semaine 48
Portrait de Thierry Robberecht
Allo, allo, quelle nouvelle

Business is Business

Le 01 avril 2019

Le changement climatique l’inquiète depuis plus d’une dizaine d’années déjà.

A son niveau, très vite, il a tenté de participer au sauvetage de  la planète. Il a vendu sa voiture et a participé attentivement au tri sélectif. Il a voyagé en transports en commun et n’a plus pris l’avion depuis les années nonante. Il a diminué sévèrement sa consommation d’énergie fossile. Il a cessé de manger de la viande avant que ce ne soit à la mode. Pas d’électricité gaspillée sans raison et le chauffage seulement les jours où mettre un pull ne suffit pas.

Sa consommation d’eau est très limitée. Plusieurs fois, il a participé aux marches des jeunes pour que les élus prennent des décisions concernant le changement climatique. Il n’est pas idiot. Il se rend bien compte que son tri sélectif et sa consommation en baisse ne sauveront pas la planète à l’heure où la pollution est étroitement liée au business. Il faut faire des bénéfices, toujours plus. Le capital est un monstre qui en a toujours faim. Les comptes en équilibre, c’est la mort, seuls les bénéfices comptent. Certains sont encore persuadés qu’ils ne verront jamais la fin du monde mais voilà, depuis un mois, c’est parti. Les catastrophes annoncées se sont déclenchées. Tous les jours, la rumeur d’une nouvelle terrifiante arrive jusqu’à lui. La rumeur est devenue la seule source d’information parce que la télévision, la radio et internet restent muets. Plus d’électricité.  Il pense que la course à la course à l’argent est responsable du dérèglement climatique mais d’autres tiennent les juifs pour responsables et d’autres encore, les extraterrestres. Son voisin de palier pense que Dieu punit les hommes : « Souvenez- vous de l’épisode du déluge dans la Bible ! Dieu punit nos péchés ! C’est l’apocalypse ! »

Personne n’est sûr de rien. On raconte que New-York n’existe plus et qu’Amsterdam et Tokyo sont rayés de la carte. Des millions de morts noyés, emportés par des vagues gigantesques et des typhons meurtriers. Il a faim. Une semaine qu’il n’a rien mangé. Les magasins sont vides puisque le transport est à l’arrêt et que l’agriculture ne produit plus rien. Il a soif. Le système de distribution d’eau courante a été balayé par l’eau de l’océan qui court dans les rues et les immeubles de la ville. Ce n’est pas seulement la banquise qui fond lentement comme à l’époque où tout était possible. En disparaissant, la banquise libère du gaz méthane qui se réchauffe au contact de l’air. Depuis, la montée des océans est exponentielle. Dans les rues, seuls, les propriétaires de bateaux sont capables de se déplacer. L’eau s’est arrêtée au deuxième étage. En dessous, tout est mort, noyé. Son voisin de palier lui annonce que leurs appartements au deuxième étage valent une fortune, désormais. Pour toute réponse, il se contente de hausser les épaules.

Ce matin, on frappe violemment à sa fenêtre. Une famille est là, au niveau du deuxième étage, dans un canot pneumatique. C’est le père qui frappe à la fenêtre avec une liasse de billets à la main et qui crie : « Sauvez-nous, Monsieur ! Laissez-nous entrer !  Pitié ! Sauvez-nous !  J’ai de l’argent ! « Notre homme ouvre la fenêtre et fait entrer la famille. Il aide l’homme, la femme et les trois enfants à enjamber le châssis. Voilà, ils sont sauvés, ils sont au sec. Le père insiste pour donner l’argent à son sauveur qui accepte les billets et les met en poche.

- S’il vous plait.

- Merci.

Ils sont grotesques, ils le savent. L’argent n’a plus cours. Il n’y a plus rien à acheter ni à vendre, le monde qu’ils ont connu n’existe plus. Ils sont grotesques mais c’est plus fort qu’eux.

Image: 

© Serge Goldwicht

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