Itinéraire d'un lutteur: Alfred Grosjean, de la ferraille à l'économie circulaire

Chemins de traverse

Par | Journaliste |
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Alfred Grosjean est un ténor de la ferraille. Il a parlé de sa vie et de ses entreprises lors d'une rencontre avec le public, au Bois du Cazier, à Marcinelle. Il a confié son histoire à l'écrivain Manuel Verlange. Photo SD.

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Pour faire un toit destiné à une cabane, une seule adresse m’avait-on dit, les Aciers Grosjean, à Mont-sur-Marchienne. Illico presto, après avoir passé commande de quatre tôles taillées sur mesure, Je me suis retrouvé à l’entrée d’une usine, avec ma bagnole et une remorque dans une file où les camions des pros côtoyaient les autos des bricoleurs. Quelques mois plus tard, de passage à la librairie du Bois du Cazier j’ai découvert la biographie d’Alfred Grosjean. L’industriel carolo est un vrai personnage de roman.

Quant à ma cabane elle a un toit qui est un produit local...

Après la guerre 40-45, animé par la rage de vaincre et parti de rien, âgé de 15 ans, Alfred conduisait des camions de charbon et de ferraille à travers la région de Charleroi. A 90 ans, encouragé par ses proches, il a décidé de confier ses souvenirs et réflexions à l’écrivain Manuel Verlange.

Originaire de Nantes, Verlange se consacre à l’écriture de romans et biographies, travaille pour le cinéma, la télé et le théâtre et a enseigné le français au Japon avant de continuer en Belgique où il vit près de Bruxelles. Il trace un portrait aussi juste que chaleureux du lutteur qui s’est fait lui-même, à la dure, et n’est dupe de rien, surtout pas des honneurs ni du fric considéré comme un outil.

Visionnaire? Tout porte à le croire car de ferrailleur il s’est mué en recycleur. Sous la direction de son fils Philippe, le Groupe Comet, comme les Aciers Grosjean, s’inscrit dans l’économie circulaire. Rythmé de temps forts, le récit de ce grand patron qui se sent toujours en salopette même revêtu d’un costume, est un roman d’aventures sur fond de paysages industriels.

Ce roman vécu sonne comme une revanche sur les années d’une enfance dure, avec l’absence du père, l’orphelinat, le courage de la mère, la quête d’un abri. Se dégage un message qui transmet une expérience et des valeurs aux êtres aimés. Empreint de tendresse et de retenue comme de coups de gueule, ce témoignage donne son âme au livre.

Des photos qui devaient attendre dans un album précisent l’image d’un patriarche qui veille sur les siens avec la trempe du Jean Gabin de « La Horse ».

Discret, il sait manier les mots. Il dit à Manuel, « C’est ma vie qui est un roman. Moi, je danse sur ses lignes depuis 90 ans. Et je vais vous dire : depuis 90 ans, je m’étonne chaque matin ». L’ouvrage évoque la saga du fer et de l’acier, de la splendeur au déclin, avec ses décors de feu et de flammes, ses fulgurances, ses terrils et usines, son âpreté, ses figures. Monsieur Alfred, qui a fait fortune sans intérêt particulier pour le capital, se voit en industriel qui « aime travailler dans les usines, avec des hommes, des vrais, créer des emplois et livrer des produits qui satisfont le client". Et lui aussi. Car il en faut deux, des contents. A l’opposé de ces stratèges de la finance obsédés par le fric à tout prix, dur à cuire, tête haute, Grosjean accorde sa confiance mais ne supporte pas de la voir trahie.

Enfant, il se sentait bien seul chez les Sœurs de la Charité à Salzinnes :

« Dans ces murs j’ai mangé mon pain noir. Depuis j’ai travaillé pour acheter un moulin, je voulais que ma famille connaisse le pain blanc. J’ai une certaine idée du bonheur, je veux le meilleur pour mes proches. Je suis comme ça. On ne se refait pas. »

Associé au milliardaire Albert Frère pendant dix ans, leurs trajectoires se sont éloignées sans tapage. Il déclare : « Je suis né avec la ferraille, une sorte d’acier déclassé. J’ai construit sans être architecte. J’ai inventé sans être un ingénieur. J’ai bâti sans être maçon ».

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Dans sa vaste demeure à la campagne il adore préparer des lentilles au lard pour sa famille. Ce plat robuste et sans tralala définirait l’homme qui a voulu « changer le cours des fleuves » sans faire de concessions. Tête dure et volonté de fer, une manière d’être.


« Changer le cours des fleuves » par Manuel Verlange, 333 pages. Editions Academia.

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