Guerres, abattoirs et guérillas pré-électorales

Les calepins

Par | Penseur libre |
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Vendredi 16 septembre

 Et voilà ! On espérait une semaine, ce ne fut même pas le cas. Les services médicaux et la Croix-Rouge internationale avaient à peine pris place dans les ruines syriennes pour s’occuper des secours multiples et variés que les rebelles et les forces gouvernementales reprenaient les combats dans les faubourgs de Damas. Bien entendu, ce sont les autres qui ont commencé. La trêve a donc été violée. Il n’y a pas qu’elle d’ailleurs ; le viol, c’est aussi un des produits de la  guerre. Tant que Bachar al-Assad ne partira pas, la guerre civile se poursuivra. Ce tyran est allé beaucoup trop loin dans le génocide de son peuple.

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 « En somme, Bratislava est un exercice de mémoire. J’ai passé des heures, en 1986, à la recherche de lieux que la ville semblait avoir escamotés. |…] Le béton communiste avait recouvert mes souvenirs en même temps qu’un quartier de la ville : l’ancien ghetto, les abords du pont sur le Danube. Abandonné à l’incertitude par la défaillance d’une mémoire plus usée que je ne le croyais, je compris comment, à partir des mêmes faits, avérés ou réinventés, on peut glisser au roman, à la confidence, à la nostalgie qui sont des degrés de l’oubli. » François Nourissier. Bratislava, éd. Grasset, 1990)

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 Nathalie Kosciusko-Morizet à la matinale de France Inter : « On sort d’un quinquennat dans lequel il ne s’est rien passé en matière d’écologie. » Elle était sans doute en train de bronzer lorsque sont tombés les accords de la COP 21, ratifiés le mois dernier par la Chine et les Etats-Unis d’Amérique. Si elle continue sur ce mode-là, elle ne devra pas s’étonner de réaliser un score en-dessous des deux chiffres.

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 Premier sommet européen sans les Britanniques. Hollande et Merkel sont bien décidés à réaliser des avancées significatives en extirpant les sujets que le Royaume-Uni bloquait. Il leur faut un communiqué de presse final prometteur et musclé. Si l’Europe se relançait à Bratislava, entre Vienne et Budapest, le souffle de l’Histoire lui donnerait plus d’allure.

Samedi 17 septembre

 Bratislava : « … Une Europe attrayante dans laquelle nos citoyens puissent avoir confiance et qu’ils pourront soutenir. » Bon. Ce n’est pas un communiqué final très musclé mais gageons qu’il soit au moins prometteur. L’unanimité est là, dans l’intention. La défense commune, l’immigration et la sécurité s’en dégagent prioritairement pour le semestre à venir. Le sommet de Bruxelles, formel celui-là, qui se tiendra en décembre, devra impérativement concrétiser des options nettes, précises et, bien entendu, communes ; des options qui n’auraient peut-être pas pu être décrétées si le Royaume-Uni faisait toujours partie de l’Union. C’est cela qu’il faut démontrer : que le Brexit est un bien pour l’Europe, que l’Europe est de fait libérée de blocages pesants qui freinaient son avancée.

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 Sue le plan médiatique, Audrey Azoulay, ministre de la Culture et de la Communication, est l’anti-Lang. Si on la retrouve aujourd’hui sur les plateaux et derrière les micros, c’est à cause des Journées du Patrimoine. Cela dit, elle travaille, elle travaille, et elle connaît bien ses dossiers. Elle sait aussi qu’elle apprend son métier, faisant partie de ces jeunes ministres (elle est née à Paris le 4 août 1972) propulsés dans le sérail par François Hollande et dont le type le plus représentatif est Najat Vallaud-Belkacem (Beni Chiker, région du Rif, 4 octobre 1977), presque aussi discrète que sa collègue, mais qui se débrouille remarquablement bien à la tête du département de l’Éducation, un mastodonte casse-gueule…

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 Il se dit que Marine Le Pen usera le moins possible de l’appellation Front national durant les prochains mois pour paraître plus présentable. Déjà, l’université d’été qui s’ouvre aujourd’hui à Fréjus ne porte pas son nom, laissant l’intitulé à Estivales, un terme qui sent la détente et  bonne humeur méditerranéennes. Ces sentiments-là ne sont toutefois pas exempts d’interdits (au FN, on aime cultiver l’exclusion…). Ainsi, tous les organes de presse ne seront pas autorisés à vivre le raout. Mediapart d’Edwy Plenel et la joyeuse équipe de Quotidien de Yann Barthès (les anciens du Petit Journal de Canal +) ont été privés d’accréditation. Ces agapes de la bassesse politicienne s’ouvrent le jour où l’on apprend la mort de l’écrivain américain Edward Albee (88 ans) qui devint célèbre par sa pièce Qui a peur de Virginia Woolf ? Il était aisé sinon tentant, pour les chroniqueurs, d’embrayer ce matin sur : « Qui a peur de Marine Le Pen ? » Si l’allusion interrogative est drôle, la réponse, sérieuse, ne doit pas manquer d’intérêt.

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 « On atteint aisément une âme vivante, à travers les crimes, les vices les plus tristes, mais la vulgarité est infranchissable. » François Mauriac. Le Nœud de vipères, 1932)

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 La Cour pénale internationale jugera désormais les dégâts écologiques en tant que crimes contre l’humanité. Elle pourrait peut-être commencer par traduire en justice ceux qui tirent profit de la disparition de la jungle de Taman Negara, aux confins de l’Indonésie et de la Malaisie, une forêt tropicale parmi les plus anciennes du monde, dont l’âge est estimé à 130 millions d’années, qui subit une catastrophe écologique sans précédent. Pour le reste – et surtout pour le principe -, on attend le commentaire de Nicolas Hulot, bien discret depuis l’accord sur la COP 21 de décembre dernier…

Dimanche 18 septembre

 Un raid américain tue par erreur environ 80 soldats de Bachar al-Assad. La Russie convoque le Conseil de Sécurité de l’ONU. Ici, pas question de se tirer par la barbichette : les fautif reconnaissent leurs actes. Ils croyaient bombarder l’État islamique. Ne parlons plus de trêve, repenchons-nous plutôt sur le sort des réfugiés.

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 Á plusieurs reprises, pour flirter avec les électeurs racistes, Donald Trump aima souligner que Barack Obama était un immigré. Évidemment, il est très simple pour quiconque de vérifier que l’actuel président des Etats-Unis est né dans le pays qu’il dirige, en l’occurrence, à Honolulu le 4 août 1961. Donald Trump vient de mettre fin à cette controverse aussi invraisemblable que ridicule en déclarant, sans intention de s’excuser : « Barack Obama est né aux Etats-Unis, point final. » Chaque jour apporte une malversation, un dérapage ambigu, quelques réflexions stupides de Trump. Oui, oui,… !  Rions de ce drôle de candidat… !  Mais ne négligeons pas le fait que cet imbécile pourrait devenir l’homme le plus puissant du monde dans quelques semaines ! Qu’il concourt dans l’élection la plus importante du pays le plus important sous l’étiquette du parti le plus important, en termes de représentation parlementaire !

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 Demain et mardi, François Hollande participera comme beaucoup d’autres chefs d’État et de gouvernement à la 71e Assemblée générale des Nations-Unies. Á cette occasion, il se verra officiellement remettre le prix de L’Homme d’État de l’année de la Fondation interconfessionnelle américaine Appeal of conscience. Celle-ci « honore les dirigeants qui soutiennent la paix et la liberté par la promotion de la tolérance, la dignité humaine et les droits de l’Homme. » Cette récompense ne permettra pas à sa cote de popularité, toujours au plus bas, de remonter dans les sondages, mais le trophée démontre néanmoins comment son quinquennat est apprécié hors du microcosme.

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 « Dans ce temple des Nations unies, nous sommes les gardiens d’un idéal, nous sommes les gardiens d’une conscience. La lourde responsabilité et l’immense honneur qui sont les nôtres doivent nous conduire à donner la priorité au désarmement dans la paix. » (Dominique de Villepin. Discours devant le Conseil de Sécurité des Nations unies, New York, 14 février 2003)

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 Échos dominicaux des Estivales de Fréjus. Au Front national, on ignore le mécanisme des élections primaires. On sait que cela existe mais on n’imagine pas un seul instant que celui-ci s’applique au parti. Au Front national, il y a un chef et puis c’est tout. Enfin… Il y a une cheffe. C’est elle qui sera candidate à la présidence de la République. Une élection interne pour la désigner ? Bof, oui peut-être… Mais par acclamations alors, ce serait mieux pour l’image… Un autre candidat, les départager ? Mais non ! … Il n’y aura pas d’autre candidat… Qui oserait défier Marine ?...  Le débat… La… La démocratie… La dé-mo-cra-tie ? … La quoi ? …

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 Devenir tueur à gages, c’est comme devenir drogué : on ne peut plus s’en passer. Même quand on n’était pas du tout versé dans ce domaine répugnant, même quand le besoin d’argent a disparu, même quand on redécouvre une passion amoureuse. Un petit boulot, construit sur ces impasses qu’une vie misérable a ouvertes, semble trop tarabiscoté pour être un bon film. L’ensemble est sauvé par deux interprétations excellentes, celle de Michel Blanc et celle de Romain Duris. Les dialogues, signés par Michel Blanc, sont eux aussi superbes, adaptés intelligemment aux scènes parfois loufoques, où la frontière de l’invraisemblable sur laquelle on veut promener le spectateur est parfois tortueuse.

Lundi 19 septembre

La CDU d’Angela Merkel a encore perdu des plumes. Elle réalise son plus mauvais score à l’élection régionale du Land de Berlin. Une fois de plus, on craint la réplique de la secousse à Bruxelles, siège de l’Union européenne, déjà mal en point, alors que le livre qui fait débat ces jours-ci est celui que vient de faire paraître le bouillant prix Nobel d’Économie (2001), l’américain Joseph Stiglitz dans lequel il réitère sa fameuse théorie selon laquelle il serait bien d’abandonner l’euro pour sauver l’Europe (Comment la monnaie unique menace l’avenir de l’Europe, éd. Les liens qui libèrent, 2016). Même si la pertinence de ses analyses et de ses  développements peut séduire, l’auteur réagit en tant que spécialiste ; il fait l’impasse sur la formidable tempête que provoquerait cette terrible décision au plan politique.

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 Les nouvelles optimistes sont beaucoup plus nombreuses que les mauvaises. Pourquoi ne les diffuse-t-on jamais ? Voilà un vrai problème philosophique.

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«  Les bonnes nouvelles sont toujours retardées, et les mauvaises ont des ailes. »  (Voltaire. Lettre à Madame Denis, 16 mars 1952)

Mardi 20 septembre

 Parmi les grands discours de François Hollande (car il y aura eu, en effet, quelques grands discours durant ce quinquennat…), il faudra épingler celui qu’il a prononcé lors de l’Assemblée générale des Nations-Unies en évoquant plus particulièrement la tragédie syrienne. Après avoir prédit à la communauté internationale une tache indélébile dans l’Histoire et d’avoir invité les Russes et leurs alliés à « forcer la paix », il s’est exclamé : « Je n’ai qu’un mot : Ça suffit ! » Une fois encore, la voix de la France a fait trembler les murs de l’ONU.

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 Des caméras dans les abattoirs pour lutter contre la maltraitance animale ? Oui, pourquoi pas ? On a bien placé des caméras dans les couloirs et les hémicycles du Parlement ! … A-t-on remarqué combien de nos jours il est devenu suspect -voire impossible, compte tenu des appareils enregistreurs et transmetteurs portatifs – de tenir des réunions à huis-clos ?

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 « Les moutons ont cet avantage sur l’homme qu’on les conduit à l’abattoir sans leur parler patriotisme ou promesse d’un monde meilleur. (Jean Yanne. On n’arrête pas la connerie, éd. Le Cherche-Midi, 2010)

 « Si tu n’as jamais respiré la fauve et fade odeur de l’abattoir…ô mon ami, tu ne connais pas toutes les tristesses du monde. » (Georges Duhamel. Scènes de la vie future, 1930)

Mercredi 21 septembre

 Danièle Thompson n’a pas que réalisé le film Cézanne et moi, elle en a aussi écrit le scénario et les dialogues. On a envie de la complimenter : la photographie est admirable, les décors superbes (forcément, Aix-en-Provence en plein soleil, Médan…), les costumes parfaits et les acteurs magnifiques, en particulier les deux principaux, judicieusement choisis, les deux Guillaume, Canet en Zola et Gallienne en Cézanne ; mais on doit souligner aussi le jeu de Sabine Azéma qui incarne la maman de Paul. Bref, tous les ingrédients sont réunis pour que ce film soit un chef-d’œuvre, le sujet lui en offrant aussi la possibilité. Hélas ! Il y a un gros hic : la narration saccadée, l’absence de liens d’une saynète à l’autre le rendent parfois déroutant. De plus, les protagonistes évoluent dans un monde quasiment fermé à l’actualité de leur époque. Dieu sait pourtant si celle-ci fut chargée, bousculée, fervente et fertile durant la deuxième moitié du 19e siècle où Zola s’y plongea corps et âme au point de devoir s’exiler à Londres. Difficile d’imaginer que les deux amis furent, lorsqu’ils dialoguaient, complètement éloignés du contexte historique (Comme on le sait par exemple, après J’accuse, on parlait de Dreyfus à tous les coins de rue et dans tous les milieux…) Germinal et Nana sont évoqués vaguement dans les dialogues et si, parmi tous les livres de Zola, c’est évidemment L’Œuvre qui revient souvent dans les discussions, les profanes ne pourront qu’en  supposer la raison. Le spectateur qui se rend dans la salle noire en sachant simplement que Cézanne fut un grand peintre et Zola un grand écrivain, et qu’ils vécurent à la même époque, s’il ne s’est pas documenté davantage, ne pourra pas suivre aisément la trame. Il risque même de décrocher. Bref, Cézanne et moi n’est pas un mauvais film, mais ce n’est en tout cas pas un film grand public.

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  « En 1906 à Aix, lors de l’inauguration d’un buste de Zola, décédé quatre ans plus tôt, le vieux peintre enfin devenu célèbre, ne pourra retenir ses larmes. Lui qui n’avait jamais revu son ami depuis vingt ans, se mettra à sangloter, au milieu de l’assistance, comme un enfant. Tout à son cher Émile, ‘sous l’impulsion des temps écoulés’. » (Sabine Gignoux. « L’Œuvre » qui brisa l’amitié de Zola et Cézanne, in La Croix, 24 juillet 2007)

Jeudi 22 septembre

 Une situation inédite. « Effaré » par le personnage Trump, Barack Obama consacrera un ou même deux jours par semaine à mener campagne en faveur d’Hillary Clinton. Simultanément, le président George Bush senior (92 ans) annonce qu’il votera pour Clinton tandis que plusieurs hautes personnalités du spectacle se plaisent, chaque fois qu’elles le peuvent, à discréditer Trump en précisant - ils se sont donné le mot – que cet homme est « irrécupérable ». La patrie est en danger.

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 Brad Pitt et Angelina Jolie divorcent. L’information est banale. Á l’exception des magazines mondains, elle ne devrait occuper que quelques lignes dans les pages culturelles. Culturelles, oui, faute de mieux… Et pas du tout ! Les journaux les plus sérieux proposent des commentaires, même les gazettes sportives en parlent ! Pourquoi ? Allez savoir… ! Ce qui est certain, c’est que ce n’est pas le genre d’information qui permettra au citoyen-lecteur de méditer son vote en faveur d’un Trump, d’un Sarkozy ou d’un Le Pen.

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 « Je ne pensais pas que le Brexit aurait lieu. De la même manière que je n’arrive pas à penser que Trump puisse être en charge […] Il y a cette super phrase dans The Big short, [Le Casse du siècle, en référence au film récompensé aux Oscars qui traite de la crise des subprimes en 2008 et qu’il a produit] : ‘Quand les choses ne vont pas et qu’on n’en trouve pas la raison, on commence à se créer des ennemis. » (Brad Pitt. Entretien au Magazine T du New York Times, 9 septembre2016)

                                                                     

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