagande de guerre. Anne Morelli. Editions Aden. 2010

La Fondation Henri La Fontaine appelle à la paix

Lettre ouverte à Mme Sophie Wilmès, Vice-Première ministre et ministre des Affaires étrangères, des Affaires européennes et du Commerce extérieur et des Institutions culturelles fédérales

 Madame la Vice-Première ministre,

 En 1920, Henri La Fontaine, Prix Nobel belge de la Paix (1913), concluait, au nom de notre pays, son intervention lors de la première session de l’Assemblée générale de la Société des Nations en affirmant : « Le seul problème, c’est d’avoir la volonté de faire cesser ce drame épouvantable. Et prenez garde. Si nous ne savons pas faire cet effort, ce sera un opprobre sur notre Assemblée et sur la Société des Nations. (…) de l’audace, Messieurs, encore de l’audace, toujours de l’audace ! »

Plus d’un siècle plus tard, force est de constater que notre monde manque cruellement d’audace. Le conflit largement médiatisé entre l’Occident et la Fédération de Russie, à grand renfort de propagandes appuyées par des mises en scène savamment orchestrées de dispositifs militaires, semble démontrer que le dialogue international est devenu quasi impossible. L’Organisation des Nations Unies est inaudible et c’est l’OTAN, étroitement cornaquée par les USA, qui mène le bal et déforme la réalité des menaces pesant sur la paix.

Or, l’histoire nous le rappelle, depuis des années l’OTAN masse des troupes et des armes aux frontières de la Fédération de Russie provoquant, plus récemment, les réactions fortes de Moscou. Les Etats-Unis n’avaient-ils pas promis, lors de la réunification allemande, de ne pas étendre l’OTAN à l’Est ?  Pourquoi, alors qu’après la chute de l’U.R.S.S. le Pacte de Varsovie fut dissous, n’en fut-il pas de même pour l’OTAN qui, en principe, perdait sa raison d’être ? C’est ainsi qu’on a vu l’OTAN appuyer les déstabilisations d’Etats du Proche et du Moyen Orient, décidées par les Etats-Unis.

 Cette politique de tensions permet de justifier le surdéveloppement des dépenses militaires (on se souvient des rodomontades du président Donald Trump face aux membres européens de l’OTAN, sommés d’augmenter les dépenses militaires avec, à la clef, l’achat de matériel militaire, américain de préférence. C’est ainsi que, pour l’achat de ses nouveaux avions de combat, la Belgique a choisi les F-35 américains au détriment des constructeurs européens. Et cela parce qu’il fallait que la Belgique s’aligne sur la politique d’armement nucléaire des Etats-Unis alors que cela n’a jamais été décidé démocratiquement chez nous.

Quoiqu’on pense du régime russe et de l’attitude autocratique du président Vladimir Poutine, il est temps de réfléchir sérieusement, et loin des blocs d’influence, au monde que nous voulons. La solution ne peut se trouver, comme le défendait Henri La Fontaine, que dans la construction d’un vrai multilatéralisme. En Europe, si absente ou si alignée, misons sur l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe et surtout revenons aux Nations Unies en mettant en œuvre les articles 46 et 47 de sa Charte qui prévoit la création d’un état-major auprès du Conseil de sécurité. Quant à l’OTAN, puisque sa dissolution n’a pas été programmée, il est temps de la réformer et de lui redonner un sens défensif (et non offensif) intégrant pourquoi pas et sous une forme à déterminer la Fédération de Russie.

Enfin, il est urgent que la Belgique signe le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires des Nations Unies (TIAN) afin de participer plus activement à l’élimination de la menace nucléaire dans le monde.

Madame la Vice-Première ministre, la Belgique a toujours su, au fil de son histoire, donner au monde des éclairages forts et apporter des solutions novatrices. Ainsi, Pierre Harmel fut un exemple pour notre diplomatie belge qui s’est illustrée en pleine guerre froide en contribuant à l’élaboration des Accords d’Helsinki. Quant à Louis Michel, il a su, avec grand talent, gérer des relations apaisées avec l'Afrique et imposer la voix de la raison au sein de grandes conférences onusiennes, notamment à Durban.

La vision d’Henri La Fontaine et de Paul Otlet, créateurs du Mundaneum, était la paix entre les peuples par les échanges de savoir. Ce pacifisme éclairé par l’intelligence et la connaissance devrait être un repère pour nos représentants politiques.

Madame la Vice-Première ministre, nous vous demandons de porter ce message dans toutes les enceintes où vous siégez, car, comme concluait Henri La Fontaine, « le seul problème, c’est d’avoir la volonté ».

Je vous en remercie.

Daniel Sotiaux, président de la Fondation Henri La Fontaine

- Fondation Henri La Fontaine : http://www.henrilafontaine.be/nos-actions/

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Merci !

 - Un livre pour éclairer l’actualité : « D’Henri La Fontaine à Donald Trump. La fin de l’utopie multilatérale ? » https://www.laicite.be/publication/dhenri-fontaine-a-donaldtrump-fin-de-lutopie-multilaterale/

 

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