Cet été, il a plu sur quelques livres. Un Teulé et deux Fernandez

Une édition originale

Par | Penseur libre |
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Lecture 6 min.

Jean Teulé, homme profondément sympathique, a titré son dernier récit « Crénom Baudelaire ».

Comme un juron, une exclamation en forme de cri de colère ou de mouvement d’impatience et d’agacement, nous retrouvons d’emblée ce qui caractérise l’auteur, à savoir son tempérament d’ado-punk excité, associé à son indéniable érudition.

Le monde de ceux qui écrivent comme ils pleurent ou comme ils saignent, Teulé le connaît bien et s’en délecte. Il a pu nous dégoûter avec son « Je, François Villon », tant l’odeur de cadavre des pendus envahit tout le récit ou nous écœurer avec son « Charly 3 », il n’en reste pas moins qu’il nous emporte à chaque aventure déshumaine de ces hommes hors du commun, poètes plus qu’exemplaires dans leurs excès et leur génie, ou monarque passés Maître en médiocrité, en lâcheté et néanmoins, dans le cas de Charles, fils de Catherine de Médicis, d’une lucidité incisive et néanmoins suicidaire.

Le Moyen-âge de Villon est uniquement puant, comme on ferait pour un moment de théâtre. Et c’est un paysage qui se campe, tel un tableau dans lequel les bourrasques dessèchent les pendus, et qui servira à l’histoire de la jeunesse de François. Charles, lui, assoiffé de tueries et de chasses, court effréné dans les salles et les couloirs du Louvre, pistant lièvres et cerfs, meurtrier des plus faibles, éclaboussant de sang murs, tentures et tapis, comme pour pallier d’éventuels oublis de la St Barthélémy.

Son Baudelaire, plus réussi si l’on peut dire, brille, lui, d’autre chose encore… Le portrait, ici, semble plus complet et surtout résonne tout au long du récit de la géniale folie de son personnage. Les effroyables excès comportementaux de Baudelaire avec les siens, sa mère, ses compagnes (dont Jeanne Duval) ou avec ses éditeurs (et notamment le sanctifié de patience Monsieur Auguste Poulet-Malassis), ses refus de tout ce qui n’est pas sublime, n’abîment jamais le légitime respect face à cet unique jusqu’au-boutisme de l’Histoire de la littérature. Car le génie surnage toujours. Mais comment supporter le commun des mortels quant on a décidé de vivre halluciné ?

On le suit adolescent jeté sur les mers par un beau-père impatient ; on le suit adulte immature et pleurnichant auprès d’une mère à porte-monnaie ; on le suit, exaspérant, dans la délicieuse anecdote du portrait de sa compagne, imbriqué et retiré à plusieurs reprises, à sa demande, dans le chef d’œuvre « L’Atelier », par un Gustave Courbet compatissant. La purée verte de Haschich, la Syphilis, les éternelles disputes avec Jeanne la noire prostituée, le mèneront jusqu’à Namur, dernière étape, où il perdra à la fois la conscience et la santé. Beau livre, visuel et mouvementé.


Sorti ce 7 octobre, « Le Piéton de Naples » en suit quelques autres dont ceux de Venise, de Florence et de Rome. Le livre continue ainsi cette délicieuse collection imaginée par Dominique Fernandez, (Prix Médicis 1974 pour « Porporino ou les mystères de Naples ») dans laquelle cet amoureux fou de l’Italie nous prend à chaque fois par une amicale main afin de mieux nous perdre dans les ruelles chargées d’histoires des cités du Sud de la vieille Europe.

De la Grande Grèce, quelle soit hellénique ou sicilienne, Fernandez sait les secrets les plus intimes de ces lieux modestes qui persistent au coin d’une rue, au haut d’un escalier de quartiers perdus chers à Modiano, qui avaient vu le jour aux époques antiques ou renaissances et dont les moments oubliés ont pourtant fait sens artistiquement ou dans le cœur des gens.

On croise çà et là, entre les scugnizzi qui font l’âme de la ville, de grands noms de la littérature ou de la peinture, de la politique ou des révolutions, par le biais d’anecdotes sensibles et trop souvent dédaignées des historiens.

Ne nous y trompons pas : il ne s’agit pas, vous l’aurez compris, d’un quelconque guide touristique. Une émotion fertile traverse ces pages portée par cet amour de l’Art que l’on ne croise qu’en foulant les vieux pavés disjoints, chargés de mémoire.


Enfin, paru au début de notre été pluvieux, « L’homme de trop » (Grasset) reprend en le continuant, si l’on peut dire, le second thème de prédilection de Fernandez, l’Histoire de l’homosexualité. Passionnant compteur d’aventures, dans lesquelles les manières successives de vivre l’homosexualité ou ses oppressions sont abordées à travers le temps et restituées sans fards ni détours.

On lui doit de nombreux romans, notamment sur les vies des peintres Caravage ou Vinci, sur les Médicis ou encore sur Tchaïkovski, avec le formidable « Tribunal d’honneur », ouvrage indispensable pour qui veut comprendre l’âme Russe.

Dans son dernier roman, donc, le narrateur - un photographe en fin de carrière - s’interroge sur ce qu’est devenue la perception de la société occidentale actuelle sur les homosexuels.

A la suite d’une tragédie qui ouvre le récit, celui-ci vit une succession de rencontres, qui ont pour intérêt d’engager autant de dialogues générationnels. Ainsi, il se lie d’amitié avec un jeune professeur de lettres, gay lui aussi, avec qui s’engage un échange riche et subtil de considérations sur l’évolution des mœurs, de ses combats gagnés ou obscurément vains.

Tout y passe ; de l’écriture inclusive au mariage pour tous, de l’espoir au désespoir et jusqu’à l’éternelle dichotomie entre le droit à être différent, cher à l’ancienne génération et le droit à l’indifférence, voulu par la jeunesse d’aujourd’hui. La beauté du livre réside assurément dans l’équilibre fin de ce dialogue empreint d’écoute, de doute et de respect.

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« L’homme de trop » fera l’objet d’un second volume.

Boris Almayer

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