Cohabiter pour conjurer la guerre

Les calepins

Par | Penseur libre |
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Mercredi 16 janvier

 Maudit Brexit. Après deux années de négociations et de tergiversations, l’accord que Theresa May conclut avec l’Union européenne a été rejeté par la Chambre des Communes. L’échec est cuisant : 432 contre, 202 pour. Contrairement à ce que l’on aurait pu s’attendre, la Première ministre britannique n’envisage pas de démissionner. Bon. Il faudra bien qu’elle trouve donc une autre étape, du moins si on la maintient à son poste, puisque dès ce soir, une motion de méfiance déposée par Jeremy Corbyn, chef des Travaillistes,  sera soumise au vote de la même Chambre. Au pays du brouillard, la lampe d’Aladin serait la bienvenue.

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 Le parlement suédois semble avoir trouvé une solution pour que les grandes formations de gauche et de droite ne soient pas obligées de traiter avec l’extrême droite afin de former une majorité sans pour autant, comme en Allemagne, devoir recourir à la « grande coalition » apparemment impensable là-bas. C’est donc un compromis très spécieux qui ressort des tractations, et qui n’aura peut-être qu’une courte vie ; une sorte d’accord de derrière les fagots comme on en connaît parfois en Belgique. Mais c’est une formule qui laisse les démons dans leur boue. Le scrutin suédois devra être observé attentivement le 26 mai lors des élections européennes.

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 Par des allusions bien choisies à des moments savoureux de la pièce, Alexis Michalik a imaginé les semaines qui précèdent l’extraordinaire première représentation de Cyrano de Bergerac, ce fameux soir du 27 décembre 1897 au Théâtre de la Porte Saint-Martin. Le résultat est magnifique (Edmond). L’extravagance est ressentie au point que l’on retrouve dans le film l’émotion qu’elle dégage dans la pièce. Cachotteries et complicités s’entremêlent en une dynamique soutenue que les acteurs entretiennent à merveille. Happé par la tension, bien que l’on connaisse l’apothéose finale, on se laisse emporter par un délicieux voyage dans le Paris des réjouissances mondaines que le théâtre et son environnement pouvaient procurer. Thomas Solivérès est parfait dans le rôle de Rostand et l’on aime supposer que Sarah Bernhardt était comme Clémentine Célarié la joue. Quant à Olivier Gourmet, s’il n’est pas très bon en Cyrano, il est admirable en Constant Coquelin. Mais tous les acteurs, en vérité, méritent un salut. Juste un petit regret : la scène finale, Cyrano allant mourir au couvent près de Roxane, aurait pu être mieux agencée.   

Jeudi 17 janvier  

 Dans l’écriture de sa pièce Le Dernier amour d’Einstein, le journaliste Hervé Bentégeat, n’a introduit aucune action, aucune réflexion de son cru. Il n’y a pas ici de fiction, rien que l’agencement de faits avérés. Tout ce qui est développé peut être démontré par les archives, nombreuses et précises concernant ce savant, jusqu’à ses dernières lettres. Dès lors, les paroles que l’auteur place dans les dires de son personnage sont tout à fait authentiques. On y retrouve d’ailleurs ça et là quelques expressions devenues célèbres. En voici deux, si justement appréciées : « On se trompe toujours avec la bêtise » …  Et « La gauche est dangereuse et la droite est stupide.»  Celle-ci a dû être prononcée à la fin des années quarante. Aujourd’hui, on devrait plutôt inverser le constat. Á la fin de la lecture-spectacle, dans son échange avec le public, Bentégeat souligne l’importance de la liberté, liberté d’être et d’agir, d’Albert Einstein. Et il en déduit que ce génial physicien démontra que la véritable liberté, c’est la liberté de penser contre soi-même. Si c‘est là ce que la pièce veut démontrer, il n’y a pas lieu de la louer davantage : elle a sa raison d’être et le metteur en scène, Jean-Claude Idée, ne doit pas chercher une mise en espace et un décor très complexes. Ce qui compte, c’est d’écouter les paroles d’Einstein et autant que possible, de les retenir.

Vendredi 18 janvier

 Michel Onfray vient juste d’avoir 60 ans (il est né, comme Laurent le Magnifique, avec l’an neuf…) mais comme il a déjà plus de cent livres à son actif, un Cahier de l’Herne vient de lui être consacré. Parmi les multiples témoins, un nom inattendu émerge, celui de Jean-Pierre Chevènement qui lui consacre un bel éloge. Mais comme le Belfortain sait que l’absolu n’existe pas plus que la perfection, il n’a pas perdu l’habitude de s’attarder sur le revers de la médaille dont il a loué l’avers. Alors il s’étend sur un point qui fait débat entre eux : la Révolution française. Et comme à son habitude également, Chevènement annonce d’emblée la couleur : « Dois-je l’avouer à Michel Onfray ? Si j’avais à m’asseoir sur les bancs de la Convention, j’irais encore, comme Jaurès, m’asseoir au banc des jacobins. » Au-delà du salut à la fidélité de son auteur, cette réflexion pourrait, à elle seule, être à l’origine d’une très intéressante enquête auprès des historiens, des philosophes et des politiques (du moins ceux qui réfléchissent encore à 1789…) Si vous aviez à vous asseoir sur les bancs de la Convention, où iriez-vous aujourd’hui ? Il y a un livre à bâtir au départ de cette interrogation.

Samedi 19 janvier

 Ce n’est pas de la soupe populaire, le menu est plus alléchant, mais les files de fonctionnaires étatsuniens dépourvus de salaire qui se forment pour attendre le repas qui leur sera offert paraissent appartenir à une autre époque et surtout à une autre nation. Le shutdown le plus long de l’histoire des USA s’épaissit de jour en jour. Il se transforme en une partie de bras de fer entre Nancy Pelosi, la présidente de la Chambre qui n’a plus rien à perdre, et le président Trump qui doit se préparer à gagner le droit de se faire réélire. C’est de la Maison-Blanche que devra venir le geste, car on ne voit pas très bien pourquoi les Démocrates cèderaient.

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 Malgré des prestations intelligentes, volontaristes, vigoureuses et opiniâtres d’Emmanuel Macron devant des centaines de maires en province, les Gilets jaunes ne fléchissent pas. Par milliers (sept douzaines au total), ils ont défilé dans quelques grandes villes. Á Paris, c’est l’esplanade des Invalides qui fut envahie. Moins d’actions violentes furent à déplorer. On parla plutôt d’échauffourées. Il n’empêche que l’on en était à « l’Acte x » et qu’il est permis de se demander quand la série s’arrêtera…

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 Jusqu’à présent, les multiples commentaires concernant le Brexit ne se sont pas tellement attardés sur les deux Irlande. Et pourtant, la situation est très tendue là-bas, la question du rétablissement de la frontière s’avérant cruciale, d’autant qu’une poignée de parlementaires nationalistes irlandais apportent à Theresa May l’appui indispensable afin qu’elle dispose d’une majorité aux Communes. La guerre de religion larvée qui opposait catholiques et protestants, conflit d’un autre âge, n’est pas si lointaine. Deux décennies seulement nous séparent de son interruption après trente années de relations belliqueuses et d’attentats. Une voiture a explosé en face du tribunal de Londonderry. Les enquêteurs penchent pour un acte de La nouvelle IRA, une branche dissidente de l’armée républicaine irlandaise. Le choix de Londonderry, la ville où s’est déroulé le dramatique Bloody Sunday en 1972 (14 morts dans la manifestation pacifique contrée par l’armée britannique), ce choix n’est sans doute pas innocent. Theresa May n’avait vraiment pas besoin de cela.

Dimanche 20 janvier

 La Cour constitutionnelle congolaise a communiqué ses conclusions à la suite du recours du candidat Fayulu. Elle confirme l’élection à la présidence de Félix Tshisekedi. L’Union africaine maintient ses réserves, tout comme « la communauté internationale ». Il est permis de se demander si les réactions auraient été pareilles au cas où les rôles eussent été inversés. Kinshasa vit un dimanche paisible, les citoyens congolais sont heureux que pour la première fois, une alternance pacifique et démocratique s’instaure dans leur pays. Qu’on laisse donc le Congo assumer son destin. Si des émeutes aux conséquences imprévisibles survenaient, c’est à l’extérieur du pays qu’il faudrait en chercher les causes.

Lundi 21 janvier

 De tous les journalistes européens observateurs du Congo, Colette Braeckman, du Soir à Bruxelles, est sans doute la plus expérimentée. En une page complète, elle analyse les suites de l’élection de Félix Tshisekedi avec confiance et lucidité. Elle rappelle aussi qu’Etienne, son père, était un homme adulé par une grande partie de la population, laquelle aurait voulu le gratifier post mortem d’une confiance et d’un salut honorifique à travers son fils. Elle décortique le portrait des principaux collaborateurs du futur président et détaille leurs compétences. Et puis, elle achève son article sur une belle image en clin d’œil aux sceptiques : « D’aucuns présentent déjà Félix Tshisekedi comme l’otage de Joseph Kabila, sénateur à vie, à la tête d’une coalition politique qui dominera l’Assemblée nationale. Cette hypothèse n’est évidemment pas à écarter, mais tous ceux qui n’avaient pas vu Félix arriver doivent se souvenir que la tortue, sous sa carapace, sait, elle aussi, où elle veut aller et que la cohabitation peut être le meilleur moyen de conjurer la guerre. »

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 Pour Michel Onfray, « de Gaulle fut un homme de gauche dont la gauche ne voulut pas, et qui fut donc soutenu par la droite. Mitterrand fut un homme de droite dont la droite ne voulut pas, et qui fut donc soutenu par la gauche » (Le Miroir au Alouettes. Principes d’athéisme social, éd. Plon, 2016)

Mardi 22 janvier

 Pour éviter qu’un conflit de plusieurs décennies que seuls les Grecs comprennent ne continue à envenimer les relations ainsi que les contacts avec l’Union européenne, la République de Macédoine accepta l’an dernier de s’appeler République de Macédoine du Nord. Des émeutes violentes éclatent à Athènes au moment où le Parlement devra se prononcer sur cet accord. On sait que les Grecs peuvent être sanguins. On sait que les racines de la querelle sont plusieurs fois séculaires. Il est cependant difficile de penser que leur ire n’est pas liée à une forme de tension nerveuse causée par un état de déception voire de désespérance. Des élections approchent. L’espoir Tsipras a montré ses limites. L’alternance s’était réalisée, le renouveau avait éclos, mais les nécessaires restrictions n’avaient pas disparu. Comme partout ailleurs, l’extrême droite attise les esprits. La droite classique compte bien en tirer les bénéfices. Les élections devraient avoir lieu en octobre. Comme ses partenaires de l’Union européenne, la Grèce votera le 26 mai dans le cadre européen. Un défouloir ?

Mercredi 23 janvier

 Tandis que le shutdown entame son deuxième mois, de plus en plus de démocrates annoncent leur candidature pour les primaires, comme si l’accentuation de la tension avec Trump leur donnait des ailes. Ou des idées (du moins on l’espère…)

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 En Iran, le fleuve qui arrose la ville d’Ispahan est complètement asséché. On implore soit l’ayatollah Khamenei, soit Allah. Ni l’un ni l’autre n’était à la COP 21.

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 Il existe sur le campus de la prestigieuse université d’Oxford une association, Oxford Union, qui a l’habitude d’inviter des conférenciers d’extrême droite. Ce soir, c’est Marion Maréchal Le Pen qui occupe la tribune. La salle de 500 places est pleine comme un œuf, composée en grande majorité d’étudiants, bien entendu. Ce type d’information passera quasiment inaperçu. Un jour, peut-être, on la mentionnera dans un développement biographique de circonstance…

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 Les Giles jaunes s’organisent. Ils annoncent qu’ils déposeront une liste pour les élections européennes sous le sigle RIC (Ralliement d’initiative citoyenne), comme Référendum d’initiative citoyenne. C’est une position plus respectable que celle qui consiste à semer la terreur dans les artères commerçantes des grandes villes et de casser. Dans un régime démocratique, si l’on veut faire entendre sa voix, revendiquer, on s’inscrit dans le débat public, on participe à la vie politique, et quand surviennent les élections, au besoin, on se porte candidat. Voilà qui semble donc clair. Tout le monde devrait saluer cette manière d’entrer dans la compétition, sauf peut-être Marine Le Pen qui devait voir dans les Gilets jaunes une belle manne de suffrages pour sa liste.

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