Élèves ou clients?

L’avenir de l’école

Par | Penseur libre |
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Nacer, consumir, morir. Madrid. Photo©Laurent Berger.

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Certains jeunes deviennent des consommateurs capricieux qui s'orientent exclusivement vers l'immédiateté, la digestion rapide, le repérage de l’information. Ce déterminisme renforce l’agressivité, la triche, la compétition. A l’image d’une canette qui tombe dans le distributeur, la rapidité est vendue. Sans chercher, sans attendre, les élèves pressés désirent la facilité : ils voudraient trouver immédiatement la réponse aux problèmes auxquels ils sont confrontés. Les assignations identitaires, les prescrits de la consommation les mettent dans cette posture qui contredit l’enseignement de la lenteur, du doute, de la remise en question. Il ne s’agit plus de chercher la vérité, mais de la trouver. Les assignations religieuses encouragent également cette attitude. La pédagogie, qui nécessite l’acceptation de la progression, est donc en difficulté.

L’Avoir ou la Croyance sont les repères actuels qui s’allient. Des choses plus importantes s’affirment : le besoin d’avoir, de croire, de posséder, de défendre son territoire. L’élève ne sait dés lors plus s’élever, il devient un client. Ainsi l’école risque de devenir un endroit assimilé à la prestation de services. Il est demandé à l’enseignant d’individualiser son enseignement dans des classes de 32 élèves. Nous assistons aussi à une médicalisation à outrance des comportements des adolescents: préparer des cours spéciaux pour les hyperactifs, répéter plusieurs fois pour les autistes, calmer les violents qui ont trop d’imagination, taper des textes en Arial 14 pour certains, préparer plusieurs examens spécifiques pour tous les cas particuliers. Ainsi, la sphère privée prend de plus en plus de place. Le moi je veux avoir s’affirme dans un espace qui s’avère de moins en moins public.

Les élèves sont aussi séduits par le spectacle et par l’interactivité. Il faut qu’il fasse toujours des commentaires sur l’apprentissage si bien qu’ils n’entrent plus dans celui-ci. Comme si un danseur n’arrêtait pas de commenter la danse sans jamais danser. Les élèves  ne parviennent plus à entrer dans l’immanence de l’apprentissage. Ils sont sans cesse distraits, occupés à réagir, à donner spontanément leur avis sur tout et  n’importe quoi.  La consommation leur offre un paradis sur terre. Il existe un réel décalage entre l’école et l’évolution de notre société basée sur la croissance. L’enseignant lettré se bat contre la précipitation de ses élèves. La lenteur de la transmission devient intolérable pour les clients qui veulent tout à l’instant de leur demande. Par conséquent, l’austérité apparente de l’apprentissage est ressentie comme une violence insupportable et le plaisir qui peut s’en dégager n’est plus ressenti. Apprendre devient une contrainte intolérable pour ceux qui veulent demeurer ce qu’ils sont, qui préfèrent garder leurs certitudes et qui sont habitués aux simplifications distribuées par les médias. Les enseignants font violence aux élèves afin de les sortir de leur sphère privée. Cette violence faite aux enfants les rend revendicateurs. Leurs parents les accompagnent dans leurs reproches : « Monsieur, je ne vois pas pourquoi vous enseigner Molière, alors qu’il est mort ! » Les clients capricieux ne sont plus habitués aux exigences communes. La revendication privée est la suivante: laissez-moi tel que je suis, je n’ai pas envie de changer, apprendre ne m’intéresse pas !  « Monsieur, je veux mes points ! Si ce n’est pas pour des points, je ne fais rien ! Monsieur, nous nous travaillons sans gagner de l’argent, ce n’est pas normal ! »

Si les élèves trichent, c’est parce que le système scolaire met plus en valeur le fait de réussir que d’apprendre. L’habilité, la ruse remplacent la réflexion, la patience. La question du contenu de ce qui est enseigné n’est plus envisagé. Seule, la compétence à atteindre a de l’importance. La propagation de l’ignorance n’est pas provoquée par un appauvrissement qui existerait uniquement dans les classes défavorisées. L’existence d’un renoncement à la transmission des choses importantes se remarque également dans les classes moyennes et même dans les élites. Ce qui renforce une déshumanisation de l’école qui n’est plus soutenue par le haut. En effet, un renoncement à défendre un élitisme pour tous se remarque chez les personnes aisées. Ces personnes ont été rattrapées pour le système consumériste néolibéral. En effet, la course à l’Avoir se remarque dans toutes les classes sociales. Dans une école située dans un beau quartier, un père médecin interpelle une collègue pour lui demander de ne plus emmener son fils à l’opéra, car cette activité ne lui servirait à rien. « Apprenez plutôt à mon fils à rédiger un curriculum vitae! » La violence contre la pensée et la culture se remarque dans toutes les écoles et dans tous les milieux sociaux. Un mépris envers « l’intello » s’exprime dans toutes les écoles. Alors « l’intello » s’autocensure afin d’éviter de devenir un bouc émissaire. Devenir moins poli pour faire plaisir au groupe.

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La pratique du discours argumenté semble aussi menacée face à l’obligation de fournir aux clients un mode d’emploi qui efface le fait d’assumer la complexité de la réalité. Je ne vois pas uniquement mes élèves comme de futurs travailleurs obéissants, sachant reproduire des situations attendues. Je les vois aussi comme des acteurs responsables de leur propre vie. L’école est-elle authentiquement une source d’épanouissement et d’ouverture d’esprit ? L’enseignant humaniste tente d’appliquer certains principes: le libre examen, le développement de la personnalité et de l’autonomie, la liberté absolue de conscience. Mais, ces principes se heurtent aux valeurs consuméristes. « Monsieur, nous voulons voire la suite du film ! Nous devons vendre des gaufres à la récréation pour notre voyage de fin de rhéto ! Nous voulons prier dans ce local ! Monsieur, je ne pense pas pouvoir regarder cette peinture de Rubens, car elle n’est pas de ma religion ! »

Le professeur devient dérangeant, parce qu’il pénètre la sphère privée de ses élèves occupés dans les gestes mécaniques exigés par le monde des entreprises qui considère l’homme comme une ressource de bénéfices. Il pénètre dans l’autisme de leurs jeux immédiats. Les clients ne perçoivent plus l’intérêt général de l’instruction. Les élèves enfermés dans leur espace réagissent à son égard par l’indifférence ou l’agressivité. Les chahuts traditionnels disparaissent, de nouvelles attitudes les remplacent: un mépris passif, un ressentiment constant, une ingratitude manifeste, des contestations récurrentes des notes, des bavardages incessants, des refus d’écouter, des revendications constantes. L’enseignant s’interroge sur l’avenir de sa fonction. "Monsieur, vous êtes payé pour parler, et donc continuez, ce n'est pas grave, si nous ne vous écoutons pas!"

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