Les complots prévisibles

Les calepins

Par | Penseur libre |
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Jeudi 9 août

 Le Kremlin réagit à des sanctions économiques américaines résultant d’une lointaine affaire d’espionnage : « Les Etats-Unis sont un partenaire imprévisible ». « Imprévisible », vraiment ? Ah bon ! …

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 La Chambre argentine avait voté de justesse la légalisation de l’avortement mais il fallait que le Sénat la suive pour que la loi soit promulguée. Entretemps, l’Église se mobilisa considérablement, appelant même le pape François - originaire il est vrai de ce pays – à son secours. On sentait la tendance basculer. Après une douzaine d’heures de débats, le vote advint : 38 contre, 31 pour, 2 abstentions. Les femmes d’Argentine mourront encore dans la clandestinité à cause d’une aiguille à tricoter mal orientée, ou bien elles iront en prison. Uniquement les femmes argentines pauvres ou à faible revenu bien entendu, car les riches viendront en Europe accomplir une escapade touristique de circonstance, comme autrefois les bourgeoises françaises, belges ou espagnoles qui allaient respirer l’air hollandais.  

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Si le film My Lady de Richard Eyre évoque le refus de la transfusion sanguine chez les Témoins de Jéovah et le dilemme qu’il dégage entre conscience et morale chez ceux qui rendent la justice, on peut le voir aussi comme l’histoire d’un couple qui se délite malgré lui à cause d’une magistrate trop absorbée par ses dossiers. L’affiche annonce Une performance exceptionnelle d’Emma Thompson. Les critiques la relayent. On ne peut que confirmer.

Vendredi 10 août

 La monnaie turque va très mal et elle entraîne dans sa chute toute l’économie du pays. On comprend déjà pourquoi Erdogan avait souhaité avancer les élections d’un an afin de raffermir son pouvoir il y a quelques semaines. Il faut désormais s’attendre à ce qu’il crie au complot, comportement classique des autocrates en difficultés. « Enfin, les difficultés commencent ! » Cette phrase du député socialiste Bracke-Desrousseaux saluant la victoire du Front populaire en 1936 ne convient guère à la situation du sultan qui ne pourra que recourir à la force devant un peuple moins soumis à son autorité qu’on ne le perçoit parfois. L’histoire de la Turquie est là pour le démontrer.

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 Plus de mille maires français ont démissionné de leurs fonctions, fatigués de ne plus être que des représentants administratifs tant le pouvoir central leur rogne des compétences. Á l’exception de l’état civil et des cimetières, on finira par les amputer de toute responsabilité. « On », c’est évidemment Macron, qui, imbus de sa personne, prend là un risque inconsidéré. Un phénomène à suivre et à creuser.

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 Des savants annoncent que le réchauffement climatique pourrait bien, dans quelques décennies, provoquer l’engloutissement de la ville de Vancouver. « Toi qui pâlis au nom de Vancouver » chantait Marcel Thiry… Le poète est prophète. C’était en 1924… « Pour déserter tu fus toujours trop sage… »

samedi 11 août

 Encore des sanctions étatsuniennes contre l’Iran. Tout cela parce que le pays des ayatollahs est soupçonné (bien que les rapports de l’agence internationale contredisent les propos) de continuer son programme nucléaire militaire. Deux résultats immédiats sont perceptibles sur place : 1. Les citoyens sont navrés ou révulsés.  2. Le développement économique est freiné qui provoque une baisse de popularité du président Rohani, chef d’État modéré. Les conséquences de ces résultats coulent de source : l’anti-américanisme gagne du terrain ; les faucons se préparent à revenir au pouvoir. Mais l’effet que la Maison-Blanche savoure surtout, c’est la perte de contrats juteux pour les entreprises européennes qui avaient saisi l’accord avec la puissance perse sur l’utilisation de l’énergie nucléaire comme facteur de relance commerciale. Une économie européenne plus faible ne peut que réjouir les Américains. Á cette diplomatie de petit bras, on attend un geste gaullien de la part de l’UE. Que l’un de ses éminents représentants (Tusk, Juncker ?...) leur lance « Nuts ! » Trump ne comprendra pas mais un historien de son entourage pourra lui expliquer.

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 « Les économistes sont présentement au volant de notre société alors qu’ils devraient être sur la banquette arrière. » Cette citation de John Maynard Keynes (1883 – 1946), le père de la macroéconomie, l’un des principaux protagonistes des accords de Bretton Woods a pris un peu d’âge mais comme le bon vin, elle a gagné en qualité donc en pertinence. Pour le plus grand malheur du politique.

Dimanche 12 août

 Embarquant 141 personnes recueillies au large de la Lybie, L’Aquarius est de nouveau à la recherche d’un port européen. Si le mouvement ne se veut pas perpétuel, il affirme néanmoins une certaine permanence. Comme on l’a vu pendant une décade à Glasgow et à Berlin, il y a peut-être dans cette embarcation un futur médaillé qui accomplira un tour d’honneur dans un stade olympique avec sur le dos le drapeau d’un des pays membres de l’UE…

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 Raphaël Enthoven consacre une émission à Jean-Sébastien Bach et la clôt en précisant : « Nous avons cette chance d’être nés après lui ». Une belle parole de philosophe qui entraîne l’auditeur vers la pensée de Cioran (De l’inconvénient d’être né), lui qui déclarait : « S’il y a quelqu’un qui doit tout à Bach, c’est bien Dieu. » Ou encore : « Si seulement Dieu avait fait notre monde aussi parfait que Bach avait fait le sien divin ! »

Lundi 13 août

 Une photo de la famille Trump réunie autour du patriarche en compagnie de ses principaux collaborateurs et tout à coup survient une phrase de Camus que l’on n’imaginait plus enfouie dans la mémoire : « La hideuse aristocratie de la réussite. »

Mardi 14 août

  Canicule, suite. Il n’est pas trop tard ! Cette interjection optimiste ou, à tout le moins volontariste à propos du climat est répétée depuis de nombreuses années. Cette semaine c’est The Guardian qui insiste et mobilise en titrant de long en large Ne désespérons pas ! Soit. Deux questions demeurent latentes : 1. Il n’est pas trop tard, tant mieux, mais où est la limite, le moment où il serait trop tard ? 2. Et que veut dire cette alarme ? Qu’adviendrait-il s’il était trop tard ? Angoisse et curiosité. Curiosité angoissante. 

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 Canicule, dernière retouche. « Comme il faisait une chaleur de 33°, le boulevard Bourdon se trouvait absolument désert. » Ainsi commence Bouvard et Pécuchet, roman posthume de Flaubert publié en 1881, qui a dû être écrit durant la décennie 1870, voire plus tôt (puisqu’on le situe souvent dans la tranche de l’œuvre touchant aux idées reçues, entamée dès 1850). Maniaque de la précision, Flaubert n’aurait jamais exagéré une température en imaginant l’impossible. S’il mentionne 33 °, c’est qu’il y eut à Paris au moins une journée d’été où le thermomètre grimpa jusque là. Dont acte.

Mercredi 15 août

 Un viaduc autoroutier s’est écroulé au-dessus de Gênes. On dénombre plusieurs dizaines de victimes. L’heure est aux commentaires et plus particulièrement aux recherches de responsabilités. Le journaliste du Corriere della Serra, au micro de la RTBF : « L’Italie est un pays qui a cessé de projeter son futur. » Voilà un constat qui dépasse l’analyse de la catastrophe et qui pourrait en annoncer d’autres. Si on remplaçait le mot « Italie » par le mot « Europe », l’affirmation garderait-elle sa pertinence ?

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 Sur la citadelle de Namur Les Misérables de Victor Hugo sont mis en scène par Jacques Neefs. C’est toujours une gageure de reproduire cette fresque littéraire en un spectacle vivant, surtout lorsque l’on ne dispose pas de moyens gigantesques. Neefs ne parvient pas trop mal à plonger le spectateur dans l’œuvre et à scander l’Histoire qu’elle reflète. Les puissantes phrases d’Hugo qui ponctuent les passages d’une scène à l’autre sont judicieusement choisies. Mais il a voulu forcer le trait de la vulgarité chez le couple Thénardier. Du coup leurs prestations deviennent burlesques. Le public rit. Dommage.

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