Femmes et street art. Eve.
Le 13 avril 2023
Aborder le thème des femmes dans le street art est chose délicate et il convient d’emblée de formuler, en introduction, des réserves.
La première et la plus évidente porte sur la documentation. Elle puise dans les flux des réseaux sociaux et plus précisément sur ce que les modérateurs de ces réseaux autorisent la mise en ligne. Or, par définition dirais-je, il est impossible à l’observateur de connaître ce qui a été l’objet d’une censure. De plus, les œuvres étant peintes dans l’espace public et visibles par tous, il est certain que les artistes adoptent une relative « modération » dans leur expression sachant qu’une œuvre qui attirerait les foudres des pères (et mère !) la Vertu serait censurée par les édiles locaux voire les forces de l’ordre (moral).
Voilà pour les réserves ! Malgré la limitation du corpus, l’analyse montre qu’il n’y a pas dans les œuvres de street art une image et une seule de la femme mais plusieurs images qui reflètent un éclatement du thème générique. Je centrerai mon billet sur une de ces figures de la femme : celle de la femme figure allégorique la Beauté.
A la réflexion, la persistance dans le temps de l’image de la femme symbole de la beauté est surprenante. Une surprise donc car depuis la nuit des temps, et peut-être même avant, la femme est associée à la beauté à un point tel qu’elle la représente et l’incarne. Les œuvres contemporaines s’inscrivent dans une longue tradition iconique.
Les traits de la beauté sont en tout premier lieu le visage. Les représentations de beaux visages de femmes sont innombrables. Bien sûr, quelques artistes impriment leur style à l’exercice canonique du portrait. Mais quelques constantes apparaissent : ce qui est recherché dans la représentation est la « pureté », en ce sens, la recherche d’une esthétique formelle. Pour y parvenir, nombre d’artistes gomment les traits qui traduisent l’expressivité du visage. L’attention du « regardeur » se concentre sur l’harmonie des traits, sur l’effet d’une palette « tempérée », sur une composition simple immédiatement « lisible » mettant clairement en évidence la représentation du visage.
Ainsi, des milliers d’œuvres proposent de jolis minois détourés, vides de toute expression, beaux comme ces images de messe sulpiciennes qui me servaient jadis de marque-page dans mon missel.
Ces images stéréotypées de jeunes filles éthérées d’une affligeante banalité sont des poncifs usés jusqu’à la corde. Poncifs qui font hélas encore recette. Hélas, trois fois hélas, au poncif du portrait marial se superposent d’autres poncifs. J’en veux pour preuve moults portraits de femmes qui associent dans une même image un visage de femme et des éléments de décor.
Regardons ces décors censés mettre en valeur la représentation du visage. On y voit des végétaux (des plantes magnifiques, des fleurs exubérantes etc.) et des animaux, le plus souvent domestiques (des oiseaux, beaucoup d’oiseaux aux plumages multicolores mais également des papillons, des chats etc.) Ce sont des blasons, lointains héritiers du dit médiéval.
On peut s’interroger sur la permanence de la représentation de la femme comme figure allégorique de la Beauté dans son absolu. Doit-on voir dans le refus tacite ou explicite de l’expression des émotions une volonté de représenter la « pureté » ? La stabilité du modèle de la femme s’explique-t-elle par la rémanence d’un modèle puissant et ancien ?
Au moins à titre d’hypothèse, on peut penser que les déclinaisons modernes de « l’éternel féminin » sont des traces encore bien vivaces d’un corpus idéologique et iconographique religieux ancien.
Dans ce fonds immémorial, en creusant quelque peu, nous trouvons la figure biblique d’Eve, la première femme. Dans le livre de la genèse, Eve issu d’Adam, est mère de tous les êtres vivants (c’est la signification de son nom). Une mère dont le truchement engendre la création divine. Dans le mythe du paradis terrestre sont associées la beauté du jardin d’Eden, la beauté d’Eve, la pureté avant le péché. L’Eglise après la crise iconoclaste proposera aux fidèles non seulement un récit des origines mais aussi un trésor d’images qui continuent, me semble-t-il, à vivre d’une manière plus ou moins souterraine dans la culture occidentale.
Cette figure traditionnelle de la femme coexiste avec d’autres figures de la femme qui sont en complète rupture voire en opposition. Ce sera le sujet d’un prochain billet : comment la femme dans le street art est devenue un objet de désir.

Jiao


Scaf

Joe Montaigne




Fin Dac

Sophie Wilkins

Sophie Wilkins