Vous avez bien dit cuillère et la fourchette alors ?

Décodage EXPRESS

Par | Penseur libre |
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Elle s’est habillée d’os, d’étain, de corne, de coquillage, de bois, d’argent, d’or et de vermeil. Elle a précédé la fourchette. On la connaît depuis la préhistoire sous forme de pierre creuse ou de coquille animale : nos ancêtres du néolithique façonnaient un manche d’os et ceci leur facilitait l’absorption d’aliments peu raffinés. Les fouilles archéologiques ont découvert en Égypte antique des cuillères en ivoire et en ardoise gravées de hiéroglyphes. Il faut attendre le seizième siècle pour que l’élégance de la table florentine s’installe à la cour des Valois grâce au mariage de Catherine de Médicis avec Henri II.

La fourchette faisait également partie du décorum. Sa découverte remonterait à l’An Mille sous l’empire byzantin grâce au mariage de la princesse Doukas avec ... un doge de Venise. C’est, en fait, une petite fourche à deux dents, importée elle aussi d’Italie et déconseillée à son arrivée en France par le clergé qui y voyait la fourche du diable incitant au péché de gourmandise. En fait c’est surtout le fils de Catherine, Henri III de France qui en a vulgarisé l’usage ou tout au moins, la mode. C’était l’époque où le costume masculin se complétait d’une fraise, élégante collerette plissée portée haut sur le cou. L’emploi de la fourchette et de la cuillère empêchait les salissures visibles et peu ragoûtantes !

Hygiène vite oubliée car au dix-septième siècle, Louis XIV qui adorait manger se délectait à l’aide de ses doigts. Au diable ces ustensiles qui faisaient de la figuration passive autour des assiettes. Il fallut l’arrivée du siècle suivant pour que la Cour revienne à des pratiques plus raffinées.

La cuillère revendique le privilège d’être un objet individuel ; elle a réussi à séduire tous les collectionneurs, dans le genre mineur : petites cuillères au manche surmonté d’un écusson ou de personnages en costumes provinciaux, souvenir bon marché de voyages ou cuillères utiles à mesure, à potion, en forme d’entonnoir ou bien les « Précieuses » en corail, lapis lazuli, cristal de roche ou or.

Et chacune raconte son histoire : la cuillère de mariage parle de vie, qu’elle vienne d’Europe du

Nord taillée en bois pyrogravé ou d’Asie, façonnée de façon artisanale dans une feuille d’argent roulée sur elle-même et ciselée, comme au Cambodge. C’était leur richesse, leur patrimoine que beaucoup de couples ont enterrés pour les sauver de la destruction durant la triste période des Khmers rouges... L’adieu à une vie féconde, riche de moissons et d’amour.

Et puis, il y a les cuillères cultuelles : celles des cérémonies hindouistes, chamanes, animistes, pour oindre, pour bénir.

Objets d’art, leur prix peut atteindre des sommes élevées dans les ventes à condition que la demande soit forte : cuillère des Apôtres du seizième siècle, cadeau d’un parrain à son filleul ou cuillère à riz, en porcelaine chinoise au sigle d’un empereur à grande renommée. Plus modestement, une cuillère à mesure, provenant d’Afrique, tout en courbe, à la belle patine raconte, elle aussi, toute une existence ...

Mais bon. En 2021, est-ce qu’on se penche encore sur ce genre de collections ?

Quelle grand-mère n’a pas entendu : « Tu sais Mamy, je ne suis pas intéressé(e) par ces choses du passé. »

Et c’est ainsi. Une chaise, une table en Formica à plus de valeur aujourd’hui qu’un fauteuil aux formes exquises chantournées au dix-huitième siècle.

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Ainsi va la vie et pourtant ...

  • Cuillère : du latin impérial cochlearum dérive du grec : cochera (coquille)
  • Fourchette : origine italienne : forchetta petite fourche (définitions Wikipédia)

 

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