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Par | Penseur libre |
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L'entrée du CBBD dans un superbe bâtiment Art Nouveau. Photo © Bussels Museums.

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Lecture 7 min.

Voici le discours que j’ai prononcé en quittant mon poste de directeur général du Centre Belge de la Bande Dessinée, le 25 juin 2019. Il s’agit avant tout d’une réflexion sur le rôle des musées dans la culture.

Jadis, les musées étaient avant tout des vitrines dont on dira pour résumer qu’elles étaient au service de la puissance et de la richesse d’un pouvoir, le plus souvent une ville ou un Etat. Modestes ou orgueilleuses, ces cathédrales civiles conservaient le vrai trésor de la cité. A leur tête, on nommait d’ailleurs un conservateur. Son rôle ne relevait pas de la promotion artistique.

 Aujourd’hui, un musée, c’est bien davantage. A force de mesurer le temps en termes a priori économiques, dans un monde où tant d’individus et d’entreprises négligent leur propre histoire et continuent de jeter sur le trottoir peu ou prou de leur identité, les musées sont des amers. Des points de repère irréfutables. Ils servent la mémoire d’une société atteinte d’Alzheimer.  La mémoire, c’est ce qui nous permet d’avancer debout et de prendre la mesure de ce que nous vivons.

 Au-delà de ses tâches spécifiques de conservation, d’exposition, de documentation et d’éducation, un musée moderne remplit d’autres fonctions. 

Le musée est un outil d’intégration. Il se doit d’être un espace convivial et ouvert à toutes les couches de la population, quels que soient leur origine ou leur degré d’éducation. Les chemins de culture qu’il propose doivent permettre au public de s’élever. Pour cela, il convient d’aller à sa rencontre et de l’apprivoiser, quitte à le prendre par la main. 

Le musée est une agora. Un lieu de débats. Dans une société en manque d’humanité où il est difficile de trouver sa place entre imprécateurs et moutons, le musée est une structure stable qui indique des pistes de réflexion. C’est un lieu d’échanges qui est comme l’art lui-même, une éponge aspirant ce qui construit nos vies et le traduit en œuvres.

Et la bande dessinée, dans tout cela ? Elle aussi ne cesse d’évoluer, dans la diversité de ses thématiques et de ses formats, dans ses publics comme dans la motivation de ses créateurs, pris trop souvent au piège entre leur besoin d’expression et les lois du marché. Artistes et artisans se côtoient dans le même métier et quelquefois dans la même personne. C’est bien sûr le rôle du musée de conserver et valoriser la richesse de ce patrimoine BD. C’est aussi son rôle de promouvoir son image, d’expliquer l’évolution de cet art, d’encourager et de soutenir la création. 

Enfin, avec l’autorité que lui procure la confiance des auteurs et de ses visiteurs, le CBBD se doit d’être à l’écoute des créateurs dans leurs pratiques professionnelles comme dans leur statut.  Nous avions, il y a près de 20 ans, mis en œuvre un colloque international sur les droits d’auteur BD dont les minutes font toujours autorité. Nous nous sommes encore impliqués récemment dans la problématique des revenus liés aux sociétés de gestion de droits. C’est un rôle essentiel qui n’est pas tourné contre tel ou tel type d’entreprise et de pouvoir public. Il entend seulement mettre l’accent sur la fragilité économique des créateurs d’histoires en images et sur le respect inconditionnel que leur travail et leurs droits méritent.

Mais ne confondons pas ces problématiques avec celle du marché de l’art dans lequel ont déboulé les planches originales d’une minorité de dessinateurs iconiques. A tout considérer, ce sera une excellente chose lorsque les dérives les plus criantes de ce marché auront été jugulées et que, parallèlement, la pérennité des œuvres sera assurée. 

Dans ses mémoires, Alexandre Dumas écrit qu’au début de sa carrière d’auteur dramatique, jeune homme talentueux mais désargenté, il vendait le manuscrit de ses premières pièces à des mécènes. Le vrai mécène – dans le monde de la bande dessinée – sera celui qui achètera leurs premiers travaux à de jeunes talents. Cela existe probablement mais ce n’est pas très connu.

Comme le futur Louis-Philippe avec le père Dumas, nous sommes fiers d’apporter une partie de leurs revenus à quelques jeunes créateurs de grand talent en échange d’un travail qui ne les éloignent pas trop de leur passion. C’est aussi cela, la maison des auteurs. Il n’est jamais inutile de rappeler que le musée n’existerait pas sans eux. Même si nous sommes perfectibles, nous n’avons eu de cesse de valoriser leur art, leurs droits et leur talent, dans et hors les murs, sur tous les continents.

 Je tiens donc à remercier particulièrement les auteurs d’aujourd’hui, comme les grands anciens et leurs familles, pour la confiance qu’ils m’ont témoignée. J’espère avoir su la mériter. Je ne compte pas en rester là.  Cette confiance pour laquelle je remercie aussi l’équipe du Musée, c’est la base même de toute relation constructive et durable. 

 D’autres ingrédients composent notre recette idéale. Elle tient en quelques mots : confiance et respect, indépendance, professionnalisme, curiosité et créativité, ouverture et solidarité, orgueil et humilité… Et ce beau mot de « partenaire » qui évoque à la fois l’égalité et la complémentarité. Qui sont-ils, ces partenaires ? Pouvoirs publics, éditeurs, organismes patrimoniaux ou de promotion touristique, fournisseurs proches ou intimes… C’est sans limite. Il n’y a pas de développement sans partenaires. 

 Ensemble, nous avons mené des projets enthousiasmants dans un profond respect de l’identité et des attentes de l’autre.

 Ce respect, vous qui travaillerez demain au Musée de la BD, vous le devez aussi à ceux qui en ont construit l’identité, qui y ont intégré des valeurs humanistes, ainsi qu’à toutes celles et tous ceux qui, depuis trente ans, à travers nos actions, nos partenaires et nos multiples ambassadeurs, ont fait en sorte que les publics soient au rendez-vous et que l’image du Musée soit reconnue internationalement. Soyez fiers de cette histoire.

 Quant à votre indépendance, chouchoutez-la ! C’est votre plus grande richesse. Soyez à l’écoute mais ne laissez pas d’autres entités décider à votre place. Le succès public du Musée garantit votre indépendance financière. C’est elle qui vous offre de pouvoir fixer librement vos projets, d’y associer vos valeurs et même de choisir vos fournisseurs. 

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 Cultivez la sincérité.  Le meilleur moyen de durer et de supporter la critique – on ne peut pas plaire à tout le monde –, c’est la sincérité. Sans calcul. Ne perdez jamais de vue l’horizon et rêvez. C’est l’essence de la créativité.  Enfin, ayez confiance ! Les montagnes ne sont jamais que des tas de cailloux.

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